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by Evaristus Chofor Fonkah, Cameroun, octobre 1998
THEME = SIDA
Il reste encore beaucoup à faire au
Cameroun
pour que les gens apprennent à vivre avec le sida
En 1984, un de mes amis qui travaille dans une clinique privée, me faisait comprendre que deux de mes collègues avaient le sida. Les deux travaillaient avec moi, dans le même département. L'un d'entre eux avait sa place juste devant moi, dans le même bureau. Il s'était marié avec une fille de 18 ans et ils avaient un petit enfant. Mon collègue devenait de plus en plus maigre et devait aller fréquemment aux toilettes. Visiblement, il était gravement malade, allant d'un centre médical à un autre et visitant même plusieurs centres de soins traditionnels.
Au Cameroun (et partout en Afrique noire), beaucoup de gens qui ne peuvent se permettre le prix élevé des soins hospitaliers, se font soigner par les guérisseurs traditionnels, convaincus parfois que seuls ceux-ci et les sorciers peuvent guérir certaines maladies.
Lors d'un de ses déplacements pour recevoir un traitement quelconque, mon collègue fut tué dans un accident de voiture, en même temps que son oncle qui l'accompagnait toujours à ces occasions. Il laissait une jeune veuve et un enfant. La veuve était sans emploi, et les deux moururent un an après.
Mon second collègue tint le coup jusqu'en 1987. Il avait fortement maigri et portait toujours un chapeau. Je croyais que c'était parce qu'il perdait ses cheveux. Il était toujours malade et on diagnostiqua une insuffisance rénale. Il dut subir plusieurs séances d'hémodialyse, qui devinrent de plus en plus fréquentes. On l'emporta finalement dans son village, où il mourut peu après.
Mes deux collègues savaient qu'ils avaient le sida. Mais beaucoup ne peuvent se permettre le "luxe" d'un diagnostic professionnel et médical.
L'Etat et l'Eglise se sont efforcés d'informer les gens sur le sida, mais on peut se demander s'ils ont fait assez. Le Cameroun est un pays pauvre et le financement des organismes pour combattre la propagation du sida est virtuellement inexistant. Dans un pays où l'Etat a le monopole sur les médias, c'est l'Etat qui décide ce qui doit être diffusé; mais il préfère les programmes qui rapportent de l'argent. Et ainsi le sida continue à se répandre sans contrôle.
L'Eglise a essayé de faire quelque chose en informant ses fidèles sur cette maladie mortelle, en insistant sur la fidélité maritale des couples. En même temps, elle condamne l'emploi du condom. Mais dans une société comme la nôtre, à grande promiscuité, prêcher la fidélité et l'abstention des condoms, c'est demander l'impossible. C'est pourquoi certains prêtres semblent avoir changé leur attitude sur ce point.
Des organisations non gouvernementales, tels que Population Services International, ont multiplié la distribution des condoms à prix réduits. D'autres, comme l'Association nationale du Cameroun pour le bien-être des familles, offrent aussi des consultations gratuites et distribuent des condoms.
Les rapports des Nations unies parlent d'une augmentation inquiétante du nombre des séropositifs en 1994-1997. Selon la même source, 15,9% de la population entre 15 et 49 ans étaient séropositifs ou avaient déjà le sida en 1997.
Ce n'est qu'une vue généralisée. Pour le Dr Nchinda Emmanuel, un pathologiste clinique très engagé dans la lutte contre le sida, il n'y a pas de chiffres précis sur la situation actuelle au Cameroun: "On fait des sondages dans les hôpitaux et parmi certains groupes comme les prostituées, les étudiants etc., mais la lutte contre le sida n'a pas encore atteint la base, où les vieilles habitudes de promiscuité sont encore très présentes. Les prostituées sont vraiment en danger. Leur taux d'infection au VIH est de 45% (et peut- être plus). On estime que 60% des prostituées à Ngoundere sont infectées et 80% à Mwog Ada, un district de Yaounde. C'est très alarmant. Heureusement, nous sommes déjà renseignés sur ce groupe et sur les dangers qu'elles représentent pour elles-mêmes et pour les autres".
Le Dr Gilles Kwende travaille à l'hôpital général de Bamenda, la capitale de la province du nord-ouest du Cameroun. Il est convaincu que la plupart des gens savent maintenant que le sida existe. Le problème est de trouver comment on pourrait les en protéger. Les gens ne s'en soucient pas; ils sont pauvres et ont confiance dans les guérisseurs et les charlatans, qui prétendent pouvoir guérir le sida. Il remarque, cependant, que le nombre des maladies vénériennes soignées dans son hôpital, est en diminution. Cela pourrait être un signe que les gens emploient maintenant le condom.
Le Dr Kwende se préoccupe surtout des jeunes, car ils ne se soucient nullement du danger attaché à leurs comportements sexuels. Il pense qu'on n'a pas encore trouvé une stratégie effective pour aider les patients du sida et contrôler la propagation de la maladie. "Le sida pour eux est une honte. Tout malade du sida est considéré comme un "déshonneur". Même les membres d'une même famille se désolidarisent. Par conséquent, les gens refusent d'admettre qu'ils sont atteints du sida et continuent à ignorer toute précaution pour ne pas le propager. Il n'y a pas de stratégie pour guider les gens dans leur vie sociale, et les aider ainsi à vivre positivement avec le sida et à ne pas en être honteux. Nous avons besoin d'assistants sociaux, de docteurs, de sociétés religieuses, qui soient prêts à travailler ensemble pour donner une meilleure perspective aux patients du sida. Mais, si nous voulons obtenir quelque succès dans ce domaine, nous avons surtout besoin de ressources et de personnel pour nos hôpitaux. Les gens doivent être prêts à accepter ce qu'on leur offre. J'ai bien peur que nous ne voyions le succès de si tôt, pas avant que le sida n'ait fait des ravages et certainement pas avant que la situation économique n'ait progressé".
Le Dr Afful George, directeur médical de la polyclinique Bonanjo, un centre médical renommé à Douala, trouve que la situation dans cette ville est alarmante. Les statistiques du plus grand hôpital gouvernemental de Douala, le Laquintinie, montrent que 20 à 25% de la population de Douala sont infectés du sida. La situation générale du Cameroun empire, dit le Dr Afful, et il impute la situation actuelle au comportement des gens, au manque d'éducation et aux habitudes de promiscuité. "Beaucoup pensent que tout ce qu'on leur dit du sida, c'est de la pure invention pour les détourner du plaisir" dit-il, et il ajoute: "Ce qui aggrave encore la situation, c'est que le bruit court que quand un médecin ne parvient pas à faire un diagnostic clair sur la santé d'un malade, il dit qu'il a le sida - ce qui n'améliore pas notre réputation".
La promiscuité hétérosexuelle influence aussi le taux très élevé des cas de sida au Cameroun. D'après le Dr Afful, chaque Camerounais formé devrait éduquer les autres sur le sida. Les parents en particulier devraient éduquer leurs enfants chez eux.
Il croit que le gouvernement à enfin compris que la situation devient de plus en plus sérieuse, et qu'il faut créer des centres et des organisations pour prendre soin des personnes atteintes du sida. Malheureusement, on ne fait pas assez de publicité sur les organisations existantes. Depuis 1990, le ministère de la Santé joue un rôle actif dans la lutte contre le sida, notamment en diffusant dans les stations radiophoniques provinciales des programmes d'information sur le sida dans les langues locales. Le gouvernement a comme règle de ne pas révéler les noms des personnes séropositives. Cependant certains groupes sont invités à venir voir de leurs propres yeux ce que c'est d'avoir le sida, surtout dans le stade terminal de la maladie. Beaucoup de centres spécialisés, comme celui de l'hôpital Laquintinie, ont une équipe de dépistage des sidéens et un programme de visites informatives.
Le Dr Nchinda, qui est aussi spécialiste en microbiologie et en maladies contagieuses, insiste sur l'importance des services pour conseiller les malades du sida. En mars 1998, le ministère de la Santé a créé un nouvel organisme pour la lutte contre le sida, avec à sa tête le professeur Peter Ndumbe, de l'université de Yaounde. Pour le moment il fait la révision du Programme national pour la lutte contre le sida et ses suites. Il organise à l'échelon local des groupes ayant une formation spécialisée pour dépister les personnes à risques et leur donner des conseils. Un traitement médical approprié leur est aussi offert.
La nouvelle Commission pour la lutte contre le sida a comme but de freiner les taux d'infections et d'attirer l'attention de la population sur les risques attachés au sida et de soigner ceux qui en sont atteints. La commission doit aussi suivre de près les informations venant de la base, qui seront ensuite analysées et pourront donner une image de la situation actuelle gobale du sida au Cameroun.
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