ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 362 - 15/02/1999

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Congo-Brazza

Véritable guerre d'usure


by S .Kibelolo et A. Ngourva-Nguengo, Congo-Brazza, jan. 1999

THEME = GUERRE CIVILE

INTRODUCTION

Evénements meurtriers dans la région du Pool,
dont les villageois et les religieux sont les plus grandes victimes

"Nous avons marché en file indienne sur des sentiers presque inexistants. Chaque fois qu'il y avait des bruits, on se cachait, pour ne pas se faire repérer. Nous avons fait trois jours de marche, de Kindamba dans la région du Pool à Brazzaville, 265 km sans manger. La nuit, de peur, on dormait dans les arbres...", raconte Christophe Malanda, un homme dans la soixantaine. De nombreux villageois sont restés dans les forêts en attendant que la situation s'améliore. Ils envoient leurs enfants acheter médicaments et vivres dans la capitale.

Cet exode est causé par les violents affrontements qui opposent les Ninjas, milice privée de l'éphémère Premier ministre Bernard Kolélas, aux militaires Cobras de Denis Sassou Nguesso, érigés en forces de l'ordre dans la région du Pool depuis le mois d'août dernier. Ce sont les villageois qui en subissent les conséquences, et les pertes en hommes et en biens sont considérables.

Les Ninjas demandent aux paysans de se convertir en bandes armées. Ceux qui refusent sont froidement abattus. D'autre part, les villageois qui cherchent refuge auprès des forces de l'ordre sont accusés d'être des infiltrés et les jeunes parfois sommairement exécutés. "Nous avons reçu ordre d'abattre tout ce qui paraît offensif", explique un militaire Cobra.

A cela s'ajoute le pillage systématique dans les villages. "Le comble est de voir les hommes en uniforme, sensés nous protéger, tuer nos cheptels de bovins. Et les Ninjas, eux, s'approvisionnent dans nos champs, prenant tubercules, ananas, fruits et tout ce qu'ils peuvent trouver pour se nourrir", raconte M. Christophe. Les boutiques et autres unités de production sont également pillées. "Nous avons perdu nos quatre boutiques, nos plantations de manioc d'environ 8 hectares, 30 têtes de boeufs, 50 ovins et surtout notre propre père, Victor Kimbembe. Il a voulu s'opposer aux massacres de notre bétail; ils ne l'ont pas raté. Nous avons tout perdu. Ce que notre père a fait en 30 ans, croyez-vous que nous pouvons le refaire en quelques mois? Nous n'avons plus aucun intérêt au village", explique l'un des enfants du défunt Kimbembe.

Les Ninjas enterrés têtes dehors

Cette nouvelle guerre a commencé avec l'assassinat de trois Ninjas. Après l'exécution, les auteurs, des policiers, ont enterré les corps les têtes dehors. Voyant cela, les groupuscules d'anciens Ninjas ont repris les armes sous prétexte qu'ils en avaient marre d'être traqués jusque dans leurs villages, où ils s'étaient retirés après la fin de la guerre de juin à octobre 1997. C'est pour se défendre, disent- ils, qu'ils ont déterré la hache de guerre. Bilan: un prêtre, un journaliste, un sous-préfet, un député tués; et destruction de tous les édifices de l'Etat se trouvant dans la région du Pool. Selon eux, la déclaration du gouvernement les a poussés à continuer leurs exactions. Le ministre de la Communication, François Ibovi, porte-parole du gouvernement, a lu cette déclaration: "Le gouvernement d'union nationale et de salut public, prenant à témoin l'opinion nationale et internationale, a décidé de prendre des mesures adéquates pour châtier ces criminels et rétablir l'ordre public partout où besoin en est".

L'armée qui a débarqué dans la région du Pool n'arrive pas à résoudre le conflit. Les dégâts ne font que s'accroître. "Beaucoup de nouvelles recrues tombent au front. Elles n'ont qu'une idée en tête: le pillage. C'est là que les autres leur tendent des embuscades. L'indiscipline faisant, il est vraiment impossible à nous, les officiers, de les contrôler",explique un colonel qui veut garder l'anonymat.

L'Eglise catholique très touchée

Durant tous ces événements, les catholiques ont été très touchés. A Loubombo (à une dizaine de kilomètres de Mindouli), ils ont perdu un prêtre, Yan Czuba, de nationalité polonaise, arrivé au Congo en 1989. A Madzia, une autre localité de la région, en octobre dernier, l'abbé Jacques Nziendolo a été grièvement blessé par balles par les forces de l'ordre, qui l'auraient confondu avec un Ninja. En fait, "la paroisse a été totalement pillée par les forces de l'ordre. Il n'y avait plus rien dans les chambres et les pharmacies de la paroisse. Même les vases sacrés ont été emportés", s'indigne l'abbé sur son lit d'hôpital. La région a vu toutes ses paroisses pillées, soit par les militaires, soit par les Ninjas.

Le plus grand carnage s'est produit le samedi 14 novembre dernier. Des délégués religieux avaient été envoyés à Mindouli par le Comité de médiation du Pool. Sur neuf membres, six furent froidement assassinés par les bandes armées. Les deux antagonistes s'accusent mutuellement de perpétrer ces actes de vandalisme. Les membres de ce Comité se trouvaient dans la cour du presbytère pour donner des consignes au bureau qu'ils avaient mis en place et qui devait suivre les orientations de paix prônées par les religieux. C'est le moment qu'ont choisi les bandes armées pour transformer la réunion en boucherie. Une quarantaine de personnes sont tombées. La riposte des militaires angolais, qui étaient sur les lieux, a fait 20 morts du côté des assaillants.

Cette structure a été mise en place pour résoudre le conflit. Sa direction a été confiée au père Bernard Diafouka, membre de l'Eglise orthodoxe grecque. Devant ces négociations qui chavirent, les Congolais sont indignés et consternés. A quand la véritable disparition des noms Cocoyes, Cobras et Ninjas, qui ne cessent de semer la désolation?

Une économie affaiblie par la guérilla

Les contrecoups de la guerre sont lourdes. Le chemin de fer Congo-Océan, qui relie Pointe-Noire, la ville économique, à la capitale, en passant par la région du Pool, n'est presque plus opérationnel. Plus de 70.000 tonnes de denrées alimentaires se trouvent encore au port de Pointe-Noire et attendent d'être acheminées. Des dégâts énormes ont été constatés sur le chemin de fer et surtout dans les gares du Pool. Ces dernières ont été brûlées, des marchandises pillées, des wagons- citernes incendiés. Quatre cheminots ont été tués par les militaires. Actuellement, les trains de marchandises qui essaient de circuler pour ravitailler la capitale, sont escortés par la force publique. Pour approvisionner Brazzaville, un premier pont aérien a été mis en place par le gouvernement et les opérateurs économiques.

Mais cela n'a rien changé à l'inflation, qui sévit depuis le début de la guerre. Les prix ont doublé. Le salaire des fonctionnaires, qui se fait rare, ne permet plus à ces derniers de supporter les hausses des prix des produits alimentaires. Le président de l'association des boulangers de Brazzaville s'est inquiété: "Le prix d'une baguette de pain de 120 grammes était passé de 75 à 250 fcfa. Nous avons alors réduit le poids à 90 gr., mais baissé le prix à 100 fcfa. Nous tenons compte de la précarité de la vie des Brazzavillois".

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a instauré un deuxième pont aérien entre Pointe-Noire et Brazzaville. Un Antonov 12, d'une capacité de 15 tonnes, assure trois rotations par jour. Ce pont coûte 10 millions de fcfa par jour au PAM. L'approvisionnement est estimé à 3.700 tonnes de vivres pour l'assistance de 32.000 personnes vulnérables à Brazzaville. Déjà 4.892 malnutris ont été admis dans les centres nutritionnels de la capitale, d'août à octobre 1998. Le pourcentage des enfants atteints est de 61,2%. D'autres enfants n'arrivent pas dans ces centres par simple ignorance de leurs mères.

Notons encore que le trafic fluvial entre Brazzaville et Kinshasa a été interrompu. Or, la capitale de la République démocratique du Congo et Pointe-Noire assurent plus de 60% du ravitaillement en produits alimentaires.

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