ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 355 - 01/11/1998

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Cameroun

Les honneurs perdus de la police camerounaise


by Jean David Mihamle, Yaoundé, septembre 1998

THEME = DROITS DE L'HOMME

INTRODUCTION

Engluée dans la corruption, le racket, la torture et l'indiscipline,
la police camerounaise n'a pas bonne presse.
Alors que le public paie la note salée de ses dérives,
une thérapeutique de choc s'impose.
Evocation de quelques bavures d'anthologie
à l'orée du cinquantenaire des droits de l'homme.

Si les jurés de Stockholm avaient eu le sadisme d'instituer un prix Nobel de la torture, nul doute que le Camerounais Jacques Bama, inspecteur de police au commissariat du 3e arrondissement de Yaoundé, à défaut de remporter l'édition 97, figurerait tout au moins parmi les nominés. Et pour cause: sa trouvaille sur "l'art de faire parler efficacement un gardé à vue récalcitrant" est vraiment géniale.

Novembre 97

Près d'un an déjà. Pour extirper les aveux à un suspect, peu disposé à avouer le vol d'instruments électriques, l'inspecteur de police a mis au point et expérimenté la redoutable technique du "repassage". Elle consiste à chauffer un fer à repasser à point, ensuite à "caresser" le corps - bijoux de famille inclus - jusqu'au sang. Emile Njock, 22 ans, mécanicien au garage "La confiance", du quartier Nvog-Ada à Yaoundé, cobaye de circonstance, n'a pu résister longtemps aux supplices de son bourreau. Après un coma d'environ 30 minutes en cette nuit fatidique du 2 au 3 novembre 97, il rendit l'âme. "Le rapport médical des médecins légistes stipule que Njock est mort d'hémorragie interne". Cela s'est passé dans le silence austère et macabre d'une odieuse cellule du commissariat du 3e arrondissement de Yaoundé, sous le regard médusé et impuissant d'une vingtaine de "gardés à vue".

Pris de panique, l'inspecteur crut dans un premier temps trouver son salut dans la fuite, avant de se rendre finalement à la justice, le 20 novembre 1997. Arrêté le même jour, il fut placé sous mandat de dépôt et déféré à la maison d'arrêt de Nkondengui Yaoundé. Là-bas, il rejoignit le responsable de son unité de commandement, le commissaire de police Joseph Nsom, inculpé finalement pour complicité de torture.

Si l'on s'en tient aux dispositions du code pénal camerounais, les prévenus risquaient l'emprisonnement à perpétuité. En effet, l'article 132 (bis) stipule: "est puni d'un emprisonnement à vie, celui qui, par la torture, cause involontairement la mort d'autrui". Le 26 juin 1998, le tribunal de grande instance de Yaoundé condamna le commissaire Nsom et l'inspecteur Bama respectivement à 6 ans et 10 ans d'emprisonnement ferme et à 15 millions de Fcfa de dommages et intérêts à verser à la partie civile.

Une mort de trop

Indolents comme de coutume, les Camerounais ne s'étaient pas encore remis du choc consécutif à cette "dérive autoritariste", que l'on apprit trois jours plus tard la mort d'un autre citoyen au commissariat du 5e arrondissement de Yaoundé (quartier Ngoa-Ekelé) dans des circonstances troubles. Une mort de plus, une mort de trop. Macabre loi des séries qui, curieusement, ne souleva guère les réprobations des ONG<+> locales de défense des droits de l'homme.

Le 5 novembre 1997 au quartier Melen à Yaoundé, M. Djouomegni (la victime de regrettée mémoire) est interpellé et conduit manu militari au commissariat du 5e arrondissement par une patrouille de policiers. Motif: "occupation anarchique de la voie publique". Selon des témoins, les policiers lui avaient intimé l'ordre de se retirer du trottoir. Le mécanicien aurait alors résisté aux injonctions des policiers, qui prirent cela pour un défi. L'information judiciaire ouverte par le parquet de Yaoundé a mis en évidence des violences physiques sur Djouomegni avant sa mort. Les policiers responsables de ces abus ont été inculpés de meurtre et déférés à la maison d'arrêt de Nkondengui, où ils purgent de lourdes peines de prison.

Les policiers ne sont pas au-dessus des lois

Le 27 novembre 1997, Luc Loé - encore délégué général à la Sûreté nationale avant son remplacement le 7 décembre 1997 par Bell Luc René - réagissait vivement par média interposé. Dans une interview exclusive au quotidien gouvernemental "Cameroun Tribune", il affirmait que "(...) le haut commandement de la police veut que la lumière soit faite sur ce cas de torture et de brimade pour qu'il soit démontré que les policiers ne sont pas au-dessus des lois".

Belle déclaration d'intention, qui résiste difficilement à la critique. Car les décès cités plus haut sont loin d'être des cas isolés. C'est le prolongement logique d'une longue tradition qui, jusqu'aujourd'hui, a érigé en norme les sévices corporels et autres traitements dégradants dans plus d'un commissariat de police. Les témoignages de personnes ayant eu le triste privilège de séjourner dans ces lieux, décrivent les cellules des commissariats comme des véritables "antichambres de l'enfer". Outre la promiscuité et l'absence d'une hygiène minimale, le quotidien de la garde à vue est rythmé par des raclées et autres sévices aux noms aussi évocateurs que "la balançoire, les cafés" et plus récemment "le repassage" (appellation d'origine contrôlée: c'est du "made in Cameroon").

Le zèle démesuré des policiers

Qui plus est, le zèle de certains policiers frise parfois le sacrilège. La triste odyssée du magistrat Obama, dans les méandres du commissariat du premier arrondissement de Yaoundé en 1994, est encore gravée dans les mémoires. Substitut du procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Yaoundé, le magistrat Obama effectuait une tournée d'inspection dans les cellules du commissariat pour s'assurer de la régularité des procédures, lorsqu'il fut violemment pris à partie par des policiers zélés. Déshabillé et laissé en petite tenue, il reçut dit-on une mémorable raclée avant d'être jeté dans une cellule infestée de redoutables malfaiteurs.

Même si les coupables furent punis à la mesure de leur forfait, il n'en demeure pas moins vrai qu'une grave fracture subsiste encore entre la police et le public. A cet égard, les divers noms d'oiseaux dont on affuble les policiers sont riches d'allusions. "Mange-mil", ainsi les appelleþt-on couramment, par allusion à ces oiseaux qui s'abattent régulièrement sur les récoltes de céréales dans le nord Cameroun, répandant au passage famine, désolation et consternation. De plus, l'opinion publique associe la police à la vague d'insécurité qui déferle sur les principales villes du pays. Non sans raison. Certaines prisons n'hébergent-elles pas des policiers "pourris" accusés d'intelligence avec des bandits?

Manifestement, la police camerounaise a du plomb dans l'aile. Au- delà de simples solutions de replâtrage ou de rafistolage, une thérapeutique de choc s'impose. Plus qu'une urgence, la réhabilitation de la "police des polices", mise au goût du jour par Gilberd Andze Tsoungui, alors numéro un de la police, est un impératif. Il y va de l'honneur de la police camerounaise, de la sécurité des personnes et des biens.

L'essor du Cameroun qui, plus que jamais, a besoin de prendre un nouvel envol économique est à ce prix.

END

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