ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 356 - 15/11/1998

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Sénégal

Légalisation de la médecine traditionnelle


by Alain Agboton, Dakar, Sénégal, septembre 1998

THEME = SANTE

INTRODUCTION

Est-il possible et pertinent d'assainir, formaliser, structurer et réglementer
la médecine traditionnelle? Le Sénégal tente, à travers un projet de loi, de légaliser la pratique
et de gérer les tradipraticiens, un secteur informel ayant ses spécificités et ses réalités propres.

Le texte de ce projet fait actuellement l'objet d'une large consultation pour "appréciation" par les différents acteurs du secteur. Le ministère de la santé, pilote et artisan de cette délicate opération, n'en cache pas les difficultés. L'acuité de nombreuses résistances, réticences et contraintes objectives, est une réalité. Depuis que la dévaluation du CFA, en 1994, a renchéri les prix des médicaments, la médecine traditionnelle a regagné du terrain. On estime à quelque 80% la proportion de la population qui consulte les tradipraticiens. En plus de l'aspect financier, il faut reconnaître que les médicaments génériques, promus par les instances sanitaires internationales, sont loin de régler avec satisfaction les problèmes de santé. Au Sénégal, il y a un médecin pour 16.000 habitants, soit cinq fois moins que ne l'exige la norme internationale. D'autre part, depuis la dévaluation, on déplore une implantation anarchique des pharmacies à Dakar, au mépris des normes internationales de répartition géographique. Le Sénégal tente d'organiser cette médecine présentée comme "alternative". En réalité, elle ne l'est pas, dans la mesure où elle fait partie du patrimoine national et où elle est l'objet du plus grand nombre de consultations. D'ailleurs, au Sénégal, qui ne s'adresse pas à la fois à la médecine moderne et traditionnelle?

Recensements

Mais beaucoup d'obstacles doivent d'être levés. La première étape est celle du recensement et de la sélection des tradipraticiens. Dans la région de Fatick (à quelque 150 km au sud-est de Dakar) - où se situe le Centre de Malango, un hôpital traditionnel très connu et très fréquenté par Sénégalais et étrangers et qui est dirigé par un médecin à formation moderne et classique - 450 tradipraticiens ont été recensés. 95 l'ont été dans la région de Dakar et 87 dans la région de Thiès.

Ce recensement, engagé dans 6 régions sur les 10 que compte le pays, n'est pas encore terminé et n'est pas du tout aisé. C'est que le secteur des guérisseurs (sans connotation péjorative) est marqué par une "démographie galopante", où foisonnent et sévissent aussi beaucoup de charlatans.

Il s'y ajoute que le mysticisme enveloppe la médecine traditionnelle de halos de mystères plus ou moins fondés. Ce phénomène pèse comme une chape de plomb sur ces milieux particulièrement "jaloux" de leurs savoirs et de leurs connaissances. En effet, nombre de médecins traditionnels excluent ou, au mieux, ne sont pas prêts à collaborer avec la médecine moderne. La question de la transmission de leurs connaissances et savoirs, qui se fait de père en fils, n'a jamais été et ne sera jamais tranchée définitivement. S'y greffe le problème des vertus pharmacologiques des plantes, dont dépendent leur exploitation et leur reconnaissance, ainsi que la préservation de l'environnement naturel.

Questions en suspens

Le gouvernement reproche à nombre de tradipraticiens de travailler dans l'illégalité. Illégalité? Vraie fausse interrogation car, de fait, à maints égards la réponse n'existe pas, la légalité étant une question de convention.

Le projet de loi fixe les termes de la définition des critères de reconnaissance d'un tradipraticien et il prescrit que nul ne peut exercer la médecine traditionnelle ou vendre des remèdes traditionnels, s'il n'est agréé par le ministère. Le tradipraticien, souligne-t-il encore, doit être détenteur d'une carte professionnelle pour l'obtention de laquelle un dossier doit notamment comprendre une enquête de moralité et une reconnaissance par ses pairs. Mais comment définir le niveau de compétence et la manière de l'estimer? En tous cas, la longueur des procédures administratives ne peut être du goût des guérisseurs dont l'analphabétisme est le handicap le plus courant. Leur réticence a été exacerbée, de surcroît, par les modes d'identification des maladies et du traitement voire la posologie des médicaments traditionnels administrés.

Le problème des honoraires n'est pas non plus pour aplanir les divergences et les difficultés. Il existe une tarification arrêtée par le Conseil national des tradipraticiens dont l'application est pour le moins hasardeuse et lacunaire.

Quant à l'éthique traditionnelle dont le projet de loi se fait l'écho, il est permis de s'interroger sur ses fondements. Il est stipulé que le guérisseur doit percevoir des honoraires en fonction de l'éthique médicale traditionnelle. Mais cette éthique existe- t-elle vraiment? Un serment d'Hippocrate pour tradipraticiens, notent certains analystes, brille par son absence. Un consensus devrait se faire sur la question et une conduite à tenir s'élaborer.

Le projet de loi condamne également la publicité à "caractère mercantile relative à l'efficacité de la pratique de médecine traditionnelle et ses remèdes sans autorisation de l'institution nationale habilitée". Une police est-elle possible dans ce secteur? Qu'en est-il en réalité? On voit par exemple, ces dernières semaines, un grand nombre de publicités dans les journaux qui font un formidable marketing pour des guérisseurs traditionnels ayant pignon sur rue. Une offre à propos de laquelle on ne manque pas de se demander si elle n'excède pas la demande, ou le contraire?

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