ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 348 - 15/06/1998

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Afrique

Le sida dans les prisons africaines


by Alain Agboton, Sénégal, mars 1998

THEME = SIDA

INTRODUCTION

Une conférence sur le sida dans les prisons,
organisée à Dakar par la délégation régionale de l'OIP
l'Observatoire international des prisons
(cfr ANB-BIA, Suppl., nr 342, pg VII).

Combien y a-t-il de détenus séropositifs dans les pénitenciers africains? Les informations et les études sont rares et partielles. Mais on imagine facilement, même sans données chiffrées, que ces lieux de détention, de vrais mouroirs, sont des foyers majeurs d'infection, avec un taux de prévalence largement plus élevé que celui de la population générale. Les femmes détenues, semble-t-il, sont plus affectées que les hommes. Mais, chose plus grave, les programmes de lutte contre la pandémie ont exclu les détenus de leur action. Or, s'il y a un groupe à risque, c'est bien celui-là!

La conférence de Dakar, en février dernier, a tenté de faire le point, de sensibiliser les opinions, les décideurs et les acteurs, et d'élaborer une plate- forme, et elle a esquissé des pistes.

Une situation dramatique

Le surpeuplement, une constante des prisons africaines (et pas uniquement africaines, d'ailleurs), fait le lit du sida. Le taux d'occupation des prisons peut atteindre jusqu'à 323% de leur capacité, comme à la maison centrale d'arrêt d'Abidjan. Ce qui n'est pas exceptionnel. La promiscuité entraîne une fréquence alarmante de violences, de tensions, d'abus sexuels et autres phénomènes. La toxicomanie est aussi res- ponsable de cet état de fait, mais dans une faible proportion.

Dans les prisons, le sida prend un caractère "dramatique", comme l'a souligné un ministre, car le virus s'y transmet rapidement, et les détenus risquent plus que jamais d'être infectés et, une fois libérés, de contaminer leurs partenaires sexuels. Le dépistage régulier, en tant que mesure préventive, n'est ni automatique, ni systématique, ni même envisageable parfois. Le silence entoure généralement la question de la sexualité en prison. Sujet tabou dans la plupart des pays africains, l'homosexualité y est interdite ou punie. L'hétérosexualité n'est pas plus autorisée. Les autorités pénitentiaires sont souvent frileuses sur la question. Résultat, la situation épidémiologique du sida en prison est inconnue ou méconnue.

Le manque d'équipements adéquats et de médicaments s'ajoute à la complexité de la situation, soulignant la sous-médicalisation des maisons de détention. Au Sénégal, par exemple, les frais médicaux et d'hygiène du prisonnier reviennent au contribuable sénégalais à 6 francs cfa (0,06 francs français) par jour: pas même le prix d'un comprimé d'aspirine! Alors qu'on sait que les soins liés au traitement du sida sont exorbitants.

La "non-catégorisation" des détenus (leur séparation et leur différenciation) se révèle aussi être un facteur aggravant, auquel s'ajoute la sous-information du personnel pénitentiaire et des détenus eux-mêmes, généralement issus des couches les plus déshéritées de la société. Le tableau est apocalyptique.

Dans les prisons, l'usage du préservatif, une solution parmi d'autres, y est plus accidentel qu'organisé. D'ailleurs, cela fait problème au plan des principes, de la philosophie et des modalités, s'accorde-t-on à reconnaître. Seule l'Afrique du Sud, très affectée par la pandémie, a une politique allant dans ce sens. Les études d'impact restent à faire.

Les quelques rares estimations et chiffres plus ou moins récents, obtenus de façon lacunaire, indiquent qu'en 1987 le Burkina Faso affichait un taux de 2% de séropositifs en prison. En 1994, il était de 20 à 50% en Côte d'Ivoire, de 6% en Ethiopie, et de 6% au Gabon. En 1997, au Sénégal, il était de 2,7%, et à Madagascar de 0,6%; en 1988, au Mozambique, de 0,6%. En France, par exemple, le taux d'infection en prison est dix fois supérieur à la moyenne globale. Il faut savoir aussi que sur 30,6 millions de sidéens recensés à travers le monde, l'Afrique en compte les deux tiers.

Le phénomène ne peut être plus longtemps occulté, remarquent les experts, même si souvent les mentalités n'y sont pas prêtes. N'a-t-on pas entendu dire cyniquement par Monsieur-tout-le-monde: "Un détenu sidéen? C'est une bénédiction! Dépenser de l'argent pour sauver un condamné à mort, c'est irréaliste. Plus tôt il quittera le plancher des vaches, mieux cela vaudra pour tout le monde..., et pour le désengorgement des prisons!"

Le droit à la confidentialité

Au sortir de cette conférence, les 250 experts, médecins, agents pénitentiaires, militants des droits de l'homme, originaires d'une quarantaine de pays africains et occidentaux, ont recommandé la constitution d'un réseau propre à cerner le phénomène et à adopter des stratégies de lutte efficaces. La prévention en tout cas est capitale. Il est vital et essentiel de promouvoir une information par les "pairs", c'est-à-dire horizontale, par des leaders d'opinion et autres canaux efficients puisés dans les particularités africaines.

La protection de la santé est un droit pour les détenus. Leur prise en charge par les services de santé publique, au Sénégal, est désormais acquise. Ce pays élargit son approche en considérant la question du détenu de manière globale, et en transformant les infirmeries en postes de santé rattachés aux districts sanitaires. Ainsi, les médecins-chefs de région, membres de droit de la commission de surveillance des prisons, pourront intervenir de manière directe, pratique et durable dans les établissements pénitentiaires et coordonner toutes les activités liées à la santé des détenus qui relèvent de leur compétence. Question de dignité, les droits du détenu doivent être défendus et protégés, même son droit à la vie privée et à la confidentialité.

Au-delà de toutes les questions spécifiques aux détenus, il demeure, du point de vue des spécialistes et des acteurs du secteur, que le succès de la lutte contre le sida en prison dépend amplement de la mise en oeuvre d'une véritable synergie, d'une chaîne de partenariat entre tous les segments de la société.

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