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by Sylphes Mangaya, Congo-Brazza, avril 1998
THEME = GUERRE CIVILE
Les Congolais qui n'ont pas eu la chance de sortir à temps des
zones de guerre,
sont tombés entre les mains de combattants pratiquant l'épuration ethnique.
Une mort planifiée qu'on met sur le dos de la bavure.
Quand une guerre éclate au Congo, il y a bien peu de véritables affrontements armés au corps à corps: les deux camps l'évitent. Ils préfèrent lâchement bombarder les populations civiles, maillons faibles de ces conflits sauvages. Sous cette guerre apparente, on assiste très rapidement à des règlements de comptes interethniques. Les combattants, armés et drogués, se livrent à des massacres organisés qui coûtent la vie à des milliers de civils: 5.000 morts en 1993/94, et 15.000 en 1997.
Aux premières heures de la guerre de juin 1997, on a vu les Cobras, milice du général Denis Nguesso, et les Cocoyes, de Pascal Lissouba, se livrer à la chasse à l'homme. A chaque coin de rue, ces miliciens filtraient les populations: si la pièce d'identité ne correspondait pas à la région ou à la coloration ethnique indiquée, on était systématiquement abattu. Dans les deux camps, on proclamait la thèse des "infiltrés". A défaut d'une pièce d'identité, on faisait passer aux gens un interrogatoire en langue locale.
Chez les Cobras qui contrôlaient la zone nord de la ville, les questions étaient posées en lingala ou en une autre langue du nord du pays; chez les Cocoyes, dans le sud, il fallait répondre en lari ou en kituba.
Mais les maisons n'ont pas toutes été endommagées par les bombardements. Dans le quartier proche de l'aéroport, et ailleurs aussi, au fur et à mesure qu'ils chassaient les Cocoyes, les Cobras brûlaient les maisons des Nibolek, ressortissants du fief électoral de Pascal Lissouba. Les Cocoyes en faisait autant avec les maisons des habitants du nord, la zone de Sassou Nguesso. De nombreux blessés ont été achevés par des hommes en armes, dans les hôpitaux, de nuit. On l'a vu au Centre hospitalier universitaire de Brazzaville et à l'hopital de Makélékélé.
On a assisté à la même barbarie lors de la guerre de novembre 1993 à janvier 1994, qui avait opposé les Nibolek aux Tcheks, nom donné aux populations de la région du Pool de Bernard Kolelas. Les maisons des Tcheks avaient été pillées et démolies, hommes, femmes et enfants froidement exécutés. Et les représailles des Tcheks avaient été aussi virulentes: dans plusieurs régions les partisans de Lissouba furent massacrés et la chasse à l'homme généralisée dans les régions sud du pays.
Depuis la fin de la guerre de 1997, très peu de Nibolek sont rentrés à Brazzaville, du fait qu'il ne contrôlent aucun quartier. La capitale est devenue trop petite et même dangereuse pour eux: dès que la situation se dégrade à Brazzaville, ils sont souvent les premières victimes. Les quartiers où ils étaient fortement représentés sont presque vides et font peur. Les Nibolek qu'on trouve à Brazzaville vivent en majorité à Bacongo et Makélékélé, d'où ils avaient été chassés il y a cinq ans.
Au plus fort de la guerre de juin-octobre 1997, ils y étaient accueillis "comme des "frères"", selon les recommandations de M. Kolelas, l'éphémère premier ministre de Lissouba. Aux premiers jours des événements, il recommandait: "ici, ils sont chez eux... et aucun de leurs cheveux ne doit être touché". Ce qui n'a pas satisfait Sassou Nguesso, son allié d'hier, selon qui, au nom de l'Alliance URD-FDU, Kolelas devrait donner la chasse aux Nibolek dans sa zone...
Déjà en 1995, un an après les affrontements des régions sud, le nord du Congo avait failli s'enflammer. La Sangha, région proche du Cameroun, fut le théâtre de violences entre diverses ethnies autochtones: Bakouélé, Dzem, Sanga-sanga, Bamossa, Lino, etc..., et les "Ekwile", les étrangers en langue kouélé. Ces sauvages tensions tribales et xénophobes étaient menées par un certain "Front de défense des intérêts des jeunes de la Sangha" (FDIJS), une association soi-disant apolitique. Ce front, pour qui "chaque Congolais doit vivre et travailler dans sa région d'origine", s'était assuré le concours des jeunes pour intimider et brutaliser les "Nos", nom donné aux non originaires de la Sangha. Leurs principales victimes étaient les travailleurs des entreprises forestières de la zone.
Armés de couteaux, de fusils de chasse ou d'armes automatiques, des membres de l'association faisaient irruption dans les directions des entreprises et ordonnaient aux autorités de licencier les non autochtones et d'embaucher les jeunes de la Sangha. En avril 1995, des affrontements ont failli éclater entre les animateurs du Front et les Nos. Fin novembre de la même année, des éléments du Front sont intervenus à Tala-Tala, petite localité au nord de Ouesso, capitale de la Sangha, pour expulser M. Eugène Ezebe, comptable de la SOCALYB (Société congolaise-arabe-libyenne de bois), et ressortissant de la Likouala, région voisine. Motif avancé par le Front: avoir bloqué le recrutement des jeunes dans sa société. Même les Camerounais travaillant dans cette zone avaient été la cible des militants du Front.
Le secteur public ne fut pas épargné: le Front voulait que toutes les directions régionales soient occupées par des cadres de la région. Ainsi, au cours de 1995, craignant pour leur vie, 40 enseignants partirent en catastrophe sans attendre leur nouvelle affectation. Plusieurs autres départs étaient signalés dans des services administratifs. Constatant que les différentes institutions régionales soutenaient le Front, les Nos songèrent eux aussi à créer une association "Ekwile", regroupant les originaires des diverses régions du Congo. Mais les autorités de la Sangha réagirent immédiatement et les empêchèrent de réaliser ce projet, afin d'éviter la balkanisation du pays.
A qui profitent, au bout du compte, toutes ces divisions ethniques qui tuent les Congolais depuis des décennies? On sait qu'au plus fort de la dictature militaro-marxiste, Pékin et Moscou ont voulu exploiter des frustrations interethniques en Afrique, pour asseoir le régime communiste. Au Congo, les Soviétiques ont pensé que les nordistes étaient plus aptes à accepter l'idéologie marxiste-léniniste. Et les Laris, populations du Pool, qui n'avaient pas accepté cette philosophie, étaient considérés comme des contre- révolutionnaires et des valets locaux de l'impérialisme. Donc des hommes à abattre.
Ainsi, entre 1963, date où le régime socialiste a été introduit au Congo, et la décennie '90, marquant la fin des régimes monolithiques en Afrique, le Pool a perdu ses fils: du cadre supérieur au menuisier, en passant par des cultivateurs. Ce peuple martyrisé n'avait pas les moyens de s'opposer à la violence politique qui s'abattait sur eux. Il a fallu attendre 1990, pour qu'il se dote enfin de moyens de défense: avec les redoutables Ninja, milice dirigé par Kolelas. Objectif: ne plus se faire abuser par un quelconque régime.
Aujourd'hui, les problèmes ethniques que connaît le Congo sont plus forts que jamais. Il est vrai que, depuis la fin de la guerre, on n'embête plus personne dans la rue pour des raisons ethniques ou régionales. Signe tout de même encourageant, surtout quand on voit des peuples du Niboland se réinstaller dans des quartiers comme Moungali, Moukondo et Plateau, qui constituaient des fronts pendant les combats. Mais certains observateurs se demandent si le lobby Elf, qui a financé la guerre au Congo, ne marche pas sur les cendres de Moscou, en exploitant les mêmes frustrations qui déchirent ce petit pays d'Afrique centrale à l'économie exsangue.
Dès le début de la guerre, en juin 1997, les Forces démocratiques et patriotiques (FDP) ont vite proclamé que c'était une guerre "du Nord contre le Sud". Et c'est ainsi que de nombreux jeunes nordistes ont été enrôlés dans les Cobras de Sassou Nguesso. Après la victoire des FDP, aidés par l'Angola, le sud du pays est une désolation. La thèse de la "libération", chère au nordiste, y est perçue comme une défaite, et certains pensent que la force de Sassou Nguesso n'était pas un mouvement socio-politique qui se débarrassait d'un régime honni. Après la victoire du général, le peuple dans le sud est resté passif, car il ne s'agissait pas d'une révolution.
Tirant la couverture de son côté, le régime actuel se contente de traiter le gouvernement Lissouba de génocidaire. Thèse appuyée par le Forum national tenu à Brazzaville, en janvier dernier. Mais quelle place occupe alors Elf et la France dans ce génocide? Car ce sont eux qui ont largement contribué à pourrir la situation, en soutenant financièrement et militairement les FDP.
On assiste aujourd'hui, au Congo, à une radicalisation ethnique au nord comme au sud. On ne pense pas que la méthode choisie par la France pour ramener un copain au pouvoir atténue les tensions interethniques qui déchirent les Congolais depuis des décennies. Au contraire, les rancoeurs sont plus fortes que jamais. Chacun sait bien qu'au Congo, pays de guerres à répétition, ce n'est pas demain que viendront des commissions d'enquête. Combien de cadavres ont-ils été jetés dans les fosses communes, qu'on tente de déterrer aujourd'hui? Impossible de citer un chiffre.
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