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by Martin Luther Mbita, Cameroun, octobre 1998
THEME = CORRUPTION
L'organisme allemand "Transparency International"
a classé le Cameroun au sommet des pays
les plus corrompus de la planète.
Furiex, le gouvernement camerounais
est monté au créneau
pour démentir cette information reprise
par plusieurs médias étrangers.
Qu'en est-il en réalité?
"Je ne peux admettre qu'on dise que, de tous les pays de la planète, le Cameroun soit le pays le plus corrompu. Est-ce que Transparency international a été en Italie pour voir comment ça se passe là-bas?". Cette déclaration d'une personnalité politique de la place prouve à quel point cette nouvelle a été accueillie avec indignation. On ne sait sur quels critères cette ONG s'est basée pour faire ce classement, qualifié ici de "ridicule". Mais, au fond, un constat se dégage au Cameroun: la corruption est encore dans les moeurs des populations au point qu'il est difficile de s'en débarrasser.
L'opinion camerounaise attribue l'intensification de la corruption à la hausse du taux de chômage et à la baisse des salaires des fonctionnaires. En effet, le chômage a pris une ampleur considérable et touche en majorité la jeunesse. Quand le Bureau international du travail affirme que, sur les 9 millions de citadins africains sans emploi, les trois quarts ont entre 15 et 24 ans, cela concerne certainement le Cameroun où, en raison de la déperdition scolaire, le besoin d'un emploi salarial, pour des milliers de jeunes, commence à l'âge de 12-13 ans. Face à cette situation, ceux-ci se lancent dans des entreprises périlleuses: contrefaçon de billets de banque, vol, corruption...
La baisse des salaires des fonctionnaires est intervenue à deux reprises (près de 70% en 1993 et 1994) pour des raisons "d'ajustement structurel", selon les autorités camerounaises. Les médecins, qui touchaient en moyenne 200.000 cfa, se retrouvent aujourd'hui avec environ 70.000 cfa. Ce qui a intensifié la corruption dans les hôpitaux publics.
Mr. Emmanuel X est enseignant retraité. Après avoir passé 20 ans au service de l'Etat, il décide en 1995 de prendre un repos bien mérité dans son petit village, à une trentaine de km de Yaoundé. Il dépose son dossier de pension au ministère de la fonction publique, sans "graisser la patte" des agents traitant ces dossiers. Conséquence: le sien est rangé sans suite.
Quelques mois après, quand il va s'enquérir de la situation, Emmanuel apprend que l'agent, auprès de qui il avait déposé le dossier, a été muté dans une autre province: son dossier est perdu et il faut tout reprendre, en pensant cette fois à la "motivation". Tirant les leçons de la première expérience, il décide de jouer le jeu. Quelques mois après, son dossier aboutit et il peut enfin aller toucher sa pension à la trésorerie de Yaoundé. Mais, le Jour J, se croyant arrivé au bout de ses peines, quelle n'est pas sa surprise en apprenant que le trésorier payeur prélève 30% sur le montant de toutes les pensions en guise de quote-part. Sur les 80.000 cfa, qu'il doit percevoir, il se retrouve avec 50.000 cfa, somme dérisoire, au regard des besoins de sa famille.
Combien de familles ont perdu un des leurs à l'hôpital Laquintine (le plus ancien et plus grand hôpital de Douala, capitale économique du Cameroun) pour ne pas avoir glissé une enveloppe à l'infirmier ou au médecin de garde? Le cas pathétique d'un jeune accidenté, qui a trouvé la mort le 24 décembre 1997 à l'entrée de ce fameux hôpital pour n'avoir pas fait "le geste qui sauve", amène à réfléchir. Le serment d'Hypocrate, prêté par ces médecins et infirmiers à leur sortie d'école, s'est transformé en "serment d'hypocrite". Les valeurs humaines sont bafouées au profit des intérêts égoïstes, transformant les dispensaires et les hôpitaux en véritables mouroirs.
La police est la corporation la plus corrompue, d'après les informations que nous avons recueillies l'année dernière auprès de quelques citoyens de Yaoundé et Douala. Ici, les barrières de police ont pignon sur rue. Les cibles de ces "gangsters en tenue" sont les conducteurs de taxis et d'autobus. Le "laissez-passer" oscille entre 350 cfa - le prix d'une bière - et 1000 cfa. Il est facile de voler un véhicule à Douala et de traverser tout le Cameroun pour le revendre ailleurs, à condition de débourser ces fameux 350 cfa à chaque barrière. Plus grave encore, un enfant de 9 ans a été décapité à Douala, en décembre 1996, par des expatriés qui voulaient vendre sa tête. Deux hauts cadres de la police ont comparu devant les tribunaux pour avoir cautionné cet acte macabre. Au procès, le juge a fait l'objet d'une tentative de corruption par les proches des inculpés. Aucun milieu n'est épargné par ce triste phénomène.
Sur le plan social, cette corruption tous azimuts entraîne la dépravation des moeurs publiques. La solidarité africaine, qui jadis voulait que l'on se montre sensible aux difficultés de son voisin, est reléguée aux oubliettes. L'argent passe pour être le moyen d'accès à tout service.
Sur le plan économique, de nombreux projets continuent d'être détournés par des délinquants économiques qui écument les allées des ministères. Bénéficiant de complicités insoupçonnables dans l'appareil administratif, ils détiennent des informations confidentielles relatives aux projets en instance ou en vue. Le réseau s'étend sur toute l'étendue du territoire camerounais. Ses ramifications vont des sociétés aux individus, des fournisseurs aux acheteurs, en passant par certains responsables financiers des services centraux et extérieurs des ministères et du trésor, dont les fonds peuvent être débloqués sans vérification préalable de leur usage. Conséquence, certaines régions sont privées de développement (routes, hôpitaux, électricité, adductions d'eau).
La corruption est institutionnalisée au Cameroun, ce qui complique davantage son éradication. De nombreuses mesures annoncées par l'Etat restent inefficaces. Les "baleines" continuent à agir sans en être inquiétées. Certains se font régulièrement élire député, bénéficiant ainsi de l'immunité parlementaire. Des mesures anti-corruption ont été prises par le premier ministre, Peter Musonge, qui a lancé une campagne anti-corruption. Mais, corrompus et corrupteurs ayant du mal à se défaire de leurs habitudes, cette campagne a été suspendue parce que des hauts fonctionnaires étaient impliqués dans les actes de corruption.
Ainsi, la corruption continue son bonhomme de chemin. "L'Effort Camerounais" (journal catholique paraissant à Douala), dans son numéro 106 du 13 au 19 octobre 1957, s'inquiétait déjà de son évolution au Cameroun en ces termes: "C'est devenu comme une loi non écrite, mais qui s'impose et à laquelle le peuple se soumet, résigné. C'est cela qui est gravement malsain". En classant le Cameroun aujourd'hui premier pays le plus corrompu du monde, l'organisme allemand "Transparency International" permettra peut-être au gouvernement du Cameroun de relancer cette campagne anti-corruption en passant aux mesures de répression.
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