ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 347 - 01/06/1998

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Dossier

Sécheresses, inondations et El Niño


by Préparé par ANB-BIA, Bruxelles, avril 1998

THEME = DOSSIER

INTRODUCTION

Le phénomène météorologique appelé "El Niño" touche à sa fin.
Quel a été son impact sur l'Afrique?
Sans vouloir lui attribuer toutes les intempéries,
parcourons la situation dans les diverses parties du continent.

El Niño

"El Niño" est un phénomène météorologique qui se crée lorsque les vents, qui soufflent habituellement d'est en ouest au-dessus de l'océan pacifique, tombent et changent de direction. Par l'inversion du vent, une énorme masse d'eau chaude, qui se trouve normalement devant la côte de l'Australie, se déplace alors vers la côte occidentale de l'Amérique du Sud, où elle s'évapore et provoque des pluies diluviennes. Les courants maritimes changent également et les vents inversés influencent le temps en de nombreux endroits du globe. Le phénomène n'est pas récent: l'étude des traces sur des monuments anciens a permis de montrer que des épisodes "El Niño" ont frappé régulièrement la côte péruvienne depuis 4.000 ans.

Le phénomène (qui se manifeste en général en Amérique du Sud aux environs de Noël, d'où son nom El Niño en référence à l'enfant Jésus) se produit périodiquement, mais avec une intensité variable. Sa périodicité est également variable: plus ou moins tous les cinq ans, mais avec des écarts plus courts (2-3 ans) ou plus longs (7 à 10 ans). Un El Niño de forte intensité a des répercussions presque sur le monde entier, excepté sur l'Europe. Ce fut le cas en 1987 et en 1992. En 1972, il fit doubler le prix du blé. En 1982-83, il provoqua des pluies torrentielles dans l'est des Etats-Unis, et une sécheresse extrême en Afrique et en Indonésie; l'Australie connut la plus grande sécheresse du siècle.

Cependant, El Niño de 1997-98 semble avoir dépassé les précédents. Selon l'Organisation météorologique mondiale, il est "le plus puissant qui ait été consigné dans les annales météorologiques". Apparu dès mars 1997, il est sur le point de mourir, mais ses conséquences devraient se prolonger au moins jusqu'au mois de mai 1998. Il a provoqué une impressionnante série de catastrophes (sécheresses, inondations et tempêtes) d'un bout à l'autre de la planète. En Amérique: des inondations dans le sud-ouest des Etats-Unis, au Mexique, en Colombie, Equateur, Pérou et Chili, et dernièrement des tornades en Floride et aux Caraïbes; en Australie: sécheresses et incendies; en Asie: sécheresses et incendies en Indonésie, Malaisie, Philippines et Thaïlande, et sécheresse au Japon et dans les deux Corées.

En Afrique, on lui attribue des sécheresses en Afrique australe et dans la région des Grands Lacs, et des pluies torrentielles avec inondations surtout en Afrique de l'Est, en Somalie, en Ethiopie et au Kenya.

Qu'elles soient ou non le résultat d'El Niño, survolons quelques situations dans diverses régions d'Afrique, du point de vue météorologique et alimentaire.

Déjà dans un rapport publié le 25 novembre 1997, la FAO indiquait que 20 pays africains devaient faire face à des pénuries alimentaires en raison de perturbations météorologiques ou de guerres civiles, le problème étant particulièrement grave en Afrique de l'Est, dans la région des Grands Lacs et en Sierra Leone. Une sécheresse sévère au début de l'année 1997 avait substantiellement réduit la saison agricole au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda, en Somalie et dans une partie du sud de l'Ethiopie. Des pluies erratiques ont ensuite réduit les récoltes principales dans certains pays, notamment en Tanzanie et en Ouganda, qui devaient enregistrer une chute de la production de céréales de près de 30%. La Tanzanie prévoyait que 3 millions de personnes seraient confrontées à des pénuries alimentaires. Dans les Grands Lacs, malgré une atténuation de la crise des réfugiés, de sérieuses difficultés alimentaires persistaient, à cause notamment des dislocations des populations, de l'insécurité et d'une météorologie défavorable.

Afrique de l'Est

Après une période de sécheresse exceptionnelle, des pluies torrentielles, liées au phénomène El Niño, ont commencé à s'abattre sur l'Afrique de l'Est à partir du mois d'octobre 1997, causant d'énormes dégâts et des milliers de morts. Les inondations ont également provoqué des épidémies, notamment de choléra. Médecins sans frontières notait, le 24 janvier 1998, 46.172 cas de choléra connus dans sept pays d'Afrique de l'Est, dont plus de 2.000 mortels, suite aux inondations et au manque d'hygiène. Un groupe d'experts en météorologie, réuni en février, prévoyait encore des précipitations supérieures à la moyenne sur la plus grande partie de la région entre mars et mai de cette année.

Kenya - Le Kenya est l'un des pays les plus touchés. Alors qu'en mars 1997, on notait la sécheresse la plus grave depuis quatre ans, qui menaçait de décimer le cheptel dans le nord-est du pays, des trombes d'eau commencèrent à s'abattre sur la côte à partir de fin octobre, provoquant des inondations, détruisant des maisons, des ponts, des routes, et causant de nombreux morts. La province était déclarée région sinistrée. La situation empire encore au mois de novembre et les inondations atteignent la province du nord-est, où des milliers de gens, qu'on n'arrive plus à atteindre, sont menacés de famine. La région autour de Mombasa est également isolée. Les plus touchés sont les camps de réfugiés au nord-est, où 120.000 personnes sont sans abris et menacées de famine et d'épidémies. Au mois de décembre, on signale que les pluies sont les plus fortes qu'on ait connues depuis 40 ans, et il continue à pleuvoir... Suite aux inondations, à la malnutrition et au manque d'eau potable, des épidémies se déclarent. En janvier, on parle de 5.000 morts, dont 450 dus à la fièvre de la vallée du Rift. En février, une épidémie de paludisme dans le nord-est fait des ravages; on ne connaît pas le nombre de morts, mais, dans la ville de Wajir, les services sanitaires l'estiment à 1.500. Fin janvier, le PAM organise des opérations de secours à un million de personnes isolées par les inondations au Kenya et en Somalie.

Somalie - En Somalie aussi, la situation alimentaire s'était détériorée au début de l'année 1997, à cause de récoltes réduites par la sécheresse. Début novembre, des pluies torrentielles provoquent des inondations dans le sud du pays. Les agences humanitaires parlent de 500 et même de 1.000 morts. Des centaines de milliers de personnes sont sans abris, notamment par la crue de la rivière Juba. Cette vallée est considérée comme le grenier à blé de la Somalie et les récoltes, tout comme les stocks, sont détruits. Des milliers de têtes de bétail sont tuées et on signale un réel risque de famine au cours des six mois à venir. Au mois de décembre, on parle de 1.700 morts, de 230.000 personnes déplacées et de 30.000 têtes de bétail tuées. Un bilan des Nations unies, publié début janvier, estime à un million le nombre de personnes menacées et cite le chiffre de 1.855 morts. Le choléra s'est déclaré à Mogadiscio (nombre de cas inconnu), à Merca (400 cas) et à Kismayo.

Ethiopie - En Ethiopie, les pluies intensives débutent en octobre et provoquent finalement des inondations dans diverses parties du pays. Fin novembre, on signale 297 morts et 47.000 personnes déplacées. Après une mauvaise récolte, due à une sécheresse au début de l'année, on estime à plus de 4 millions les personnes menacées par la famine. Dans la région d'Amhara, au nord du pays, on signale au début de janvier que 2 millions d'habitants ont besoin d'assistance alimentaire après la destruction de leurs récoltes, d'abord par la sécheresse, ensuite par les inondations.

Ouganda - Même phénomène. Après une sécheresse au début de l'année 1997, qui a touché surtout le nord et l'est du pays, des pluies violentes dans l'est de l'Ouganda provoquent des inondations et des glissements de terrains au mois de novembre: des ponts sont emportés, les communications coupées. Un bilan au début de janvier 1998 parle d'une centaine de morts et de 150.000 personnes déplacées à cause des inondations. Une grande partie des récoltes a été balayée.

Tanzanie - Au mois de janvier, le ministre de l'Agriculture signale que, suite aux pluies, les stocks alimentaires ont été considérablement réduits et que la famine menace. Les inondations ont paralysé le réseau des chemins de fer, qui a dû interrompre son service régulier le 18 décembre. Le 11 février 1998, le président Mpaka déclarait que la Tanzanie aurait besoin de plus de 117 millions de dollars pour réparer les dégâts causés par les trois mois de pluies torrentielles, mises sur le compte d'El Niño, dont 17 pour la réparation des routes, 64,5 pour les maisons, et 18 pour les réparations des lignes de chemins de fer.

Afrique centrale

La situation alimentaire dans les pays autour des grands lacs est également inquiétante, mais la cause en est plus dans les guerres civiles qui ravagent ces pays. Cependant, en République démocratique du Congo, des pluies torrentielles ont fait déborder le fleuve Congo, fin décembre, et la ville de Kisangani était en grande partie inondée, et se trouvait sans eau potable et sans électricité. On y a déploré 200 victimes du choléra.

Au Burundi, de violentes pluies ont détruit une partie de la première récolte de 1998. Au mois de février, on signale que les prix des produits alimentaires ont pratiquement doublé, suite également à l'embargo imposé à ce pays, et que les stocks de semences sont bas, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la prochaine saison agricole.

Au Rwanda, on note plus ou moins la même situation. Fin octobre, les pluies saisonnières sont arrivées avec quatre semaines de retard et on prévoyait déjà de grandes pertes dans les récoltes. Début février, les prix des produits agricoles étaient en forte hausse, notamment à cause de l'instabilité dans le nord, considéré comme le grenier du pays.

Afrique australe

L'impact d'El Niño sur l'Afrique australe, où on redoutait une sécheresse comme celle qui avait frappé la région en 1992, a sans doute été bien moins important qu'on ne l'avait craint. A son annonce, le gouvernement sud-africain avait demandé aux ministres de la sous- région de se réunir pour réfléchir sur les mesures à prendre en prévision d'une extrême sécheresse, attendue de novembre 1997 à mars 1998. Toutefois, le département chargé de la sécurité alimentaire de la SADC s'était voulu rassurant, indiquant que les stocks disponibles étaient beaucoup plus importants qu'ils ne l'étaient durant la sécheresse de 1991-92. En fait, la récolte céréalière pour l'ensemble de l'Afrique australe a été fort satisfaisante en 1997, grâce à de bonnes pluies qui ont permis une irrigation abondante.

Au début de 1998, on notait que les perspectives pour l'année demeuraient incertaines, bien que jusqu'à présent l'impact d'El Niño ait été moindre qu'escompté. Pour l'ensemble de l'Afrique australe on s'attendait à ce que les pluies soient inférieures à la normale au début de l'année. En Afrique du Sud, les pluies de la fin de l'été (de la mi- janvier à mars) ont été entre 11 et 46% en dessous de la normale.

Afrique du Nord et de l'Ouest

Cette partie de l'Afrique n'a sans doute pas été touchée par le phénomène El Niño. Notons cependant que la plupart des pays d'Afrique du Nord ont été affectés par des conditions météorologiques défavorables en 1997. Le rapport du mois de février 1998 de la FAO, qui dresse la situation céréalière en Afrique en 1997, indique que la récolte en Algérie a baissé de près des trois quarts, en Tunisie de 61% et au Maroc de 60%. Seule l'Egypte, qui dispose d'une culture entièrement irriguée, a connu une récolte légèrement supérieure à celle de 1996.

Le même rapport note, pour l'Afrique de l'Ouest, que la production céréalière a été mitigée. La production globale des pays sahéliens a atteint environ la moyenne des cinq années précédentes, dépassant cette moyenne en Guinée-Bissau, au Mali, au Niger et au Tchad, mais restant en dessous au Burkina Faso, Cap Vert, Gambie, Mauritanie et Sénégal.

Désertification

El Niño est un phénomène cyclique. Il ne devrait pas nous faire oublier cependant le danger permanent qui guette l'Afrique, celui de la désertification.

Selon des experts, réunis à Rome en octobre 1997 dans le cadre de la Convention de lutte contre la désertification, l'Afrique garde son statut peu enviable de continent le plus atteint par la désertification. De grandes parties de l'Afrique sont constituées de zones arides, et 73% des "terres arides cultivées" sont plus ou moins sérieusement dégradés. Selon la FAO, le tiers du continent africain est menacé de se transformer en désert, si des mesures ne sont pas prises pour enrayer ce fléau.

Les grandes sécheresses jouent un rôle incontestable dans la désertification, mais le surpâturage, la mauvaise utilisation des terres et la déforestation sont, dans l'ordre, les causes principales de cette dégradation.

Les forêts africaines perdent chaque année 3,7 millions d'hectares. Le défrichement et la désertification risquent de faire disparaître les forêts africaines vers l'an 2050, ont estimé certains experts.

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