by Missé Nanando, Tchad, avril 1998
THEME = MONDE RURAL
Comment concilier les intérêts opposés des éleveurs et des
agriculteurs?
Un problème à l'ordre du jour au Tchad.
L'an dernier s'est déroulé à Sarh, préfecture du Moyen-Chari, un forum national sur le thème: "La gestion des querelles entre éleveurs et agriculteurs". La rencontre regroupait les acteurs en conflit venus de toutes les provinces du pays, des représentants de mouvements associatifs et coopératifs et des droits de l'homme, des dignitaires religieux et différentes autorités traditionnelles. Les débats ont tourné autour de deux points essentiels: les sites des conflits et le rapport de forces entre les deux communautés, condamnées à se partager les mêmes espaces vitaux.
D'un côté, les éleveurs accusent les agents de l'Office national du développement rural (ONDR) de surévaluer les surfaces dévastées, en faveur des paysans. Ne pouvant rien contre ces agents véreux, les éleveurs ont recours aux autorités militaires. Les éleveurs notent également que ces conflits, souvent de peu d'importance, sont attisés par des autorités administratives sans scrupules qui empochent de fortes amendes. Ils relèvent aussi le fait qu'avec la pression démographique au niveau des deux communautés, les couloirs de transhumances en prennent un sérieux coup: les bêtes étant nombreuses, il est difficile aux pasteurs de les maintenir dans les anciens couloirs; d'où des sorties intempestives des bêtes dans les champs des agriculteurs.
Quant aux agriculteurs, ils expliquent l'arrogance des éleveurs à leur égard par le fait que ceux-ci trouvent des appuis non négligeables auprès des autorités politiques et militaires. Cette arrogance, selon les paysans sédentaires, concerne le non-respect des couloirs de transhumance, des personnes et des biens d'autrui. Pire, les éleveurs saccagent les lieux de culte, les sanctuaires de l'initiation des paysans. Ils vont jusqu'à voler les boeufs d'attelage des agriculteurs. Par conséquent, les agriculteurs demandent aux éleveurs de dégager leurs 'ferricks' (petits campements nomades) installés tout près des villages et des champs des sédentaires.
Cette guéguerre, qui tend à devenir endémique entre les deux communautés, a ses racines dans les douloureux événements que le pays a connus. La déliquescence de l'Etat, après les conflits qui ont jalonné le Tchad depuis 1979, a accouché des démons de la division au sein des communautés tchadiennes.
De nombreux textes constitutifs et d'autres lois républicaines en prennent un coup. Ainsi, l'ordonnance N. 004 de 1959, relative à la création et la gestion des couloirs de transhumance, est constamment foulée aux pieds par les éleveurs. Car personne, même pas les autorités, ne se sent concerné par ce texte.
C'est vrai que dans cette crise de cohabitation interethnique, on fait une exploitation éhontée de l'administration. Dès qu'un conflit se déclenche entre deux Tchadiens appartenant à deux régions ou à deux communautés religieuses différentes, le traitement administratif du différend devient subjectif. Si le chef de brigade ou le préfet est originaire de la région de l'un des plaignants, on inflige purement et simplement une amende à l'autre partie. Ce type de règlement partial se perçoit clairement dans le cadre du conflit entre agriculteurs et éleveurs, et les conséquences en sont toujours regrettables. Car ne sachant que faire, chacun essaie tant bien que mal de se faire justice lui- même. On en arrive parfois à des dizaines, voire des centaines de morts.
La haine entre ces deux communautés s'étend à d'autres considérations, notamment religieuses. En fait, tout le mois d'octobre dernier a été jalonné d'incidents assez graves entre paysans animistes et éleveurs musulmans.
A Danamadji, dans la préfecture du Moyen-Chari, par exemple, pris par une certaine curiosité, un éleveur musulman a suivi les enfants des paysans sédentaires qui se rendaient en brousse pour les rites d'initiation, interdits aux non initiés. L'éleveur n'a plus fait retour au village. Furieux, ses parents et frères religieux sont partis en guerre contre les paysans.
Au cours du même mois, s'est produit un autre événement semblable. Devant l'arrogance des éleveurs nomades, et surtout à cause de leur non- respect des coutumes ancestrales des paysans, ces derniers, pendant les rites d'initiation, ont boycotté tous les produits des musulmans, prétextant que l'esprit de l'initiation leur interdisait de consommer tout ce qui a trait au bétail. Les éleveurs ont alors délégué un de leurs chef religieux, qui passe pour être un grand connaisseur des Sara (l'ethnie qui pratique l'initiation), pour porter un message de paix. Mais le messager musulman a disparu en pleine brousse, et l'affaire est loin d'être résolue.
Les mouvements paysans ont saisi l'institut Panos, les organisations des droits de l'homme et la presse internationale pour trouver rapidement un cadre de dialogue entre les deux communautés. Le point le plus débattu au cours du forum de réconciliation ethnique est l'éducation civique, et surtout la formation aux droits humains. L'accent a été mis sur la révision des textes relatifs à la gestion des terroirs à la base et l'impartialité des pouvoirs publics dans la gestion de ce genre de conflit.
L'atelier a permis aux différents acteurs présents de se parler et d'échanger leurs expériences. On a vu certains éleveurs et agriculteurs se saluer avec une révérence admirable. Ils donnent l'impresion de gens qui désormais peuvent régler leurs conflits entre eux.
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