ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 347 - 01/06/1998

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Tchad

Un chef de race contesté


by Missé Nanando, Tchad, avril 1998

THEME = CULTURE

INTRODUCTION

La "chefferie de race" se multiplie dans la capitale tchadienne.
Mais la politique peut se mêler à ce phénomène traditionnel.

Le dimanche 22 février 1998, une foule bruyante, composée essentiellement de femmes et d'enfants, s'agite au domicile de Mr. Oudalbaye Naham, au quartier Poursal de N'Djaména. Quelques rutilantes voitures donnent à l'événement l'allure d'une importante manifestation. Il s'agit en fait de l'intronisation du sieur Oudalbaye Gorallah Naham comme "chef de race" des Sar Madjingay, une tribu des Sara, au sud du pays. Quel est le sens de cette intronisation pour les Sara et son impact dans la ville de N'Djaména?

Depuis quelques années, il se développe à N'Djaména un phénomène traditionnel, archaïque, appelé "chefferie de race". Selon le sultan Kashallah du Chari-Baguirmi, qui règne sur N'Djaména et ses environs, "la capitale du Tchad, où vivent de nombreuses familles, devient de plus en plus cosmopolite". La population s'y multiplie à un rythme inquiétant. Le contrôle d'une pareille ville par la chefferie traditionnelle s'avère à tout point de vue difficile. C'est pourquoi, on désire y créer ces structures traditionnelles de soutien pour aider à circonscrire les mouvements, les conflits et tout ce qui concerne le développement des habitants de la capitale tchadienne.

C'est ainsi que la meilleure solution semble être d'y créer, dans chaque tribu, une instance administrative traditionnelle. Cette sorte de regroupement tribal, où les gens se reconnaissent comme tels, est un puissant moyen permettant d'avoir l'oeil sur certains maux sociaux comme l'exode rural ou le développement de la délinquance dans les quartiers de la capitale.

La chefferie de race

Le développement de cette chefferie de race mérite l'attention. D'abord, le terme même est impropre. Race est confondu avec tribu ou ethnie. Le terme "race" relève plutôt d'un emploi abusif de la part du colonisateur. C'est ainsi que dans les anciens actes de naissance d'avant l'indépendance du pays (1960), on pourra lire "race Mbay", "race Sar" ou "race Banana", etc., alors qu'il s'agissait plutôt d'ethnies ou de simples petites tribus.

L'utilisation ou le développement de ce terme aujourd'hui, trouve son origine dans les conflits ethniques et tribaux que le pays a connus de 1979 à nos jours. Chaque ethnie, chaque tribu et chaque région essaie de s'organiser en se repliant sur ses propres schèmes de valeurs. Les gens se sentent dans l'insécurité et s'organisent pour gérer ensemble leur inquiétude.

Mais dans le cas de Mr. Oudalbaye Naham, on peut soupçonner une toute autre préoccupation. Même si l'instauration de cette administration traditionnelle a réussi au niveau d'autres tribus, pour les Sar Madjingay, elle est loin de faire l'unanimité au sein de la tribu elle- même, car les Madjingay sont en soi une réalité complexe. Ils vivent dans la sous- préfecture de Sarh; mais on les trouve également dans la sous-préfecture de Koumra, surtout dans le canton de Bédaya où vit le MBang (roi soleil) chef religieux, et dans ceux de Bessada, Koumra, et Matekaga. Mais aujourd'hui, d'autres groupes veulent se joindre à eux. Les Nar qu'on trouve à Békamba, certains Day du Mandoul, et les gens d'autres localités se disent Sar Madjingay. En réalité, ces différentes populations ont un dénominateur commun: l'initiation au Ndoh.

Cette réalité complexe est difficile à gérer, surtout en période de l'expérience démocratique, où les gens commencent à s'habituer aux élections et à la question de représentativité. La société admet aujourd'hui difficilement ce qui se trame en coulisse par les aînés et autres classes d'âges.

Le chef contesté

Oudalbaye, ancien ministre et vieux fonctionnaire à la retraite, est richissime. Cet homme très connu, et donc bien placé pour assumer une telle fonction, a malheureusement un passé peu reluisant. Un haut personnage de la tribu nous racontait: "Il avait exhumé l'histoire regrettable de mes oncles au temps du règne du dictateur Hissène Habré. Il faisait partie de la troupe de répression qui brûlait le sud du pays. Il avait mis en garde mes oncles Day, du Mandoul, en leur disant de ne plus confondre la couleur rouge, qu'ils affectionnaient, et celle du prochain bulletin électoral (de 1989), contraire à celui de Hissène Habré".

Pour les Day, la couleur rouge évoque la mémorable bataille de Bouna, en mars 1927, où l'administration coloniale française avait massacré des milliers de Day au fond des marais, devenus rouges par leur sang. Oudalbaye, lui, s'est lié aux combattants des Forces armées du Nord, et ces accointances avec les FAN traumatisent toujours la population de Sarh à cause des événements de septembre noir, en 1984, quand plusieurs hauts cadres furent froidement exécutés. Beaucoup de Sar Madjingay ne le lui pardonnent pas. Par conséquent, il est très mal placé pour gérer cette chefferie.

L'affluence de femmes et d'enfants observée lors de son intronisation est symptomatique de l'état d'esprit des hommes, surtout des cadres qui n'ont pas pu effectuer le déplacement pour cet événement. Il semble que la réunion, tenue la veille à son domicile, a été très houleuse. De jeunes cadres ont dit en cette circonstance ce qu'ils pensent de leurs aînés.

En réalité, l'idée sous-jacente de cette intronisation trahit un affairisme politique évident. D'aucuns ne tardent pas à voir derrière cette nomination la main du pouvoir politique. Certains membres de la tribu parlent de 20 millions de fcfa, qui auraient été alloués par le chef de l'Etat, pour organiser les festivités de la "chefferie de race" Madjingay. Par contre, d'autres participants prétendent que la cérémonie a coûté 3 millions, sortis de l'escarcelle de Mr.Oudalbaye Naham lui-même.

Mais, ce qui a aussi retenu l'attention des Sar, c'est la présence de certaines personnalités à la cérémonie comme Djimasta Koïbla, ancien Premier ministre et actuel médiateur national, Georges Diguimbaye, ancien ministre du Plan, et de l'homme d'affaires Ngarmbatina, souvent accusés de se frotter au pouvoir politique.

En fait, la communauté dans son ensemble ne rejette pas l'idée d'avoir un chef de race; mais souhaite plutôt que ce chef soit un homme libre et indépendant des milieux politiques. Des esprits avertis voient dans cette affaire la manipulation d'un groupe d'individus qui s'organisent pour flirter avec le pouvoir. La déclaration de Djimasta Koïbla disant que "la mort de Matekague, ancien chef des Sar en 1963 laisse ce groupe ethnique aller comme un troupeau de bêtes en errance", ne signifie pas grand-chose aujourd'hui. La communauté Sar a créé l'Association pour le développement économique et social du Moyen-Chari, plus dynamique et plus démocratique que l'action d'un chef archaïque, féodal et rétrograde, sans emprise réelle sur la jeunesse Sar.

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