ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 356 - 15/11/1998

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Sénégal

Vues sur une société


by Alain Agboton, Sénégal, septembre 1998

THEME = VIE SOCIALE

INTRODUCTION

Quatre petits flashes sur la société sénégalaise
qui peuvent nous aider à mieux comprendre
le pays, sa culture et les défis que lui pose la modernité

I - Femmes et mondialisation - "Genre, mondialisation et développement humain": tel est le thème qui a réuni pendant trois jours, mi-septembre à Dakar, une cinquantaine d'experts et de chercheurs, en majorité des femmes, venus d'Afrique, d'Asie, et des Caraïbes. Le tableau est plutôt alarmant: la marginalisation des femmes est multiforme par rapport à l'accès et au contrôle des facteurs de production. On nota en particulier leur difficulté à bénéficier de conditions salariales et de protection sociale décentes, et la non prise en compte de leur travail de reproduction et de leur apport à la vie sociale.
La question fut posée si les femmes africaines, compte tenu du faible niveau de leur formation, ne verraient pas leur position encore plus précaire dans une situation d'extrême libéralisation, de libre compétition et de course aveugle vers une maximisation du profit. Aujourd'hui, a-t-on déploré, un niveau sans précédent de détresse humaine et de pauvreté frappe les peuples déshérités de la terre, et les peuples africains en particulier. Ces déséquilibres sont encore rendus plus dévastateurs par la permanence et l'aggravation des inégalités entre hommes et femmes.
Initiatrice de la conférence, l'Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (AFARD), a fait également remarquer que les femmes ont payé un "lourd tribut", social et économique, aux décisions macro-économiques. Victime des violences et des guerres, initiées par l'homme africain anxieux de l'érosion de son pouvoir politique, la femme africaine porte sur ses épaules le poids des crises qui secouent les sociétés et les empêchent de s'unir dans un élan de solidarité commun pour la création d'espaces économiques viables.
En fait, la mondialisation constitue une "menace" pour les économies africaines, s'est-on exclamé. Aussi notre continent se doit-il de formuler un nouveau modèle de développement endogène. C'est pourquoi il fut décidé de créer un Comité africain de femmes experts sur "le genre, la mondialisation et développement humain" et un observatoire des femmes africaines sur les institutions financières internationales. Un véritable plan contre l'exclusion s'est ainsi mis en place. Des stratégies et des instruments ont été développés pour renforcer la capacité des femmes et de leurs organisations.

II - Révolution féminine pour l'an 2000 - A l'horizon 2000, quel est le profil qui se dessine pour la femme sénégalaise? A l'initiative du ministère de la famille, de l'action sociale et de la solidarité nationale, un séminaire s'est tenu récemment pour examiner les grandes lignes des changements devant déterminer les conditions de vie et d'expression de la femme sénégalaise. On a cherché à mettre à nu l'ensemble des dispositions législatives qui lui sont défavorables et à harmoniser les lois nationales avec la convention des Nations unies sur l'élimination de toutes formes de discrimination. Le code du travail, le code de la famille, le code de la nationalité et les questions relatives aux mutilations sexuelles, ont été passés au peigne fin. Résultats des travaux: une série de recommandations, pour le moins audacieuses.
Ainsi, en lieu et place de l'autorité paternelle, il a été proposé l'autorité parentale; ce qui n'est pas, évidemment, sans incidence sur le statut du chef de famille. Les allocations familiales seront réparties entre les conjoints salariés. L'époux étranger pourra bénéficier de la nationalité de par son mariage. La nationalité sera accordée à l'enfant légitime né d'un père ou d'une mère sénégalaise. L'avortement et la tentative d'avortement seront "excusables" suite à un viol, un inceste. Les mutilations sexuelles seront passibles de peines de prison. L'idée de la création d'un "Observatoire des droits des femmes" a été agitée et il est fort probable que, dans les mois à venir, il soit mis sur pied. Il aura pour mission de contrôler, protéger et promouvoir le statut de la femme et de la jeune fille, et de former et sensibiliser l'opinion publique. Sous ces rapports, en tant qu'organe de contrôle, d'alerte, de concertation, de conseil et de mobilisation sociale, cet observatoire veillera à l'application par le Sénégal de ses engagements internationaux, stimulera ou impulsera des réformes législatives conformes aux aspirations légitimes des femmes eu égard aux mutations sociales.

III - Débat sur la polygamie - Au Sénégal, il est difficile de rester fidèle! Si l'on en croit un petit sondage réalisé par un journal de la place, huit maris sur dix seraient infidèles. Dans ce pays, musulman à 90% et polygamique à un peu plus de 50%, ces chiffres sont à relativiser.
Il n'en reste pas moins que, pour expliquer ce phénomène, les raisons avancées, par les femmes principalement, sont la nature insatiable des hommes ("on ne peut satisfaire les hommes", dit-on), et les nombreuses tentations (les Sénégalaises sont élégantes et aguichantes, mais aussi... aguicheuses). Il s'en est trouvé, par contre, pour remarquer que "l'infidélité n'est pas forcément synonyme de manque d'amour". L'infidélité est, en tous cas, partagée entre les deux sexes. Il y a quelque deux ans, une polémique a fait rage au Sénégal. Il s'agissait d'une étude de deux universitaires, suggérant de limiter la polygamie à deux épouses (au lieu des quatre "permises", par le Coran, rappelait-on). Ce débat va être relancé. Tout au moins au Sénégal. Un protocole sera adjoint à la Charte africaine des droits de l'homme, demandant l'interdiction de la polygamie. C'est le résultat récent d'une consultation tenue par des organisations de défense et de promotion des droits de la femme et des ONG de droits humains.

IV - 900 associations islamiques - Il existe au Sénégal quelque 900 associations islamiques, ou se réclamant des préceptes du Coran, selon le ministère de l'Intérieur en charge des questions religieuses et de la gestion du mouvement associatif. Ces associations revendiquent 3,5 millions d'adhérents, soit 45% de la population totale du pays à 90% musulmane. Nombre d'entre elles sont liées aux "confréries" religieuses, comme les Mourides et les Tidianes, majoritaires. Certaines associations n'ont pas de reconnaissance légale, ce qui ne les empêche pas d'oeuvrer sur le terrain. Ces organisations religieuses investissent dans l'éducation, l'enseignement de la langue arabe, la théologie, l'humanitaire et le social. Si la création d'une bonne partie d'entre elles remonte aux premières années de l'indépendance, la plupart sont nées dans la foulée de la révolution islamique iranienne qui, en mettant en cause le monde occidental et ses valeurs "dégradantes", entendait parallèlement signer la "renaissance de l'islam".
Ces associations, dont la représentation dans les régions est très inégale, drainent beaucoup de milliards de CFA venant principalement de l'Arabie Saoudite, des Emirats arabes, du Koweit et d'Iran. En plus de ces subventions, il y a encore les cotisations des membres. Elles représentent une force sociale appréciable et une force politique et électorale de première importance. A preuve, les chefs des confréries sont courtisés surtout à l'approche des élections. D'ailleurs, les Mourides ont souvent donné un "ndiguel", ou consigne de vote, en faveur du Parti socialiste au pouvoir. Fait peu courant, cette année, en mai dernier à l'occasion des législatives, cela n'a pas été le cas. De grandes figures de cette galaxie, comme Modou Kara Mbacké et Moustapha Sy (appartenant à des confréries différentes), envisagent de se présenter aux prochaines présidentielles, en février 2000.

END

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