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by Samuel Sarpong, Ghana, juin 1998
THEME = ENFANTS
Des enfants contraints de quitter leur maison et mis au travail
dans un autre pays.
Tels sont les faits révélés par cet inquiétant rapport.
C'est arrivé au Togo, un vendredi soir, dans un petit village situé à quelque distance de Lomé, la capitale. Afi Dziwornu, âgée alors de 15 ans, dormait quand elle fut réveillée par sa mère qui lui dit de suivre une femme âgée à la ville. Elle ne savait pas ce qu'elle était supposée aller faire en ville. Quand elle le demanda, sa mère lui cria: "Prends tes affaires". Elle emballa donc ses quelques effets - deux robes et des sous-vêtements - et suivit la femme âgée dans l'obscurité. Elles marchèrent péniblement pendant des heures. Finalement, celle qui était au départ une marche de deux heures, pour aller de son village à Lomé, devint une marche de quatre heures. Ses soupçons étaient éveillés, mais elle ne comprenait pas ce qui clochait. Sans qu'elle le sache, sa mère avait arrangé son départ au Ghana, pour que le reste de la famille puisse survivre avec le peu de nourriture qui restait à la maison. Afi pourrait finalement revenir au village quand elle serait adulte.
Trois ans ont passé depuis qu'Afi a quitté le Togo. Trois ans d'une expérience cauchemardesque. Au Ghana, elle n'a pas cessé d'être maltraitée par sa "nouvelle mère". La situation d'Afi est restée ignorée jusqu'à ce que la police ghanéenne découvre un syndicat se livrant au trafic d'enfants. Selon des estimations prudentes, près de cinq cents enfants togolais pourraient avoir été attirés au Ghana en vertu de ce bizarre "arrangement" - certains pour être domestiques de maison, d'autres vendus pour ce que la police appelle "l'esclavage perpétuel" - sans possibilité de rentrer chez eux. A la suite d'un tuyau fourni il y a quelque temps à la police, Afi et quatre autres filles ont été arrachées aux griffes d'un de ces syndicats.
Une Nigériane, Hajia Sidi Musah, décrite par la police comme le "cerveau du trafic", a été arrêtée et emprisonnée avec quatre de ses présumées complices togolaises. Au cours de son interrogatoire, Hajia Sidi a reconnu qu'elle recrutait des filles âgées de 10 à 14 ans, toutes au Togo, comme domestiques. Plus tard elle a conduit les policiers là où on pouvait trouver ses complices togolaises. C'est là, au domicile de Hajia Sidi où on l'avait gardée pendant les trois dernières années, que la police a découvert une Afi décharnée.
Afi a raconté à la police: "Hajia Sidi m'a maltraitée depuis mon arrivée". Ensuite, elle a aidé les policiers à retrouver trois autres filles qu'Hajia Sidi avait déjà "sous- traitées". Toutes ces filles étaient amenées au Ghana sous de faux arrangements et à diverses périodes. Il n'y avait pas de contrat entre elles et leur futur "bienfaiteur"; en fait, elles étaient complètement à la merci de ce soi- disant bienfaiteur.
Au Ghana, les "enfants togolais importés" n'ont aucun contrôle sur la durée de leur séjour. Quand Ama Ghekah, 14 ans, a été amenée au Ghana il y a trois ans, elle a été offerte à un bienfaiteur pour une somme dérisoire, "un simple cadeau" dit-elle. Elle ne sait pas si Hajia Sidi venait chaque mois percevoir de l'argent chez le bienfaiteur. Elle aussi se plaint amèrement de son expérience. "Souvent j'ai pensé à m'enfuir, mais je ne savais pas où aller. De plus, je n'avais pas les moyens de partir". Elle a fait appel au public pour qu'on l'aide à situer sa plus jeune soeur, qui a aussi été "sous-traitée" à quelqu'un.
Au début, Hajia niait avoir vendu des enfants. Elle dit ensuite à ceux qui l'interrogeaient qu'elle avait mis fin à son affaire. "Je ne m'occupe plus d'esclavage d'enfants", dit-elle. Hajia Sidi, 48 ans, explique: "Les enfants me sont amenés par leurs parents ou par des agents qui veulent qu'on les place comme domestiques". Hajia ne veut pas dire combien elle se fait payer pour ses services; à l'entendre, elle reçoit juste un don symbolique de ses clients.
Pour le moment, les jeunes filles sont sous la protection de la police mais, selon des sources policières, la récente découverte ne serait que la partie émergée de l'iceberg. "Nous faisons le maximum pour retrouver les personnes impliquées dans ce commerce illicite", affirme Angubutoge Awuni, directeur du Conseil des relations publiques. "Selon des rapports que nous recevons, certains de ces enfants ont été envoyés en Côte d'Ivoire ou au Nigeria à partir du Togo". C'est pourquoi les autorités ghanéennes ont demandé l'aide d'INTERPOL pour les aider à traquer et à capturer ces syndicats internationaux.
Ces révélations ont choqué de nombreux Ghanéens. "Je ne sais que dire. Comment cela peut-il se passer ici?", se demande Kofi Amofa, un fonctionnaire. Mais Akua Afriyie, marchand, ne s'étonne pas de ce qu'on lui raconte. "J'ai entendu parler de ce trafic d'enfants pour la première fois il y a cinq ans, quand une femme dont l'étal se trouve à côté du mien a pris chez elle une enfant togolaise."
Comme ce commerce n'est pas officiel, toute l'affaire est menée sur base de personnes et avec des associés très proches. Quand les jeunes filles sont amenées du Togo, elles restent ici avec les personnes qui les ont contactées et qui s'arrangent pour qu'elles soient livrées aux futurs clients.
Le Togo est le voisin immédiat du Ghana, à l'est. Environ 80% de sa population de 4,5 millions d'habitants sont engagés dans la culture de subsistance. Il est certain qu'il y a au Togo un trafic de filles destinées à la prostitution ou à l'exploitation comme domestiques. Le gouvernement ne fait pas d'effort notable pour mettre fin à cette pratique.
Voici ce qu'écrit Mawul Acolatse, journaliste togolais: "Malgré une déclaration constitutionnelle d'égalité devant la loi, les femmes continuent à être victimes de la discrimination, particulièrement dans le domaine de l'enseignement, des pensions et des héritages; c'est une conséquence de la loi traditionnelle". Il attribue le problème du trafic d'enfants aux privations sévères dont souffrent les femmes. "On sait qu'il y a du trafic d'enfants au Togo. C'est un indice que la situation sociale regorge de problèmes".
De fait, dans le Togo rural, des parents forcent parfois de jeunes enfants à faire du travail domestique pour d'autres ménages en échange d'argent. Le gouvernement n'a rien fait pour mettre fin à cette pratique. Les dures conditions économiques dans les régions rurales, où vit la majorité de la population, ne laissent que peu d'argent aux femmes, en dehors de ce qu'elles peuvent gagner par leur travail de la ferme. Bien que la Constitution togolaise et le code de la famille prévoient la protection des droits des enfants, concrètement les programmes du gouvernement ne sont pas mis en pratique.
La loi n'aborde pas spécifiquement la question du travail forcé ou obligatoire, même celui des enfants. Traditionnellement aussi, les gens ne voient aucun mal à ce que des enfants travaillent - ils croient que c'est la norme plutôt que l'exception. Cela signifie que des enfants sont vendus pour diverses formes de servitude à long terme, et exploités. Selon des sources bien informées du Togo, on ne les emmène pas seulement dans d'autres pays ouest-africains, mais aussi au Moyen-Orient ou en Asie.
Triste à dire, mais ceux qui sont mêlés à ce scandaleux commerce ont développé des stratégies de marché très sophistiquées, cherchant à détecter quiconque "vendrait la mèche". "Après tout", disent-ils, "nous voulons seulement gagner facilement du fric".
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