ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 354 - 15/10/1998

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Cameroun

Affairisme d'Etat sous le "Renouveau" (1)


by Sylvestre Tetchiada, Cameroun, juillet 1998

THEME = CORRUPTION

INTRODUCTION

Comment nos ministres deviennent riches -
Grands marchés publics, gros contrats, petits business,  appétits insatiables pour le CFA,
commissions à 30%, pillage du patrimoine de l'Etat, activisme politique:
les recettes ne manquent pas pour le ministre qui veut s'enrichir.
Souvent même, on passe au délit d'initié ou à la voie de fait.

Dans l'imagerie populaire, un ministre, c'est forcément quelqu'un de très riche. Au Cameroun, certains d'entre eux le sont immensément et la chronique confidentielle évalue leur fortune en milliards. Pourtant, généralement, un ministre du gouvernement camerounais est rarement riche au moment de sa nomination.

Comme l'a révélé l'an dernier l'hebdomadaire Mutations de Yaoundé, l'Etat leur verse un salaire mensuel de plus de six cents mille fcfa (6.000 FF); de plus ils sont logés et si, avant leur nomination, ils gagnaient déjà plus que six cents mille cfa, ils ont droit à une indemnité compensatoire. Dès leur nomination, ils reçoivent aussi un crédit de quelques dizaines de millions de fcfa - qu'ils ne remboursent généralement pas - destiné à l'achat d'une voiture de service (une grosse cylindrée, de fabrication allemande de préférence) et c'est à peu près tout. Et puis, il y a éventuellement les jetons de présence pour ceux qui ont la chance de chapeauter des conseils d'administration des entreprises d'Etat sous tutelle. On n'a pas connaissance d'une caisse de fin de mois, comme dans certains pays.

Mais, à voir comment les uns et les autres se bousculent pour entrer au gouvernement, les sacrifices et le rituel du vaudou pour y demeurer, le deuil qu'on fait quand on a été limogé, on reste perplexe. Sauf les initiés, qui savent qu'un portefeuille de ministre ça rapporte gros, ça rend millionnaire ou milliardaire, selon qu'on est au bon endroit, qu'on est intelligent ou vicieux, qu'on a un bon sens des affaires et qu'on ne s'embarrasse pas trop de scrupules.

Comment s'y prennent-ils?

Le premier réflexe d'un ministre qui veut se faire de l'argent au lendemain de sa nomination, est de s'occuper des fournitures et des services divers au ministère dont il est le patron. Il y a l'entretien des bureaux, la fourniture du matériel, crayons, papiers, cartables, mobiliers, véhicules, etc.

Le ministre, tout nouveau, crée alors une société de fournitures générales, sous le nom d'un frère ou d'un homme de confiance, de sa maman - même si celle-ci est déjà décédée - , quand ce n'est pas sous celui de madame. On surfacture un peu, rien de bien grave, même si on ne livre rien. Mais monsieur le ministre (ici on aime dire "Son Excellence") sait se faire payer, en priorité, sur un coup de téléphone pressant à son collègue de l'Economie et des Finances.

Si le topo des fournitures diverses n'engraisse pas suffisamment, on passe au bâtiment, au génie civil ou aux travaux publics. Ainsi, l'ex-ministre des Travaux publics, Jean Baptiste Bokam, limogé en décembre 1997, n'avait pas hésité à confier le chantier de reprofilage des routes à son épouse. Seulement, après une brouille née d'une répartition inéquitable du pactole ainsi engrangé entre les parties prenantes de l'entreprise, l'affaire a été rapportée dans les journaux.

Un autre, ancien député sous l'ère du parti unique, disposait jadis d'une petite entreprise de vente de matériels informatiques. Aujourd'hui ministre chargé des relations avec l'Assemblée nationale et connu pour être un des "missi dominici" du régime, il a cultivé l'art d'obliger ses interlocuteurs. Grégory, comme l'appellent affectueusement ses admirateurs, sait négocier tous les marchés d'entretien du parc informatique dans les entreprises publiques. Il est lui-même informaticien de formation, même si nombre de ses collègues disent qu'il a sérieusement besoin de refaire ses classes. Et ça rapporte quelque deux cents millions de francs par an, même si les ordinateurs ne sont jamais nettoyés: on sous-traite à un consultant l'installation de nouveaux logiciels, et le tour est joué.

Après le marché des "divers", il y a les grands contrats à signer et les grands projets à approuver. Un ministre des Postes et Télécommunications qui doit négocier la passation d'un marché de téléphonie urbaine avec une multinationale a droit à ses commissions pour bonnes diligences. Ce fut notamment le cas avec la signature du contrat de cession de la société Intelcam (International Telecommunications of Cameroon), pour lequel le ministre exigea une somme de 240 millions qu'il obtint d'une importante société française. C'est prévu sous tous les cieux, alors tout le monde ferme les yeux, et les montants atteignent parfois le milliard. La multinationale n'y perd rien, elle rallonge la facture d'autant...

Le Minefi (2), siège du système 30%

Le ministre de l'Economie et des Finances, lui, a la tâche relativement facile, spécialement quand il doit gérer une dette intérieure d'un millier de milliards. C'est le "système 30%". Il n'ouvre pas boutique, il commet une armée de démarcheurs qui font l'affaire auprès des clients créanciers de l'Etat. Ces derniers cèdent facilement, vu le nombre d'années passées avant que leur nom soit sur la liste des heureux bénéficiaires du paiement à venir. Pour cent milliards de payés dans l'année, on empoche 30 milliards: 30%.

A retenir que c'est ce système de 30% des Finances et la corruption généralisée de l'appareil étatique camerounais qui ont été à l'origine de la campagne contre la corruption lancée en avril dernier. Mais elle fut brutalement interrompue, juste après trois semaines de tintamarre dans les médias publics, suite à des pressions diverses.

Les choses sont encore plus juteuses lorsqu'on gère des opérations financières internationales, comme ce fut le cas pour la dévaluation du franc cfa, en 1994. Monsieur le ministre planque l'argent de l'Etat en lieu sûr, laisse passer le vent, et est riche de la moitié du pactole dévalué. On n'y voit que du feu, le délit d'initié n'étant pas encore défini au Cameroun comme crime économique.

Dons d'organismes détournés

A côté des ministres qui jonglent avec les signatures et les documents, il y a ceux qui doivent jouer avec des choses matérielles. Quand on est ministre des Affaires sociales, il n y a pas beaucoup de marchés à passer ou de projets à approuver. Mais il y a les dons d'organismes internationaux: des tricycles pour les handicapés, par exemple. Son Excellence organise une première grosse cérémonie, hypermédiatisée, pour la réception officielle des engins à trois roues. Ensuite, une seconde réception pour distribuer ces engins àquelques malheureux soigneusement sélectionnés. Le reste des tricyclettes finit chez un concessionnaire de la place qui les écoule tranquillement, non sans avoir reversé le montant convenu.

Au ministère de la Culture (son budget de fonctionnement est le plus petit de tous les ministères), les occasions de fêter sont rares et les caisses sont chiches. Alors, on s'en prend au musée national et on le spolie de ses sculptures, statues et autres objets d'art, défenses d'éléphants et peaux de serpents. Seulement, il arrive que des statues échouées en Occident - comme la célèbre statue Afo Akom aux Etats-Unis - commencent mystérieusement à revendiquer avec bruit d'être ramenées à la maison... Les mauvaises (?) langues disent que Monsieur le ministre de l'époque en savait beaucoup sur cette affaire...

Quand Son Excellence devient politique

Quand le ministre ne voit pas du tout passer les contrats, il devient politique. S'il est au Comité central du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir), c'est beaucoup mieux. Il devient très actif au village, où chacun de ses déplacements est couvert par la télévision nationale. Il joue les épouvantails pour être désigné comme chef de la délégation du parti pour les campagnes électorales. Les caisses noires circulent et, en tant que chef du parti, tous les chefs d'entreprise dans le coin lui sont acquis. Ils sortent les trésors de guerre.

Quand les campagnes sont terminées, il reste de multiples occasions: anniversaire de l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême, énième anniversaire de la naissance du parti, etc. Tout le monde doit cotiser, mais très souvent, on n'organise rien et l'argent collecté finit dans les poches d'un malin.

D'autres ministres, pas assez politiques, n'ont rien et menacent de finir pauvres. Ils donnent alors dans les voies de fait financières. Pas compliqué: on barbote l'argent destiné à payer les primes aux "Lions indomptables" (l'équipe nationale de football) ou encore on se fait virer à soi-même les fonds du ministère. Il n y a pas de preuves. Et puis, quoi encore? On ne met pas un ministre en prison parce qu'il s'est approprié quelques petits millions de francs au Cameroun. L'immunité ministérielle existe bien. Même lorsque madame, à la maison, entretient un réseau de braquage de véhicules.

NOTA - (1) Politique initiée par M. Biya lors de son accession à la présidence en 1982. Elle prônait dans ses grands axes, la démocratie, la liberté, la transparence, la rigueur et la moralisation publique. A cette époque, le Cameroun sortait d'une longue dictature ayant "sauvagement assagi" les Camerounais. -         (2) Ministère de l'Economie et des Finances.

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