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by Missé Nanando, Tchad, juin 1998
THEME = VIE SOCIALE
Depuis plus de 10 ans, la préfecture du Chari-Bagirmi
subit une pression démographique qui risque de la faire exploser.
Comment cela se fait-il et quelles en sont les conséquences?
La préfecture du Chari-Bagirmi, avec ses 720.941 habitants, est la plus peuplée de toutes les régions du Tchad. (La plus petite, le Borkou-Ennedi-Tibesti n'en compte que 73. 188). Cette forte densité s'explique principalement par le fait que cette région comprend la capitale N'Djamena. Or, les deux grandes sécheresses (1974 et 1984) qui ont frappé le Sahel, et en particulier le Tchad, ont fait fuir les populations d'autres préfectures pour trouver refuge à N'Djamena, où les aides humanitaires étaient régulièrement distribuées aux victimes de la famine. Une fois la calamité terminée, ces personnes déplacées n'ont pas regagné leur ancien territoire.
La plupart de ces réfugiés étaient des éleveurs nomades en provenance du nord du pays et des cultivateurs venant du sud. Certains se sont lancés dans de petits métiers (forgerons, tailleurs ambulants, blanchisseurs, vendeurs à la sauvette, etc. ). D'autres se sont dispersés dans la brousse autour de la capitale, à la recherche d'une bonne terre à labourer ou pour faire de l'élevage, détériorant ainsi encore plus le paysage déjà en proie à une grave désertification.
De plus, ces derniers temps, des jeunes désoeuvrés de la capitale se sont abattus massivement sur le monde rural à la recherche d'un gagne- pain. Ils y viennent cultiver des patates et des concombres pendant la saison des pluies, mais repartent à N'Djamena en saison sèche après avoir moissonné et vendu leurs produits. Des villages comme Massenya, Bousso, Maylaw, Ali Garga et Koundoul sont envahis par ces jeunes qui retournent à la terre. Ceux-ci abattent de gros arbres pour fabriquer du charbon de bois, chassent les reptiles comestibles et des petits ruminants sauvages. Cette cohabitation d'intérêts hétéroclites constitue un volcan qui risque d'entrer en action un de ces jours.
Parmi les nouveaux venus, il faut noter en particulier les Arabes venant du Batha, du Salamat et de Biltine. Ceux-ci éprouvent aujourd'hui de sérieux ennuis de coexistence avec les autochtones, paysans bagirmiens et éleveurs peuls fortement implantés depuis des siècles. Ce qui pose souvent problème, c'est qu'ils cherchent à soumettre les autochtones à leur pouvoir.
L'espace vital étant réduit, des querelles de terres éclatent entre les éleveurs et les agriculteurs sédentaires. Les deux communautés ne s'entendent pas sur les modalités de partage de cet espace vital. Les éleveurs ne comprennent pas ou font semblant d'ignorer l'importance de la jachère, chose fondamentale pour un agriculteur. Ils envoient leurs bêtes détruire la jachère, soulevant de sanglants conflits. Or pour un paysan, un terrain surexploité doit pouvoir se reposer pour se reconstituer. Ce conflit tend à devenir endémique et les différentes solutions esquissées à travers forums et conférences-débats sont loin de satisfaire les deux parties.
A cette cohabitation explosive, il faut ajouter les agents des Eaux et Forêts qui, acculés par des arriérés de salaires et la conjoncture économique, créent un nouveau conflit en se livrant dans les campagnes reculées à des pratiques fort contraires à leurs attributions. Ces véreux fonctionnaires vivent sur le dos des populations rurales, au point que le député de Bousso, Al Hadj Tahirou, est monté au créneau pour dénoncer la situation.
Citons quelques cas. En rentrant des champs, un paysan a tué un écureuil pour varier un peu son alimentation. Repéré par les agents des Eaux et Forêts, il a dû payer une amende de 50.000 fcfa. Une somme vraiment exagérée, vu le revenu de ce malheureux paysan: un écureuil coûte entre 200 et 300 fcfa sur les marchés de la brousse.
Il en est de même pour cet éleveur qui avait piégé derrière son campement une hyène qui avait dévoré son veau. Il a également été condamné à payer 50.000 fcfa. C'est encore le cas d'un paysan chez qui on a trouvé une hache et qu'on a accusé d'être un braconnier. Or, la hache fait partie des armes traditionnelles des agriculteurs. Le paysan a été attaché derrière un cheval et traîné par terre.
On peut se demander si ces fonctionnaires de l'Etat sont des agents assermentés. Dès que quelqu'un de courageux essaie de s'opposer à eux, ils lui demandent goguenards: "Est- ce toi qui nous a placés ici?". Un euphémisme pour dire qu'ils ne répondent qu'aux autorités centrales qui les ont affectés en brousse.
Si rien n'est fait rapidement dans ce conflit qui empoisonne l'atmosphère, c'est tout le pays qui va s'embraser. D'ailleurs ces genres de conflits entre paysans et agents de l'Etat sont aussi monnaie courante les derniers temps dans le reste du pays. A Nokou, par exemple, une localité d'une autre préfecture, la Ligue tchadienne des droits de l'homme a dénoncé, le 24 février dernier, par un vigoureux communiqué de presse, le fait que "les agents de sécurité sèment l'insécurité dans le pays". Il faut dire que cette haine entre ruraux et agents de l'administration est la conséquence directe de la tribalisation des nominations à des postes de responsabilité. Le fonctionnaire se sent lié d'abord à celui qui a participé à sa nomination.
Dans un pays longtemps miné par des conflits armés, par un certain repli identitaire et par des indices notoires de pauvreté, des troubles peuvent à tout moment remettre en cause sa relative stabilité. Aussi, la situation explosive que vivent les populations du Chari-Bagirmi n'est pas de nature à encourager les efforts de développement du monde rural qui se font à travers les conventions signées entre les partenaires du Nord et la République du Tchad.
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