ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 353 - 01/10/1998

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Ouganda

La loi arrêtera-t-elle Museveni?


by Fred Kirungi, Ouganda, 21 août 1998

THEME = POLITIQUE

INTRODUCTION

Si quelque chose ressort des élections
et de la nomination d'importantes personnalités
au cours des deux derniers mois,
c'est que le président Museveni obtiendra tout ce qu'il veut

Il y a d'abord eu, du 13 au 18 juillet, la Convention du Mouvement. Elle se réunissait pour élire pour la première fois les dirigeants du Mouvement, organisation politique suprême de l'Ouganda. Le Mouvement est l'alternative du président Museveni aux partis politiques qui, selon lui, sont responsables du chaos politique où se trouvait le pays. Tout Ougandais est, de par la loi, membre du Mouvement. Celui-ci est censé être une organisation à large base dans laquelle diverses orientations politiques sont représentées. En réalité, le Mouvement est dominé par les anciens guérilleros et partisans politiques de Museveni. Les adeptes d'un système multipartite, auxquels la Constitution interdit de mener des activités de parti, ont rejeté le Mouvement, le considérant comme un système à parti unique destiné à maintenir Museveni au pouvoir.

Lors de la Convention, l'élection sans opposition de Museveni et de son proche allié, Moses Kigongo, respectivement comme président et vice-président du Mouvement, n'a fait que confirmer leurs craintes. Museveni et Kigongo sont à la tête du Mouvement depuis que celui- ci a été fondé dans la brousse en 1981, comme Mouvement national de résistance.

Personne n'a été étonné que les deux hommes soient élus sans opposition. Toute tentative de les remplacer, sans qu'ils aient laissé entendre qu'ils étaient prêts à partir, aurait été considérée comme une traîtrise au sein du Mouvement. C'est devenu une habitude des politiciens du Mouvement de se rendre régulièrement à la présidencepour affirmer leur fidélité au président et dénier avec véhémence toute ambition de lui succéder. Un observateur superficiel pourrait penser que c'est un crime de l'envisager.

Commissaire politique national

Aux élections, c'est le poste capital de commissaire politique national qui a attiré la plus grande attention. Le commissaire politique national est l'équivalent du secrétaire général d'un parti politique. Le président du Mouvement désigne trois personnes parmi lesquelles le comité exécutif national du Mouvement en choisit une pour ce poste.

Avant la convention, Museveni soutenait fortement la candidature du président du Parlement, James Wapakhabulo. Wapakhabulo est un vieux copain du président. Ils partageaient la même chambre à l'université de Dar es-Salaam en Tanzanie, à la fin des années '60.

Des membres plus jeunes du Mouvement, qui se sont longtemps sentis marginalisés, ont cependant tenté d'exercer une pression sur Museveni pour qu'il désigne un des leurs au poste en question. Ils menaçaient, sinon, de le priver au Parlement du soutien des 80 membres de leur Association des jeunes parlementaires.

Museveni les a humiliés en ne faisant même pas référence à leur candidat. Pour prévenir toute contestation sérieuse, sans paraître cependant vouloir imposer sa volonté, Museveni n'a désigné que deux candidats: son favori, James Wapakhabulo et Betty Akech, une politicienne dont beaucoup d'Ougandais n'avaient jamais entendu parler. Celle-ci déclina rapidement la désignation, laissant donc le premier l'emporter sans opposition. On raconte qu'Akech avait été "prévenue", avant sa désignation, qu'elle aurait à se retirer, étant entendu qu'elle serait nommée ministre par la suite. Sa nomination comme ministre un mois plus tard donne du crédit à ces rumeurs.

Si la volonté de Museveni n'était un facteur décisif que dans le Mouvement, peu d'Ougandais probable-ment s'en soucieraient. Après tout, toutes les principales organisations politiques ne sont-elles pas propriété virtuelle de leurs fondateurs? Milton Obote, en exil, s'était accroché à la présidence du Congrès du peuple ougandais depuis l'indépendance de 1962 et Paul Ssemongerere à celle du Parti démocratique depuis 1980. C'est l'extension de cette prédominance aux structures gouvernementales qui préoccupe, certains législateurs accusant Museveni de "chantage politique".

Président du Parlement

A la suite de l'élection de James Wapakhabulo comme commissaire politique national du Mouvement, il fallait pourvoir à son poste de président du Parlement. Des membres du Parlement marquaient leur préférence pour un parlementaire sans fonction ministérielle, Edward Sekandi, mais Museveni présentait, pour ce poste, un ministre d'Etat, Francis Ayume. Il fit venir Sekandi et les parlementaires à la présidence pour s'assurer de leur appui à Ayume. On promit à Sekandi le poste de vice- président s'il "coopérait". En conséquence, Ayume gagna le siège sans beaucoup de difficulté.

Jusqu'où Museveni irait-il pour essayer d'imposer sa volonté? C'est ce que Betty Okwit, vice-présidente au Parlement, a voulu tester; elle a refusé de démissionner malgré les considérables pressions politiques exercées sur elle par le président et ses partisans. Son mandat n'avait pas encore expiré mais son poste était promis à Sekandi. On lui offrait un poste au cabinet en échange, mais elle persista dans son refus de démissionner, craignant sans doute quelque double jeu. Le président Museveni dut procéder à un rapide remaniement du cabinet la nommant ministre avec 15 autres. Mais en même temps, on lui signifiait que le "vote de confiance" ne lui serait pas accordé si elle ne changeait pas d'attitude. Assiégée de tous côtés, elle a fini pas démissionner, libérant la voie pour Sekandi au poste de la vice-présidence du Parlement.

Tactique présidentielle

Même si Museveni arrive toujours à ses fins, ce n'est pas toujours sans mal. Il a souvent rencontré quelque résistance, surtout du côté du Parlement, même si ce ne fut que temporairement. En pareil cas, il convoque les parlementaires au Parlement et utilise la méthode de la carotte et du bâton pour les mettre au pas. L'arme dont il a souvent usé vis-à-vis des parlementaires est de garder ouverts un certain nombre de postes ministériels. Lors d'une tentative d'opposition, ils ont fait marche arrière quand on leur a rappelé qu'il y avait des postes ministériels vacants et qu'ils pourraient manquer l'occasion d'en occuper un s'ils continuaient à faire des difficultés.

Ce ne fut donc pas une surprise quand le Parlement a rejeté fin juillet la liste de Museveni comportant 16 candidats ministres, parce que ceux-ci ne répondaient pas aux intérêts ethniques et religieux. Puisque tous les postes vacants devaient être pourvus par ces 16 personnes, les parlementaires n'avaient rien à perdre en les rejetant. Qui sait, ils pourraient même amener le président à choisir leur nom en remplacement de certains candidats.

Cependant, comme d'habitude, les membres du comité parlementaire des nominations ont capitulé après une rencontre avec le président et ont accepté d'avaliser les nominations. Si le Parlement, dont le premier rôle est de contrôler les pouvoirs de l'exécutif, ne peut résister au président Museveni, qui donc le pourrait? Quoi que Museveni fasse, dirait-on, il ne peut contrevenir à la loi. Après tout, n'a-t-il pas passé cinq ans dans la brousse à se battre pour l'autorité de la loi ?

Contourner la loi

Dans la poursuite de ses objectifs, Museveni pourrait hésiter à enfreindre la loi, mais cela ne veut pas dire qu'il ne pourrait la contourner. Tout d'abord, il peut amener le Parlement à modifier la loi, comme il l'a fait quand il a augmenté le nombre des ministres qu'il peut nommer, de 42 prescrits par la Constitution à 60, peu après son élection en 1996. Ou bien, il peut exploiter l'ambiguïté de la loi comme il l'a fait quand il a créé le poste contestable de "surveillant du mi-nistère de la Défense" et y a nommé son frère, le major général Salim Saleh. Il ne pouvait pas nommer Saleh ministre parce que celui-ci n'a pas les diplômes universitaires imposés par la Constitution, mais comme "surveillant" il équivalait à un ministre.

Le "cas Saleh"

Le dernier test pour savoir jusqu'où la loi peut limiter les pouvoirs de Museveni, a été fourni quand, fin juillet, il a essayé de faire de son frère un ministre d'Etat pour la Défense (Museveni est le ministre de la Défense). Selon la Constitution, pour pouvoir être ministre, il faut avoir obtenu un diplôme de fin d'études supérieures ou un équivalent. Salim Saleh n'avait pas ce type de diplôme et Museveni le savait puisque c'est lui qui avait retiré son frère de l'école avant qu'il ait terminé ses études secondaires pour qu'il rejoigne la guérilla.

Les Ougandais retenaient leur respiration, attendant de voir comment le Parlement, qui approuve toutes les nominations ministérielles avant qu'elles deviennent effectives, allait traiter le cas Saleh. En l'occurrence, c'est Salim Saleh lui- même qui a sauvé la situation en refusant cette nomination avant qu'elle passe au Parlement au début de ce mois. Etant donné que Museveni a la réputation de toujours obtenir ce qu'il veut, beaucoup d'Ougandais pensaient que le Parlement fermerait les yeux sur le manque de diplôme de Saleh. Il est significatif que le Comité parlementaire des nominations n'a pas soulevé le problème de la qualification requise quand elle a rencontré le président pour discuter des nominations.

La question de savoir si Museveni peut outrepasser même la Constitution en essayant d'obtenir ce qu'il veut n'a pas reçu de réponse. Ce qui est cependant devenu évident, c'est qu'il était prêt à le faire. Comme d'habitude, va-t-il arriver à ses fins? Au vu des événements des derniers mois, ce pourrait être le cas.

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