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by Gideon Thole, Zambie, octobre 1998
THEME = PERSONNALITES
Une grande championne des droits de l'homme s'en est allée:
la Zambienne Lucy Banda Sichone
Des hommes, des femmes et des enfants, tous vulnérables, sont assis tranquillement en attendant leur tour dans un bureau de consultation juridique, à l'aspect extérieur assez sinistre. La pièce est trop petite pour les accueillir tous, et une réceptionniste demande poliment à certains d'attendre leur tour sur un banc, à l'extérieur du bâtiment. Ces gens ne sont que trop désireux d'attendre: ils ont trouvé une avocate dont le but n'est pas de vider leurs poches déjà si plates. Mais l'avenir de ce bureau de consultation, qui offre une représentation légale aux pauvres, est incertain.
La personne qui le dirigeait, la militante des droits de l'homme Lucy Banda Sichone, est décédée le 23 août à l'hôpital universitaire de Lusaka. Sichone, fondatrice et directrice de l'Association zambienne d'éducation civique (ZCEA), a fait d'une maison située à Lusaka, dans la zone résidentielle de Northmead, le secrétariat de son association. Jusqu'en 1993, les membres vulnérables de la société, victimes de leurs employeurs, du gouvernement, et même de leurs propres parents, n'avaient aucun espoir d'obtenir satisfaction en justice, vu les frais prohibitifs. Mais le courage et le travail de Sichone ont tout changé.
Même si sa santé laissait à désirer ces derniers mois, Lucy, comme l'appelaient familièrement ses admirateurs et ses amis, continuait à être au service de ceux qui étaient les plus proches de son coeur: les opprimés de tout le pays. Elle passait des jours entiers sur les routes dangereuses, pleines de fondrières, allant dans des régions isolées pour porter le message d'éducation civique à des groupes vulnérables. C'était une extraordinaire avocate des droits de l'homme offrant ses services aux ruraux, victimes de tous les abus de pouvoir.
Au cours de ses voyages, elle prenait le temps de parler aux écoliers, leur apprenant entre autres l'importance d'être de bons citoyens, de bénéficier de l'enseignement, de protéger leurs droits et de travailler avec acharnement. Cela reflétait son souci extraordinaire des moins privilégiés. Elle savait se montrer une amie, une lutteuse, une mère, et cela aux dépens de son bien-être personnel et de celui de ses enfants et des orphelins dont elle s'occupait. Dans les derniers mois de sa vie, Lucy, tout en défendant les droits des autres, se battit courageusement pour sa propre vie, jusqu'à la fin.
Lucy a été admise pour une semaine à l'hôpital privé Monica Chiumya, avant d'être transportée à l'hôpital universitaire gouvernemental où elle est décédée le 23 août. Sa mort fut une complète surprise pour beaucoup de ceux qui la connaissaient. Elle a mis fin prématurément à la carrière d'une des plus illustres et des plus controversées championnes des droits de l'homme.
On a dit que Lucy a engagé trop de batailles dans sa courte et remarquable carrière; elle a hérissé trop de gens et a attaqué trop impitoyablement ceux qui violaient les droits de l'homme. Sa vie fut un héritage de lutte. Elle a pris en charge, souvent gratuitement et avec zèle, les affaires les plus épineuses et les plus dangereuses.
Sichone était un des avocats qui avaient mis en cause la nationalité du président Frederick Chiluba dans une pétition électorale de l'opposition, suite aux élections controversées de 1996. Elle était aussi l'avocat de la défense de 79 personnes, pour la plupart des officiers de l'armée, accusées de trahison après le coup d'Etat manqué d'octobre 1997.
Une note passée en fraude de la prison centrale de Lusaka où se trouvent la plupart des détenus, disait: "Elle était un membre important de l'équipe de défense représentant 40 de ces détenus pour trahison. La mort de Lucy, c'est comme si une lumière s'était éteinte avant que la tâche ne soit terminée. Lucy a touché bien des coeurs à la prison, surtout parmi les jeunes et les plus démunis qu'elle représentait de façon désintéressée".
Sichone manquera aussi aux autres dirigeants du Mouvement civique zambien. La présidente du Anti-Voter Apathy Project (AVAP - Projet contre l'indifférence des électeurs), Bonnie Tembo, l'exprime ainsi: "Lucy était une héroïne, une véritable révolutionnaire. Elle a toujours figuré parmi les avocats qui traitent de cas extrêmement délicats sans la moindre crainte. Elle a offert sa vie pour les droits des autres".
Tembo avait été emprisonnée avec Sichone en 1991, sur une accusation de trahison. Toutes deux avaient été acquittées par le tribunal, ainsi que plusieurs chefs de l'opposition liés à Option Zéro, un prétendu complot destiné à faire tomber illégalement le gouvernement Chiluba.
Ne se faisant plus aucune illusion sur les organismes qui devraient renforcer le système juridique de l'Etat, Sichone n'hésitait pas à utiliser la loi pour redresser les injustices qu'elle voyait. Irritée par les réformes rurales de 1995, qu'elle estimait injustes et qui, disait-elle, privaient la plupart des Zambiens de leurs droits, elle a encouragé les gens de la campagne à prendre les armes pour défendre leurs terres. Lorsqu'un policier, avec son arme, blessa un suspect dans une cellule de la police, elle engagea une action qui aboutit à la condamnation du policier.
La polémique - en paroles et en actes - faisait partie de la vie de Sichone. En tant que chroniqueur à temps partiel, elle a été condamnée avec deux autres journalistes du "Post" à une peine de prison indéterminée pour outrage au Parlement; ils avaient mis en question la compétence du président de la Chambre, Robinson Nabulyato, et d'autres représentants. Sichone qui avait alors une petite fille de trois mois, entra dans la clandestinité jusqu'à ce que les choses se calment.
L'action la plus controversée de Sichone fut peut-être sa manifestation solitaire de protestation contre les coups de feu tirés par la police contre d'anciens chefs de l'opposition, l'ancien président Kenneth Kaunda et Rodger Chongwe, lors d'une réunion politique à Kabwe, en août 1997. Lorsque le président Chiluba arriva à l'aéroport international de Lusaka à son retour d'Israël, Sichone le salua par un écriteau portant le message suivant: "Bienvenue en Zambie, notre massacre de Sharpville". Les partisans du parti au pouvoir ont réagi en la tabassant.
Bien que retirée de la politique active depuis 1992, Sichone se voyait présidente en attente. A plusieurs occasions, elle a annoncé publiquement qu'elle était sûre de gagner les élections présidentielles de 2001 comme candidate indépendante. "Le meilleur moyen d'améliorer la condition du peuple, c'est d'être chef de l'Etat et je me prépare à l'être," me confiait-elle peu avant sa mort. "Mon coeur n'aura pas de repos avant que je voie une Zambie économiquement libérée où les droits de l'homme sont tenus en haute estime".
Kenneth Kaunda: "Cette jeune femme était un très grand penseur. Nous avons perdu une grande patriote. Sa mort est une perte terrible pour la nation tout entière. C'était un personnage sans peur, elle ne craignait personne quand il s'agissait de son travail". George Kunda, avocat éminent et un de ses amis de longue date: "La mort de Sichone est une tragédie car nous avons perdu notre courageuse avocate. Il est rare de trouver des avocats de l'envergure de Lucy. Ce n'est pas qu'à la profession juridique qu'elle manquera, mais aussi aux membres indigents de la société à qui elle se consacrait".
Au moment de sa mort, cette avocate de 43 ans était sans doute la personne la plus recherchée par tous ceux dont on avait violé les droits, surtout les pauvres des régions éloignées. Personnalité très ouverte, plusieurs fois récompensée pour son travail par les organisations des droits de l'homme, c'était une figure familière des réunions qui traitaient du développement et des droits de l'homme.
Sichone était née en 1955 dans le nord du Copperbelt, en Zambie, fille du mineur Robert Banda et de Lily Mulenga Banda. Elle a été à l'école au Copperbelt et étudia le droit et la politique à l'université de Zambie. Elle travailla ensuite pour le géant minier Zambia Consolidated Copper Mines (ZCCM), comme superintendante de la mine. Peu après avoir accédé à une fonction de direction aux ZCCM, elle démissionna pour rejoindre le Parti uni pour l'indépendance nationale (UNIP) de Kaunda, qui venait de perdre les élections en 1991. Dans le parti, on remarqua vite ses qualités de dirigeante et, dans l'année, elle fut élue membre du Comité central de l'UNIP, l'organe de décision du parti. En 1993, elle démissionna de l'UNIP et de la politique de parti pour former l'Association zambienne d'éducation civique (ZCEA).
Sichone repose depuis le 27 août au cimetière catholique de Kasisi. Elle laisse sept enfants, dont trois adoptés. Après sa mort, des militants des droits de l'homme ont proposé au gouvernement de lui accorder des funérailles nationales. Le gouvernement a refusé, officiellement parce qu'elle ne figurait pas dans les catégories de personnes à qui on accorde un pareil honneur. Mais la prise de position du gouvernement a fait imaginer qu'il ne voulait pas honorer Sichone parce que les hommes du parti au pouvoir la honnissaient à cause de ses critiques continuelles contre la corruption et la mauvaise gestion. Si certaines personnes la détestaient, il y en avait pourtant des milliers, surtout parmi les plus pauvres, qui la révéraient et l'aimaient.
Comme le père Daniel l'a dit à la messe de funérailles: "Les pauvres, les veuves et les démunis ont perdu une véritable amie. Mais les plus touchés sont les veuves et les orphelins".
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