ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 352 - 15/09/1998

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Sénégal

Plaidoyer des évêques pour les "gagne-petit"


by Yacinthe Diene, Sénégal, juin 1998

THEME = FEMMES

INTRODUCTION

Les évêques du Sénégal plaident pour plus de justice
envers des employées de maison:
une urgence, voire une priorité.

Dans une lettre pastorale, publiée le 1er mai à l'occasion de la fête du travail, les pasteurs catholiques ont mis les pieds dans le plat pour tirer sur la sonnette d'alarme: "Nous voulons insister particulièrement sur les conditions des plus faibles d'entre les femmes, les travailleuses domestiques". La situation des employées de maison mérite en effet une attention particulière. Leur utilité n'est plus à démontrer. Mais les ménages sénégalais ne leur accordent ni des conditions de travail acceptables, ni une rémunération correcte.

Une force non négligeable

La quasi-totalité des familles, même parmi les plus modestes, emploient au moins une bonne, mais ce sont les ménages dakarois qui sont les plus grands pourvoyeurs d'emplois domestiques. Selon une enquête sur le travail des enfants, les métiers domestiques occupent 88.000 jeunes filles, là où la fonction publique emploie 66.000 fonctionnaires. On remarque aussi que, sur ce marché, l'offre excède largement la demande. Et par conséquent, ces jeunes filles sont recrutées pour un salaire dérisoire, entre 10.000 et 15.000 fcfa (100 à 150 FF), sauf pour les plus chanceuses qui travaillent pour des entreprises ou des ménages d'expatriés où elles perçoivent jusqu'à 70.000 fcfa avec quelques autres avantages.

Naguère, seules les filles du monde rural jugeaient nécessaire d'aller travailler dans les centres urbains, soit pour se constituer un trousseau de mariage, soit pour venir en aide à leurs familles. Aujourd'hui, il faut constater que les jeunes filles citadines sont leurs concurrentes directes. On trouve dans cette catégorie sociale des filles analphabètes ou d'un niveau scolaire en dessous de la moyenne, mais aussi des diplômées. "Elles constituent une force non négligeable, car sans elles les femmes salariées rencontrent d'énormes difficultés. Mais elles ne sont pas conscientes de leur contribution au produit intérieur brut et au développement", souligne le Mouvement des femmes catholiques du Sénégal (MFSC) dans une enquête.

Ces jeunes filles soutiennent leurs parents restés au village ou à la maison. Pour s'en sortir financièrement, elles doivent partager, à cinq ou à dix, une chambre d'une quinzaine de mý, sans eau ni électricité, dans les quartiers déshérités de la périphérie. Elles doivent faire une heure ou deux de route pour rejoindre leur lieu de travail et pour revenir chez elles le soir, car leur rémunération ne leur permet pas de payer les frais de transport. "La plupart d'entre nous sont obligées d'accepter de maigres salaires et des conditions difficiles de travail pour ne pas mendier ou traîner dans les rues", remarque Khady installée à Dakar depuis dix ans.

Un flou juridique

Les employées de maison sont souvent victimes de certains abus, traitées avec dédain et mépris, payées avec beaucoup de retard et renvoyées pour des prétextes futiles: fausses accusations de vol, casse de vaisselle, etc.

De même, en cas de litige, aucun recours n'est possible parce que le contrat repose la plupart du temps sur un engagement verbal qui n'a aucune valeur légale. En effet, les filles ne sont liées aux employeurs que par des contrats oraux et imprécis, qui exigent d'elles pas moins de 10 heures de travail par jour pour abattre les travaux domestiques, cuisine, linge, repassage, vaisselle et autres. "Trop souvent, la femme est considérée chez nous comme une main- d'oeuvre à bon marché. Pareille mentalité est aux antipodes non seulement de l'Evangile et de l'enseignement de l'Eglise, mais aussi de la Déclaration des droits de l'homme", déplore le document des évêques. D'aucuns pensent qu'il n'existe pas de législation en la matière. Or, un arrêté ministériel de 1968, modifié en 1972, réglemente les employées de maison. Seulement, la loi est transgressée presque continuellement et est devenue caduque pour plusieurs raisons:

- L'arrêté n'est plus adapté aux réalités socio-économiques. Ainsi par exemple, le salaire de base d'un Sénégalais moyen ne permet pas à son tour de payer un salaire minimum et encore moins les cotisations sociales pour une employée de maison.

- Les gens manquent d'information. L'arrêté ministériel classifie les employées de maison en 7 catégories, chacune avec son salaire, ses horaires, avantages et conditions d'embauche, mais l'enquête effectuée par le MFSC a révélé que "82% des ménages ignorent l'existence de la loi et ne l'appliquent pas; et pour ceux qui la connaissent, seuls 4% l'appliquent (généralement des expatriés)".

Appels et propositions

Les évêques du Sénégal ont publié une prise de position remarquable. Ils écrivent notamment:

"Un large sursaut moral est nécessaire pour faire respecter et promouvoir la dignité et les droits de toutes les femmes dans le Sénégal d'aujourd'hui... Que l'Etat et les syndicats procèdent au réexamen des textes qui régissent le travail des employées de maison pour apprécier leur applicabilité, et que les pouvoirs publics veillent ensuite à leur application effective... Nous demandons aux parents de ces fillettes d'attacher plus de prix à l'éducation de leur enfant qu'au gain immédiat qu'elles peuvent leur offrir par un travail illégal... Nous insistons pour que les employeurs aient une meilleure considération de leurs employées de maison et plus de respect pour elles... Nous proposons quelques lignes d'action qui gagneraient à être approfondies par les pouvoirs publics, les syndicats, les ONG et les intéressées elles-mêmes:

- construction de structures d'accueil...;

- création dans les villages de micro-projets pour les jeunes filles...;

- création d'un cadre de dialogue entre employeurs, employées et gouvernement."

La solution la plus partagée au sein des ONG, des structures de l'Etat, des syndicats et de l'Eglise est de lutter contre la pauvreté et la non-scolarisation en amont, et de sensibiliser sur les dangers et les mesures qui s'imposent en aval. En tous cas, la voix des évêques semble avoir reçu un écho favorable au niveau des pouvoirs publics. Ils ont commencé un programme d'un budget prévisionnel de 153.000 dollars, soit 91.800.000 francs cfa. Ce programme tend à rendre moins dangeureux et précoce le travail des enfants et de l'éliminer à terme, à travers une quinzaine de projets relatifs aux apprentis, aux travailleurs ruraux et aux jeunes filles domestiques. Une ligne d'action est donc tracée pour les années à venir. Ce qui devrait réjouir tous ceux qui sont en quête d'un plus grand bien social.

END

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