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by Ashley Green-Thompson, Afrique du Sud, mai 1998
THEME = ELECTIONS
Compte à rebours jusqu'aux élections en 1999
C'est devenu presqu'un cliché de commencer des réflexions sur la politique de l'Afrique du Sud par le sport. Mais les Sud-Africains semblent passer toute leur vie sur des terrains de sport, ou tout au moins dans les environs d'un stade sportif. En avril-mai, cela s'est vérifié pour le rugby, considéré depuis longtemps comme le bastion du nationalisme et du machisme des Afrikaners.
Depuis que l'équipe nationale de rugby a gagné la coupe mondiale en 1995, le sport est devenu un cas typique dans les difficultés de transformation. Alors que toute la nation soutenait ce sport, encore dominé par les Blancs, le rugby pouvait refléter la nature changeante de la société sud-africaine. On entreprit des campagnes pour son développement dans les cités noires, mais ce n'étaient que prétentions fallacieuses, car on ne vit aucun effort réel de promouvoir ce sport parmi la population noire.
Le patron de l'Union du rugby sud-africain (SARFU), le Dr. Louis Luyt, régnait sur ce sport comme un empereur de légende, ignorant le mécontentement grandissant au rythme des changements dans l'administration du rugby. Des allégations affirmant que Luyt cherchait à renforcer son autorité comme si c'était son fief personnel, firent établir une commission présidentielle d'enquête sur les affaires de la SARFU. Mais celle-ci fut bloquée par l'Union. Une longue bataille légale s'engagea, qui vit son apogée quand le président Mandela fut cité en justice pour expliquer sa décision, provoquant d'autres colères. La menace du rugby international d'isoler l'Afrique du Sud força enfin Luyt à démissionner, et l'Union dut présenter ses excuses au président Mandela. Tout au long de ce drame, le soutien à l'obstiné Luyt a varié. Un grand nombre de Sud-Africains blancs, membres des clubs traditionnels de rugby, crièrent à la faute et le dirent victime. Les Sud-Africains noirs et les nouvelles institutions non raciales du sport, demandèrent un changement et le départ du plus gros obstacle: Louis Luyt.
Cette division présente des similitudes avec la situation politique. La réforme de l'héritage de l'apartheid ne progresse pas comme le voudraient certains à l'autre bout de l'échelle économique. Mais ceux qui ont profité de l'apartheid regardent les changements comme une atteinte à leur existence traditionnelle.
Un refrain courant qu'on entend au cours de l'évaluation des résultats de la Commission vérité et réconciliation (TRC ), est que les bénéficiaires de l'apartheid n'ont pas encore reconnu leur complicité dans les abus passés et ne se sentent nullement enclins à les réparer. Ils les attribuent à quelques "pommes pourries", auteurs de meurtres et de tortures. Le résultat en est que les victimes et survivants de ces abus de l'apartheid n'ont encore reçu aucun dédommagement ou réparation, et leur colère ne fait que grandir. Avec raison, ils s'estiment être doublement victimes d'injustice. Deux années après la création de la TRC, les efforts de réparation viennent seulement de se mettre en route.
C'est dans ce large contexte que les partis politiques ont commencé leur campagne pour les deuxièmes élections nationales de 1999. Une commission électorale indépendante (IEC) a été établie, avec à nouveau, comme président, le juge bien connu Johan Krieger. Comme il reste à peine une année avant les élections, la IEC a un travail immense à faire. Le juge Krieger maintient que tout est en bonne voie, mais les observateurs ne partagent pas son optimisme. Ces élections sont différentes de celles de 1994, car les électeurs devront se faire enregistrer et voter sur des listes de vote. L'enregistrement n'a même pas encore commencé. La IEC maintient que les élections nationales, provinciales et locales, auront lieu le même jour. Mais on pense communément que les élections locales auront lieu à une date ultérieure.
Le financement prévu pour ces élections est de loin inférieur à celui de l994, alors que les exigences d'efficience et d'exactitude administratives sont plus grandes. Ce ne sera pas un événement émotionnel, où les irrégularités seront pardonnées. Au contraire, ces élections doivent instaurer une tradition et une culture d'élections libres et justes, sur lesquelles une nouvelle démocratie peut se construire.
Un autre danger qui guette le succès des élections de 1999, est l'apathie grandissante parmi les électeurs. Cela est dû largement au fait qu'on s'est aperçu, avec raison, que bien des promesses politiques ne sont pas tenues. Pour la plupart des pauvres de l'Afrique du Sud, pas grand-chose n'a changé économiquement, et chacun sait que le droit de vote ne vous donne pas une maison ou de quoi manger. Cependant, ces élections marqueront la fin du gouvernement d'unité nationale, une clause de l'accord négocié en 1993. Pour la première fois, il y aura un vrai gouvernement majoritaire, avec un parti majoritaire non obligé de participer à un gouvernement de coalition, comme c'est le cas maintenant.
C'est cette nouvelle situation que le Congrès national africain (ANC) essaie d'exploiter. Il cherche à obtenir une majorité des deux tiers au Parlement, ce qui lui permettrait de changer la Constitution et de faire accepter une législation qui améliorerait le processus de transformation. Les commentateurs sont d'accord pour dire que l'apathie générale n'affectera pas beaucoup la part des votes de l'ANC. Le danger vient d'un autre côté. Cependant, pour arriver à cet objectif, un certain nombre d'obstacles doivent être surmontés.
Le premier concerne la politique économique poursuivie avec vigueur par le gouvernement. Le plan de "Croissance, Développement et Redistribution" (GEAR, cfr ANB- BIA n. 324, pg I) poursuit une politique de marché. Il tend à une libéralisation complète, et encourage les investissements étrangers et le contrôle des salaires, afin d'apporter une croissance économique, qui créera de l'emploi. Les alliés de l'ANC, le Congrès des syndicats d'Afrique du Sud (COSATU ) et le parti communiste d'Afrique du Sud (SACP ), ont élevé plusieurs fois la voix pour montrer leur opposition à ce plan. Les statistiques montrent que le GEAR , au lieu d'atteindre son objectif de 250.000 nouveaux emplois, en a fait perdre plus de 120.000. Les compressions budgétaires ont provoqué une diminution du nombre d'instituteurs dans les écoles, du montant de la pension des personnes âgées et de l'aide sociale aux enfants. Au nom de la discipline fiscale, les dépenses sociales seront réduites radicalement dans les trois années à venir. Ce genre de mesures cause une dissension croissante dans les rangs des partenaires de l'alliance. Or, les deux millions de membres du COSATU sont un élément clé du succès de l'ANC aux élections.
L'alliance existe depuis une dizaine d'années et a survécu à pas mal de difficultés durant la période de transition. Mais les différences politiques sont évidentes et l'alliance d'une union de syndicats avec un parti gouvernemental qui essaie de libéraliser l'économie est contradictoire. Il est osé de prédire une cassure dans l'alliance, mais la garder intacte malgré ces différences fondamentales serait un résultat notoire. D'ailleurs, les structures des sections ANC sont généralement fragiles, ce qui nécessite d'autant plus de se reposer sur les bases solides du mouvement syndical.
Alors que ces tensions s'affichent à l'intérieur de l'alliance, le parti dissident de l'ex-lumière du Parti national, Roelf Meyer, et de l'ex-président de l'ANC, Bantu Holomisa, ne cesse de grandir et fait des percées dans les bastions traditionnels de l'ANC. Le Mouvement démocratique uni (UDM) manque encore de programme politique, mais il se vend bien, à cause de la popularité de ses co-fondateurs. Bien que n'étant pas encore passé par l'épreuve de vérité que sont les élections nationales et provinciales, l'UDM s'est bien comporté dans les élections locales partielles et a gagné un certain nombre de sièges aux gouvernements locaux.
Mais l'UDM, qui ne représente pas encore grand chose au point de vue politique, est un amalgame de convictions politiques disparates. Sa caractéristique principale est que ses dirigeants sont tous des dissidents d'autres partis politiques. Certains ont un passé très chargé, comme Sifiso Nkabinde du KwaZulu Natal, le plus controversé. Accusé et mis en prison pour plus d'une douzaine de meurtres dans la province, l'ancien leader de l'ANC et espion de l'ancien régime, a été acquitté récemment de toutes les charges, après une piètre enquête policière. Ce Nkabinde, libre maintenant et jouant encore un rôle important dans la politique régionale, ne présage rien de bon pour l'avenir de la paix dans la région.
Mais il y a une note plus constructive et positive: le niveau de violence, qui avait troublé le KwaZulu Natal, a fortement diminué l'année dernière. Ceci est dû en grande partie aux efforts de la direction nationale et provinciale, tant de l'ANC que du Parti pour la liberté Inkatha (IFP) de Mangosuthu Buthelezi. Ces partis rivaux ont eu des pourparlers de paix et sont devenus très copains dans la gestion des affaires de la province. Beaucoup spéculent sur une fusion possible entre les deux plus grands partis politiques noirs, bien qu'un membre éminent de l'IFP, ministre dans le gouvernement national, s'est fait taper sur les doigts par la direction de son parti, pour avoir fait publiquement appel à cette unité. Il y a quelques années, de tels pourparlers auraient été considérés comme pures spéculations et vains rêves, mais ces jours-ci, toutes les attaques de l'ANC au Parlement contre les partis de l'opposition épargnent de toute évidence le IFP. Mais malgré tout, il faudra surmonter pas mal de difficultés et de suspicions pour que ces deux protagonistes s'unissent.
L'opposition officielle au Parlement, qui est aussi le deuxième plus grand parti politique en Afrique du Sud, continue à vivre sa petite existence anonyme. Depuis que F.W. De Klerk a été remplacé par le jeune, mais fade Marthinus van Schalkwyk, en tant que leader du Parti national (NP), bien peu a été fait pour rehausser le profil des anciens maîtres de l'apartheid. Malgré l'installation du premier Premier ministre provincial de couleur, dans le fief même du NP du Cap occidental, l'impression reste que le NP n'a pas encore fait la transition à une nouvelle Afrique du Sud et qu'il perdra beaucoup de voix aux élections de 1999.
Le Parti démocratique (DP), considéré comme le parti traditionnel de la grosse finance, continue à poser le plus de problèmes au Parlement. Il se pose comme étant la conscience du gouvernement et enquête partout pour trouver de la corruption et de la mauvaise gestion. Mais tout comme les autres partis, ses cris ont été accaparés par l'ANC dans sa façon de diriger la politique économique. Aucun parti n'est en désaccord avec les dispositions du GEAR, et c'est pourquoi il n'y a pas beaucoup d'opposition active.
Le seul appel réel à une alternative vient des syndicats et des organisations non gouvernementales des communautés de base. C'est de ce côté que viennent les revendications véhémentes pour une révision des objectifs neo-libéraux du GEAR . Ces organisations ont le plus de contacts directs avec les communautés frappées par la pauvreté et elles veulent la combattre. Beaucoup de ces activistes restent fidèles à l'ANC, comme le seul parti capable de transformer la société sud-africaine, mais ils reprochent à ce parti d'être trop faible dans son approche pour éradiquer la pauvreté. C'est à ce niveau qu'on trouve la politique d'opposition la plus vibrante et la plus créative.
Il reste à voir ce que vaut une démocratie multipartite en Afrique et en Afrique du Sud. Pour le moment c'est quelque chose qui doit se faire, même si ça coûte très cher. Pourtant, la vraie vie de cette nouvelle démocratie ne vient pas des institutions et des procédures. Tout comme dans la lutte contre l'apartheid, le véritable esprit de démocratie en Afrique du Sud se trouve dans l'engagement des communautés et de leurs organisations pour la reconstruction du pays. Dans un climat hostile à toute solution radicale, où régne la philosophie du capitalisme et du libre marché, l'Afrique du Sud compte encore des dissidents, des radicaux et des libres penseurs. On ne les trouve pas dans les partis politiques rigides et moribonds, qui forment l'opposition officielle, mais dans les sections et les comités du parti au pouvoir, et dans les rues et les cités, où la pauvreté est la plus dure. Ce sont eux peut-être qui constituent l'espoir que la démocratie parlementaire peut être un élément de choc pour le changement. C'est le défi que l'Afrique du Sud doit relever, si vraiment elle veut libérer son peuple.
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