ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 348 - 15/06/1998

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS



Sénégal

Les femmes réclament la démocratie


by Yacinthe Diene, Sénégal, mai 1998

THEME = FEMMES

INTRODUCTION

Les femmes revendiquent une participation significative à la vie politique nationale,
puisqu'elles constituent la majorité de l'électorat.

<$THAlign=C>NDLR. Cet article a été écrit à la veille des élections législatives au Sénégal, qui ont eu lieu le 24 mai dernier.

A l'approche des élections législatives de mai 1998, le Conseil sénégalais des femmes (COSEF) a lancé une campagne de sensibilisation en vue de normaliser la place des femmes dans les sphères politiques et décisionnelles. Et cela, en partenariat avec le Centre canadien d'étude et de la coopération internationale, l'Institut africain de la démographie, l'ambassade des Pays- Bas à Dakar, l'Organisation des Nations unies pour la femme, et la fondation Frederich Ebert.

Le COSEF a retenu trois axes principaux pour cette initiative, dénommée "Démocratie où es- tu?", visant le renforcement de la démocratie sénégalaise. Aminata Faye Kassé, sa présidente, les résume ainsi: "Accroître et améliorer l'investiture des femmes sur les listes des partis; encourager les électeurs à prendre en compte la perspective dans le choix qu'ils peuvent faire, pour que les femmes soient mieux représentées à l'Assemblée nationale; encourager les différents candidats à prendre en compte les attentions et les spécificités féminines dans l'électorat et la formulation de leurs programmes".

S'il est vrai que les femmes ambitionnent d'entrer en force au Parlement, on peut se demander combien d'entre elles seront élues le 24 mai. Toute réponse devrait partir du contexte politique dans lequel les élections se déroulent. En effet, cette échéance constitue un tournant décisif pour l'histoire politique du Sénégal: il en sortira une nouvelle génération d'acteurs politiques, en vue des élections présidentielles de l'an 2000. C'est pourquoi, si la représentativité des femmes politiques est au coeur des préoccupations des associations féminines, on la retrouve moins au sein des partis politiques.

Des chiffres inversement proportionnels

Les femmes sont sous-représentées dans les instances politiques sénégalaises: on ne leur confère que la part congrue des postes électifs et elles figurent rarement en tête de listes. Malgré leur supériorité numérique au niveau national, elles restent minoritaires au sein des formations politiques.

Pour les élections législatives de mai 1998, les femmes sont investies sur les listes à hauteur de 33% à And-Jef/Pads, de 26% au Parti démocratique sénégalais (PDS) et de 21% au Parti socialiste (PS), qui est au pouvoir. Au demeurant, ceci n'est que le reflet du niveau des instances de base. Par exemple le PS compte 4 femmes sur 12 membres à son bureau politique, 110 sur 600 à son comité central et un ministre dans un gouvernement qui en compte 27. Par contre, le PDS compte un tiers de femmes dans chacune de ses instances: 100 au bureau politique, 25 au secrétariat national et 7 au comité directeur.

Cette situation se retrouve au Parlement. De 1957 à nos jours, le Sénégal a connu huit législations de cinq années chacune. La première ne comportait aucune femme; la deuxième vit la participation de la première femme parmi les quatre- vingts députés: Madame Caroline Faye; les deux suivantes ont enregistré respectivement deux et quatre députés féminins sur quatre-vingts; la cinquième comptait huit femmes sur cent, et les trois dernières respectivement treize, dix-huit et quatorze femmes, sur un total de 120 élus.

"La représentation des femmes à l'Assemblée nationale a évolué bien peu, de 1963 à 1998. Elle a fonctionné en dents de scie et devra, à partir de cette législation, qui va inaugurer le 3ème millénaire, être constante dans son développement", fera remarquer Madame Aminata M'Benque N'Diaye, ministre de la Femme, de l'enfant et de la famille, le 30 mars dernier lors de la cérémonie de lancement de la campagne COSEF. Selon une enquête de 1994, les femmes représentent les 52% d'une population nationale estimée à 8.127.000 habitants. Par conséquent, elles devraient être représentées d'une manière convenable, tant en nombre qu'en position, dans toutes les instances décisionnelles. Mais si la participation des femmes à la vie politique ne fait plus de doute, elles interprètent elles-mêmes diversement leur représentativité.

Ce que pensent les femmes

La place des femmes sur l'échiquier politique fait l'objet, au sein de l'opinion féminine, d'une lecture plurielle. Pour certaines, dont l'association féminine "yewu- yewi" (littéralement en woloff: s'éveiller pour libérer), les femmes ne jouissent pas de leurs droits au sein des formations politiques, puisqu'elles sont dominées par une élite qui ne gère que ses intérêts, et cela sans aucune perspective de changement. Les tenants de cette théorie préconisent, pour rééquilibrer les rôles, une Assemblée consultative, ou un bicaméralisme ou, à défaut, une démocratie paritaire où sur toutes les listes électives il y aurait une femme derrière chaque homme.

Par contre, les femmes responsables au plan politique sont beaucoup plus souples. Elles relativisent ou nuancent le point de vue précédent. Elles considèrent que la sous- représentativité résulte de la démocratie interne et que cela serait pire sans le système de quota ou places réservées aux femmes qui est de mise un peu partout. Elles reconnaissent aussi le rôle d'arrière-garde que jouent les usages et les coutumes traditionnels, justifiés et légitimés par la religion, mais également celui de l'analphabétisme, dont le taux est de 68% chez les femmes contre 32% chez les hommes.

Quant au COSEF, il milite pour que le statut politique de la femme évolue positivement par la volonté et le soutien des hommes dans les organisations politiques; il cherche à accroître la représentativité des femmes à l'Assemblée nationale et dans les instances de décision, car la présence des femmes est plus que nécessaire, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des centres de décisions. Ainsi, le COSEF souhaite mettre un terme à l'instrumentalisation et à la marginalisation des femmes en politique, alors que leur rôle est central en matière de mobilisation. En effet, elles sont mobilisatrices et constituent des éléments incontournables dans la vie des formations sociales, syndicales et politiques. Mais elles sont le plus souvent utilisées comme une masse de manoeuvre électorale ou préposées à la théatralisation du discours des leaders et à l'animation folklorique des "grandes messes" politiques. Par contre, elles ne sont pas ou pas assez associées aux prises de décision ou à l'exécution des programmes.

Une campagne qui s'amplifie

Les femmes sénégalaises veulent se propulser sur le devant de la scène politique pour traduire l'éthique politique tout au long de la législation 1998-2003. Au Sénégal, comme partout ailleurs dans le monde, une certaine logique voudrait que la femme soit passive, car le pouvoir s'exerce suivant des modèles masculins, diamétralement opposés à la mentalité des femmes. "Les institutions politiques ont été créées par les hommes qui s'y trouvent parfaitement à l'aise, alors que la féminité s'y accommode mal au centre de décision", constatait le 8 mars dernier Madame Awa Kane lors d'une conférence sur le thème: "Accès aux femmes aux processus décisionnels en politique". Cela signifie-t-il que les femmes jouent des rôles seconds au sein des formations politiques?

Cette situation politique en défaveur des femmes est inacceptable du point de vue:

- pratique: la complémentarité entre les hommes et les femmes n'est plus à démontrer, et les femmes ont fait leurs preuves de la compréhension des mutations au coeur du monde moderne;

- démocratique: elles devraient être présentes là où se prennent les décisions politiques et jouir de leur poids démographique, car en démocratie l'influence est une sorte de pouvoir;

- juridique: l'homme et la femme se définissent biologiquement comme être humain en tant que tel, leurs droits sont confondus dans l'unicité des valeurs universelles du droit.

Dès lors, une seule alternative s'offre aux femmes pour juguler le phénomène de marginalisation: une lutte démocratique. Car, si elles ne se battent pas, il n'y aura point de changement et rien ne leur sera offert sur un plateau d'argent. Cette campagne du COSEF peut être perçue comme une réponse des femmes à l'immobilisme des hommes politiques qui avaient promis, à l'issue d'une série d'entrevues, de tout faire pour adopter un regard neuf pour considérer les femmes comme des camarades à part entière.

Voilà peut-être pourquoi le COSEF a décidé de battre le rappel de ses troupes à un moment d'effervescence politique, où les leaders politiques mobilisent et recrutent leur personnel politique et éventuellement les élus de la prochaine législation et par conséquent du prochain gouvernement. Une partie de l'opinion féminine pense que l'avenir politique appartient aux femmes et que l'heure de l'alternance du féminin a sonné.

Somme toute, une bataille est engagée et le COSEF entend poursuivre sa campagne qui sera amplifiée sur toute l'étendue du territoire à travers les médias, l'édition d'un livre sur "les femmes, l'éthique et la politique", un hymne ou une chanson véhiculant la philosophie du COSEF et des affiches en français et dans les différentes langues du pays.

NOTA - Ndlr - Il est assez symptomatique de souligner que, parmi les résultats des dernières élections qui nous sont parvenus,
aucun ne fait mention du nombre de femmes élues.

END

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 1998 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement