ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 349 - 01/07/1998

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Niger

Le régime du général Baré aux abois


by Joseph Seydou Allakaye, Niger, avril 1998

THEME = POLITIQUE

INTRODUCTION

Au Niger, tous les ingrédients d'une explosion sociale et politique sont rassemblés.
Le pays est pratiquement bloqué à tous les niveaux.

Après plus de deux ans et trois mois au pouvoir, le général Ibrahim Baré Maïnassara semble avoir tous les problèmes du monde pour continuer à diriger le Niger.

Au plan politique rien ne va plus

Le parti du chef de l'Etat, le RDP-Jamaha, essaie tant bien que mal d'organiser les affaires du pays en tant que leader des partis de la mouvance présidentielle. Cette dernière, qui comprend plus d'une dizaine de partis, est en train de voler en éclats à cause des intérêts de pouvoir et d'argent. En effet, des partis comme l'ANDP-Zaman-Lahiya, le PUND-Salama et le PNA-Alhoumat ont pris du recul pour créer à trois l'Alliance des forces démocratiques et sociales, avant de dire récemment adieu à la mouvance.

Pendant qu'à la mouvance présidentielle on s'entre- déchire, les partis du Front pour la restauration et la défense de la démocratie (FRDD), reprennent du poil de la bête et se réorganisent activement. Après les journées d'initiatives démocratiques, le FRDD est passé à une vitesse supérieure en organisant des journées d'action pour obtenir la démission du président Baré. Au mois d'avril, elles ont eu lieu un peu partout à l'intérieur du pays avec un succès certain, les plus violentes à Maradi et Zinder, où plusieurs militants ont été arrêtés.

La situation politique s'est dégradée à tel point que dernièrement, en plus de la police locale, il a fallu l'intervention d'une centaine d'éléments anti- émeutes dépêchés par avion de Niamey pour permettre au RDP-Jamaha de tenir un meeting à Maradi. Le FRDD avait juré en effet d'empêcher la tenue d'une telle rencontre organisée avec les moyens de l'Etat. Dans une telle ambiance, en dehors des politiciens qui y trouvent leur compte, la population dans son ensemble marque un désintérêt pour la chose politique. L'armée qui, ce n'est un secret pour personne, roule pour le général Baré, se refuse à intervenir dans cette pagaille généralisée.

Le règne de la terreur

Autre phénomène nouveau, c'est celui d'une terreur aveugle qui a tendance à s'installer, surtout à Niamey. Des commandos de la mort cagoulés sèment la peur avec des armes de guerre. Dernièrement, la plus grande imprimerie du Niger appartenant à un privé, qui est en même temps directeur de publication de l'hebdomadaire indépendant "Le Républicain", a failli être incendiée vers 2h du matin. Quant au coordonnateur national du FRDD, sa maison et son véhicule ont été mitraillés nuitamment par les mêmes commandos. Plusieurs véhicules appartenant à des privés ont été incendiés devant des bistrots à Niamey. Le gouvernement ne trouve rien de mieux que d'accuser l'opposition d'être le commanditaire de tous ces actes ignobles. L'opposition est pour sa part persuadée que c'est le gouvernement qui orchestre honteusement toutes ces actions en vue de la discréditer aux yeux des populations.

Comme si tout cela ne suffisait pas, le gouvernement invente des complots imaginaires pour éliminer un certain nombre de leaders gênants de l'opposition. Ce fut notamment le cas de Hama Amadou, secrétaire général du puissant MNSD, qu'on a accusé de tentative d'assassinat du chef de l'Etat. A chaque fois, les scénarios qui sont montés pour les besoins de la cause, sont tellement grossiers que personne désormais ne se laisse plus prendre à ce petit jeu.

Grèves et agitation

Sur le plan social, conditionné par l'évolution de la situation politique, là aussi plus rien ne marche. Les grèves répétitives des travailleurs sont devenues une tradition. A tous les niveaux les maigres salaires ne tombent que tous les 50 à 60 jours. Cette tendance persistante a fait que désormais chaque secteur mène en solo son combat pour obtenir gain de cause, à savoir se faire payer à temps. L'armée elle- même a dû se mutiner pour percevoir sa solde. Ce qui a fait tache d'huile. Les magistrats, les employés des finances, les douaniers, les agents de la santé ont eu à faire de même pour rentrer dans leurs droits. Les étudiants, devant les fausses promesses du gouvernement concernant leurs allocations et bourses, ont décidé de mener désormais des actions d'agitation permanente.

Si l'année dernière la scolarité a pu être sauvée, cette fois-ci l'année scolaire risque d'être blanche. C'est d'ailleurs ce que recherche le gouvernement, disent les étudiants. En cela ils risquent d'avoir raison. En effet, malgré que les étudiants aient décidé de reprendre les cours sans percevoir leurs bourses, le gouvernement a fait fermer le campus universitaire. Le 24 avril dernier, la police a fait une descente musclée pour arrêter une dizaine d'étudiants soupçonnés d'être les meneurs d'actes de vandalisme. Comme pour répondre au gouvernement qui estime que les étudiants sont manipulés par l'opposition, ces derniers ont promis d'aller plus loin dans leurs actions et même de les politiser. Voilà donc un autre incendie que le gouvernement devra s'atteler à éteindre de toute urgence.

Menaces de famine

La dernière campagne agricole ayant accusé un déficit céréalier de plus de 400.000 tonnes, les prix des céréales sont devenus pratiquement inabordables. Pourtant, nous ne sommes pas encore à la période de soudure, cette période extrêmement difficile à traverser par les cultivateurs, qui pour la majorité ont fui leurs villages pour aller en exode. Aujourd'hui, la famine est partout présente au Niger, en ville comme à la campagne. Les quelques aides octroyées par les autorités suffisent à peine à tenir deux jours. Dans certaines régions, les villageois sont contraints à manger des feuilles d'arbres ou à déterrer ce qui se trouve dans les termitières. C'est dire combien la situation est grave.

Sur le plan économique, tous les indicateurs sont au rouge. Même le secteur informel, pourtant très prospère normalement, tourne au ralenti. Il n'y a plus d'affaires affirment les opérateurs économiques, car les gens n'ont pas d'argent liquide. La mobilisation des ressources internes reste très difficile à cause des combines et des passe-droits qui sont très répandus dans tout le pays. Ce qui engendre un manque à gagner pour l'Etat et l'instauration d'une fraude rampante, très poussée et généralisée.

L'avenir?

Mais ce qui est vraiment inquiétant, c'est que le président Baré se contente, dans chacun de ses messages à la nation, de déclarer que rien ne va plus au Niger, sans proposer aucune mesure de redressement de la situation. C'est du reste pour cette raison que l'opposition ne cesse d'exiger la démission du chef de l'Etat qu'elle estime être incapable. Curieusement, la seule proposition faite par le chef de l'Etat consiste à demander aux Nigériens de faire un examen de conscience. Ce à quoi ils se refusent, estimant qu'il y a un minimum qui doit être accompli par le président lui-même et par les partis de la mouvance présidentielle, qui passent le plus clair de leur temps à dilapider le peu de ressources financières dont dispose encore le pays.

Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à reconnaître qu'en réalité le chef de l'Etat est pris en otage par son entourage, qui l'empêche de dissoudre l'Assemblée nationale et d'organiser de nouvelles élections, seule possibilité de sortie honorable de la crise. Les faucons du régime savent, mieux que quiconque, que ces élections marqueraient la fin du régime de Baré et de ses complices. Le RDP-Jamaha n'est pas connu à l'intérieur du pays et n'est constitué que de transfuges qui ont quitté les grands partis animant l'opposition. C'est pourquoi, d'ailleurs, même des militants de la mouvance présidentielle demandent aux Nigériens de conjuguer leurs efforts pour libérer Baré de son entourage qui lui dicte ses faits et gestes.

Le président, qui ne sait où donner de la tête, a proposé dernièrement de transformer cette mouvance présidentielle en une convergence pour la République. Ce qui, à terme, aboutirait à la création d'un parti unique, d'un parti Etat, et finalement à l'instauration d'une dictature au Niger, balayant d'un revers de main toute l'expérience démocratique acquise de longue lutte.

Baré, qui refuse de dissoudre l'Assemblée nationale, a promis aux Nigériens d'organiser cette année des élections locales et régionales. Mais l'opposition a déjà brandi le spectre de la tricherie, de la falsification du fichier électoral. Cette fois-ci l'opposition a juré qu'en cas de participation aux élections, aucun hold-up électoral ne pourra avoir lieu. Même s'il faut enregistrer des morts dans ses rangs, elle a promis qu'elle ne se laissera plus avoir, quels que soient les moyens à utiliser pour ce faire.

Le Niger est donc à la croisée des chemins et tout peut basculer d'un jour à l'autre. Surtout que l'opposition a juré de poursuivre ses journées d'actions jusqu'à la démission effective du président Baré. L'arrestation des militants de l'opposition et leur futur jugement ne sont pas faits pour arranger les choses. Pour l'heure le pays compte une dette extérieure de 80 milliards de fcfa et une dette intérieure de 200 milliards de fcfa.

Le dernier acte de détresse posé par le général Baré a été la conférence des cadres convoquée par lui le 29 avril dernier. Aucun des cadres présents au palais des congrès de Niamey n'a pu y prendre la parole et toute l'opposition politique l'a boycottée. Le président Baré a menacé principalement les partis du FRDD, qu'il accusé d'être les auteurs de tous les maux dont souffre le Niger. Il a ensuite donné des instructions très fermes aux responsables administratifs pour mater sévèrement toutes manifestations organisées par l'opposition. Ce qui fait craindre dans les jours à venir d'inévitables dérapages, eu égard surtout à la détermination des militants du FRDD qui ont juré de continuer leur lutte jusqu'à la chute du président.

Parallèlement, le ministère de l'Intérieur, sur instruction du chef de l'Etat, a tout simplement interdit aux quatre radios privées de parler des activités organisées par l'opposition sur toute l'étendue du territoire national sous peine de sanctions draconiennes. Cette décision a fait que, depuis lors, les radios privées ne sont pratiquement plus écoutées. Pour le moment, seuls les meetings annoncés à l'avance, autorisés et bien encadrés sont permis. Les marches quant à elles, sous le prétexte de débordements, sont interdites sur l'ensemble du pays.

Aujourd'hui plus que jamais, tous les ingrédients d'une explosion sociale sont rassemblés, surtout que le chef de l'Etat a indiqué au cours de cette conférence que les élections locales et régionales ne sauraient se tenir que fin 1998, éventuellement. Ce qui ne fait qu'irriter davantage les partis du FRDD qui estiment que Baré cherche à gagner du temps pour mieux tricher. Ce que l'opposition ne permettra jamais, selon elle.

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