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by ANB-BIA, Bruxelles, janvier 1999
THEME = DEMOCRATIE
Après la mort du général Abacha et de longues années de
dictatures militaires,
le pouvoir au Nigeria repassera aux civils le 29 mai 1999.
Un bref aperçu de l'histoire politique et des dernières évolutions de ce pays,
le plus peuplé d'Afrique.
Ce qui se passe au Nigeria, est important pour toute l'Afrique. Il s'agit en effet d'un des plus grands pays africains en étendue, et du plus grand par sa population: un Africain sur six est Nigérian. C'est en plus un pays riche, le plus grand producteur de pétrole de l'Afrique, et il joue un rôle politique très important dans la sous-région, où il commande notamment la force d'interposition ouest- africaine.
Cependant, depuis son indépendance, le pays a connu aussi d'énormes difficultés. Les Britanniques ont réuni le nord islamique au sud majoritairement chrétien, ce qui a provoqué de profondes tensions ethniques et religieuses. La corruption y a atteint des sommets peu égalés. Les richesses pétrolières ont rapporté beaucoup d'argent, mais peu de développement. En près de quarante années, depuis son indépendance en 1960, le Nigeria a connu à peine sept ans de gouvernements civils. La tâche des nouveaux responsables élus sera immense.
Le Nigeria a une superficie de 923.768 kmý (1,7 fois la France) et une population de 115 millions d'habitants (chiffres de 1996). La population urbaine est estimée à 40%.
La société nigériane est une des plus pluriformes au monde. Selon le prof. Onigu Otite, elle ne compte pas moins de 374 groupes ethniques, dont les plus importants sont les Haoussa (au nord), les Yorouba (sud-ouest) et les Ibo (sud- est). Un recensement de la population en 1963 donnait la répartition suivante en pourcentages: Haoussa 21%, Yorouba 20%, Ibo 17%, Fulani (Peulh) 9%, Kanuri 4%, Ibibio 4%, Tiv 3% et Ijaw 2%; les Nupe, Edo et Annang ensemble représentent encore 4 %, et le reste est éparpillé en d'innombrables petits groupes ethniques.
Le nord et le sud de l'actuel Nigeria s'étaient, à travers les siècles, développés séparément. Les peuples du nord aride, au bord du Sahara, ont eu depuis très longtemps des liens étroits, commerciaux et culturels, avec le monde arabe. Leur conversion à l'islam date déjà du 11e siècle. Leurs contacts avec les peuplades dans les zones forestières du sud étaient rares. Celles-ci par contre développèrent leurs propres royaumes et cultures et, à partir du 15e siècle, subirent l'influence des Européens qui faisaient du commerce dans la région côtière.
Les siècles d'esclavagisme furent désastreux pour le Nigeria. Rien qu'au 19e siècle, on estime jusqu'à huit cent mille le nombre d'esclaves qui furent embarqués des ports du delta du Niger, et il y avait d'autres raids venant du nord. La partie centrale du Nigeria fut dépeuplée, les communautés locales disloquées et les relations entre les différents groupes ethniques se détériorèrent profondément.
Les différents pays et régions de l'actuel Nigeria furent réunis sous la période coloniale. L'ensemble du pays fut conquis par les Britanniques durant la deuxième moitié du 19e siècle. Divisé d'abord en plusieurs protectorats, il fut finalement unifié en 1914 sous le nom de "Colony and Protectorate of Nigeria". En 1922, s'y ajouta encore la partie occidentale de la colonie allemande du Cameroun.
Le nord et le sud n'avaient pas grand-chose en commun. Le commerce et les missions chrétiennes avaient transformé la société dans la région côtière; il s'y développa une atmosphère d'individualisme et d'épanouissement personnel; la population urbaine s'accrut; l'économie prit de l'essor. Au nord par contre, les contacts avec les Européens étaient réduits au minimum, et la mission chrétienne avait peu de chance face à l'islam, dans une société féodale. Par ailleurs, le commerce transsaharien retomba presqu'à zéro et économiquement le nord du Nigeria avait peu à offrir au commerce vers l'Europe. De plus, l'enseignement y démarra difficilement; il faudra attendre 1951 avant que le premier diplômé du nord sorte de l'université.
Pour diriger le pays, les Britanniques instituèrent un système de indirect rule (gouvernement indirect), se basant sur les anciens chefs des grandes ethnies. En 1947, ils mirent sur pied un Etat fédératif avec trois Assemblées régionales, une dans le nord (essentiellement musulman et haoussa-fulani), une dans l'est (catholique et ibo) et une dans l'ouest (partiellement anglican et musulman et principalement yorouba). Ceci donna un support supplémentaire à la politique ethnique. Une nouvelle Constitution en 1951 créa un Parlement central et un Conseil de ministres, mais renforça encore le pouvoir des Assemblées régionales. Aux élections de 1952 et 1959, trois partis se répartirent le pouvoir, chacun à partir de son fief régional. A l'indépendance, acquise le 1er octobre 1960, les partis du nord et de l'est formèrent une alliance: le nordique Balewa devint Premier ministre, l'Ibo Azikiwe président. Le parti yorouba formait l'opposition.
Le Nigeria indépendant débuta par six années de gouvernement civil. Les règles du jeu politique normal furent rapidement jetées par dessus bord. La lutte pour obtenir des mandats politiques fut impitoyable; ceux-ci étaient le seul moyen d'acquérir le pouvoir économique, et chacun recherchait avant tout les avantages de son ethnie. La corruption envahit toute la vie publique, y compris les campagnes politiques. Les inégalités sociales croissantes provoquèrent des grèves et même un soulèvement paysan dans le pays yorouba. La situation explosive mena à des nouvelles alliances politiques et finalement à des élections particulièrement sanglantes. Le Nigeria fonçait tout droit à sa perte.
Suivit alors une période de coups d'Etat et de régimes militaires. Ce fut le général Ironsi, un Ibo, qui mit fin à la première république par un coup d'Etat, le 14 janvier 1966. Il supprima l'Etat fédéral et institua un gouvernement central, mais ne trouva pas assez d'appui pour contrôler le pays. Six mois plus tard, il fut renversé par le général Gowon, soutenu par un groupe d'officiers du nord. Celui-ci restaura l'Etat fédéral.
Après de longues années de frustrations, les Haoussa- Fulani voulurent se libérer de ce qu'ils ressentaient comme une domination du sud. Des pogromes contre les Ibo causèrent des milliers de morts et près d'un million d'Ibo se réfugièrent dans leur pays d'origine. Lorsque Gowon voulut casser le nationalisme ibo en créant huit nouveaux Etats (enlevant notamment la région pétrolifère au pays ibo), le colonel Ojukwu, gouverneur militaire de l'est, proclama l'indépendance de la "République du Biafra", le 30 mai 1967. La guerre du Biafra dura plus de deux ans et fit un nombre incalculable de morts. Elle prit officiellement fin le 12 janvier 1970, dans une étonnante atmosphère de réconciliation. Le pays ibo, sous le nom de East-Central State se réintégra dans l'Etat fédéral, qui comptait désormais douze Etats.
La guerre avait confirmé le pouvoir politique des militaires. L'armée comptait maintenant 250.000 hommes et les officiers supérieurs essayèrent de freiner le plus possible son démantèlement. L'augmentation des prix du pétrole en 1973 amena des fortunes au Trésor, mais également aux militaires, ainsi qu'à une petite élite d'hommes d'affaires. Le pouvoir central s'en accrut, aux dépens des Etats fédérés dont le pouvoir s'éroda. Cet enrichissement gratuit creusa encore davantage les inégalités sociales. Les prix des produits de base atteignirent des niveaux impossibles pour la majorité de la population. L'économie nigériane, bien qu'ayant de vastes ressources, ne fut pas restructurée, ce qui augmenta encore la dépendance de l'extérieur.
Le 29 juillet 1975, le général Gowon fut renversé par un coup militaire pacifique. Le général Muhammed devint chef d'Etat. Il se lança dans une campagne d'assainissement, renvoyant notamment des milliers de fonctionnaires corrompus; mais son action provoqua un désintéressement de la fonction publique, mal payée d'ailleurs, et les jeunes hautement qualifiés se tournèrent vers le privé. Muhammed créa encore sept nouveaux Etats, mais réduisit les pouvoirs des gouverneurs. Il annonça également que les militaires rendraient le pouvoir aux civils en 1979. Mais, au sommet de sa popularité, il fut assassiné le 13 février 1976, par un groupe d'officiers mécontents, dans une tentative de coup d'Etat manqué.
Le général Obasanjo, chef d'état-major, lui succéda et reprit la promesse d'élections générales. Il adopta une nouvelle Constitution, à l'image de celle des Etats-Unis: un président aux pouvoirs étendus, un Sénat, une Chambre de représentants et un corps de fonctionnaires changeant avec le président. Cette dernière clause cependant, à travers les nominations qui devinrent politiques, accentua la politisation de l'appareil administratif et son risque de corruption.
En 1979, on retourna donc à un gouvernement civil. Alhaji Shehu Shagari fut élu président. Il était le candidat du National Party of Nigeria, dont la base se situait dans le nord, à Kaduna, auprès d'un groupe de chefs traditionnels et d'hommes d'affaires, appelé parfois "la maffia de Kaduna".
La nouvelle démocratie débuta mal. La corruption reprit de l'ampleur. Shagari essaya de limiter les pouvoirs des différents Etats, mais sans succès; les gouverneurs avaient maintenant été élus et entendaient bien défendre leurs prérogatives. Et surtout, en 1981, le prix du pétrole s'effondra. Voulant garder sa popularité, le gouvernement accumula bientôt d'énormes dettes. Cependant, Shagari réussit à se faire réélire président en 1983; mais, refusant de tenir compte des difficultés financières du pays, il se fit renverser par un nouveau coup d'Etat.
L'armée reprit le pouvoir le 31 décembre 1983 sous la direction du général Buhari. Il institua un régime militaire dur, changea la Constitution et gouverna par décrets, interdit les partis politiques, limita la liberté de presse et lança une série de procès contre les fonctionnaires corrompus du régime civil. Il gela aussi les comptes bancaires et entama des négociations avec le FMI, ce qui amena des mesures fort impopulaires.
Il fut renversé, le 27 août 1985, par le général Babangida, chef de l'état- major, qui adopta une politique beaucoup plus souple et commença par rompre les négociations avec le FMI, prônant la self reliance. Il se rendit populaire en créant encore des nouveaux Etats (cette multiplication d'Etats favorisant un certain nombre d'ethnies). En 1989, les partis politiques furent à nouveau permis, mais la soixantaine qui se présentèrent furent refusés. A leur place, une nouvelle Constitution permit deux seuls partis, le National Republican Convention et le Social Democratic Party, dont les programmes furent écrits par les militaires. En principe, ils devaient créer des dirigeants d'un type nouveau; en fait, ils furent le tremplin de quelques multi-millionnaires pour tenter de s'emparer du pouvoir. En 1991, le NRC gagna la plupart des gouvernorats des Etats fédérés; en 1992, le SDP acquit la majorité au Parlement fédéral.
Les élections présidentielles furent remises à plusieurs reprises, mais eurent finalement lieu le 12 juin 1993. Apparemment, elles furent gagnées par Moshood Abiola, un Yorouba musulman, candidat du SDP. Mais avant que tous les votes soient comptés, Babangida annula les élections. L'armée mata les protestations.
Le 27 août, Babangida démissionna et transmit le pouvoir à un président ad interim, Ernest Shonekan, chargé d'organiser de nouvelles élections. Mais le 17 novembre 1993, par un énième coup d'Etat, le ministre de la Défense, le général Sani Abacha, prit le pouvoir.
Abacha instaura un régime militaire très dur et s'arrogea de plus en plus des pouvoirs absolus. Il commença par abolir toutes les institutions démocratiques, y compris le Sénat, l'Assemblée nationale, les conseils des Etats et tous les partis politiques. Il réinstalla un gouvernement militaire avec un cabinet civil au niveau fédéral et des gouverneurs militaires dans les Etats. Ses promesses de retour à un gouvernement civil ne furent pas tenues. En 1994, à l'anniversaire des élections, Moshood Abiola s'autoproclama président, mais fut rapidement emprisonné, ce qui provoqua de longues protestations des forces démocratiques. Une grève des syndicats des ouvriers du pétrole dura deux mois, mais fut finalement brisée. Des activistes pro-démocratiques furent arrêtés, des journaux d'opposition supprimés, l'armée purgée, les civils au gouvernement renvoyés.
Les actions du mouvement des Ogoni, qui protestaient contre la pollution de leur région par les compagnies pétrolières et le fait que les gains pétroliers ne profitaient aucunement à leur peuple, aboutit à l'arrestation de leur leader Ken Saro Wiwa et plusieurs autres activistes. Ils furent condamnés à mort et, malgré les protestations internationales, exécutés le 11 novembre 1995. Le Commonwealth exclut le Nigeria de son organisation.
Le régime dictatorial mettant de plus en plus le Nigeria au ban de la communauté internationale, Abacha décida enfin d'organiser des élections et s'engagea à remettre le pouvoir aux civils le 1er octobre 1998. Cinq partis furent admis, qui tous finirent par choisir Abacha comme leur candidat aux présidentielles. Le 8 juin 1998, le général Abacha mourut d'une crise cardiaque. Le général Abdusalam Abubakar lui succéda et promit tout de suite de respecter le retour à un régime civil. Sur le point d'être libéré, Moshood Abiola mourut en prison le 7 juillet.
L'histoire politique mouvementée du Nigeria ne doit pas nous faire oublier que ce pays est un des plus riches d'Afrique, du moins en potentialités. Il dispose des plus grandes réserves pétrolières du continent et est un des membres les plus importants de l'OPEP. Il possède des mines de charbon, de fer, d'uranium, de plomb, d'étain, et d'autres minéraux. Le pays se prête à des formes variées d'agriculture. Et pourtant, ce sont ces richesses, et particulièrement les richesses pétrolières, qui ont mené le Nigeria au bord de la ruine.
L'agriculture. - Au début de l'indépendance, dans les années 60, l'agriculture était encore de loin le secteur le plus important de l'économie. En produits d'exportation, on cultivait le coton et les arachides au nord, le cacao dans le sud-ouest, l'huile de palme et le caoutchouc au sud- est. Le Nigeria était le plus grand producteur d'huile de palme au monde et le second, après le Ghana, de cacao.
Mais la richesse provenant du pétrole amena le déclin de l'agriculture, provoquant la ruée des jeunes vers les villes et le démantèlement des systèmes de production. Il fallait même importer de plus en plus de nourriture pour répondre aux besoins des villes. Les plans successifs des divers gouvernements pour relancer l'agriculture n'eurent que peu d'effet.
Encore aujourd'hui, l'agriculture demeure pour la majorité des Nigérians leur source principale d'exis-tence. La plupart du temps, il s'agit de petites entreprises familiales d'autosubsistance. Leur prospérité relative dépend de la richesse du sol, de l'accès aux marchés et de leur propre capacité d'entreprise et d'initiative. Les interventions du gouvernement ont créé une petite classe de grands fermiers, qui exploitent des plantations d'huile de palme, de caoutchouc, de coton et de maïs, mais dépendent souvent des subsides reçus.
Mines et industries - Le boom pétrolier provoqua également le déclin des mines d'étain dans le nord et des mines de charbon dans le pays Ibo. L'uranium n'est pas encore exploité, tout comme les grandes réserves de fer, à l'exception d'une mine à Itakpe.
Malgré le désir d'une rapide industrialisation, ce secteur est resté relativement pauvre compte tenu de la grandeur du pays et de sa population. Les nouvelles industries dépendaient souvent de matières premières importées. Mais la chute des prix du pétrole provoqua aussi une crise de l'industrie, lorsque les devises commençèrent à manquer pour importer ces matières premières. En 1991, la part de l'industrie dans le produit national brut n'était toujours que de 8,3%, à peine plus grande que les 7,2% de 1972. La plupart des fabriques ne travaillent qu'à un tiers de leurs capacités.
Le pétrole - C'est le pétrole qui constitue la grande richesse du Nigeria, représentant plus de 90% de son PNB. L'exploitation commença en 1956 et se développa graduellement, pour connaître son apogée à partir de la fin de la guerre civile. En 1970 le Nigeria produisait déjà plus d'un million de barils par jour. Il devint membre de l'organisation de l'OPEP et, à travers la Nigerian National Petroleum Corporation, prit des parts majoritaires dans les filiales des compagnies pétrolières actives dans le pays.
Le Nigeria occupa ainsi, sans grand effort, une place prépondérante dans l'Afrique subsaharienne. L'argent affluait. Le PNB passa de 3,2 milliards de dollars en 1960 à 75,2 milliards en 1979. Mais tout cela ne fit que créer un fossé toujours plus grand entre riches et pauvres.
Les difficultés commencèrent en 1981, à cause d'une surproduction pétrolière dans le monde, et en 1986 les prix du pétrole chutèrent encore. Le Nigeria éprouva toujours plus de difficultés à payer ses importations et, comme le pays dépendait presque totalement de ses revenus pétroliers, les déficits budgétaires s'accumulèrent.
Ce qui ne signifie pas que les entrées pétrolières ne restent pas fort appréciables! Encore aujourd'hui, le Nigeria exporte plus de 2 millions de barils par jour, représentant, même au taux le plus bas de 10 dollars le baril, une somme de $20 millions par jour. Le gouvernement en touche 70%, mais il semble bien que les militaires en accaparent la plus grande partie. La fuite des capitaux se poursuit. Corruption oblige...
A cela s'ajoute la lutte des petites ethnies qui habitent les régions pétrolifères du delta du Niger et qui se plaignent que cette industrie détériore complètement leur territoire, alors qu'eux-mêmes ne profitent aucunement de cette manne. Ce furent d'abord les Ogoni qui menèrent le combat, qui provoqua l'exécution de leur leader en 1995. Actuellement, ce sont surtout les Ijaw qui s'attaquent aux installations des compagnies pétrolières, provoquant régulièrement de grandes pertes d'exploitation.
Et ce pays, qui occupe la sixième place au sein de l'OPEP, manque aujourd'hui de carburant. Ses quatre raffineries ont manqué d'entretien et n'arrivent plus à produire le minimum requis. Il faut dire que le prix peu élevé du carburant nigérian favorise une énorme contrebande vers les pays voisins.
Tout cela fait que le Nigeria, qui durant des années s'est classé parmi les pays moyennement riches, se retrouve à nouveau sur la liste des vingt pays les plus pauvres de la planète. Et sa dette extérieure est estimée à 34 milliards de dollars.
Le général Abdusalam Abubakar, chef d'état- major des forces armées, succéda à Sani Abacha la nuit même après le décès de celui-ci, le 8 juin 1998. Immédiatement il annonça qu'il respecterait le retour à un régime civil et qu'il continuerait le programme de transition socio-économique en cours. Rapidement il commença à libérer des groupes de prisonniers politiques. En instance d'être libéré, Moshood Abiola mourut, encore en prison. Ce qui mit fin aux actions de l'opposition, réclamant son retour à la présidence.
En août, Abubakar installa un nouveau gouvernement composé essentiellement de technocrates, et annonça le programme des élections: élections locales en décembre 1998; élections régionales (gouverneurs des Etats) en janvier 1999; élections législatives le 20 février et présidentielles le 27 février. Le pouvoir serait transmis aux civils le 29 mai 1999.
De nouveaux partis se formèrent, selon les directives qu'ils ne pouvaient utiliser aucun symbole ethnique, religieux ou régional, et qu'ils devaient être représentés dans au moins 24 des 36 Etats de la fédération. Finalement, sur 26 formations politiques qui avaient demandé leur enregistrement, neuf seulement furent légalisées, répondant aux critères imposés. De plus, elles devraient obtenir au moins 5% des suffrages dans 24 Etats au premier scrutin, les élections locales, pour pouvoir participer aux suivants.
Trois partis seulement obtinrent ce score aux élections des conseils locaux, le 5 décembre 1998, à savoir: le Parti démocratique du peuple (PDP), qui devint la première force politique du pays; l'Alliance pour la démocratie (AD), implantée surtout dans le pays Yorouba; et le Parti populaire pour tous (APP), qui arriva au troisième rang.
Aux élections régionales, le 9 janvier 1999, qui devaient élire les gouverneurs et les assemblées des Etats fédérés, le PDP confirma son avance en s'octroyant le gouvernorat dans 20 Etats. L'APP en emporta 9, et l'AD 6. Dans l'Etat de Bayelsa, dans la région du delta, le vote fut reporté à cause de récentes violences. Pour l'élection présidentielle du 27 février, le PDP présente comme candidat le populaire ancien président Olesun Obasanjo. Pour s'opposer à lui, l'APP et l'AD ont passé un accord pour présenter un candidat commun.
Entre-temps, le général Abubakar lançait aussi des débats sur une nouvelle Constitution, créant un comité ad hoc et appelant tous les Nigérians à participer à cette réflexion. Il invitait en particulier à s'exprimer sur des idées nouvelles, comme par exemple une rotation de la présidence entre les grandes régions du pays.
Le gouvernement s'est attaqué également au problème des détournements de fonds sous le régime précédent. Ainsi en novembre dernier, il annonça avoir récupéré, auprès de la famille de l'ancien chef d'Etat, plus de 750 millions de dollars détournés des fonds publics. Et l'ancien conseiller à la sécurité d'Abacha, Ismaila Gwarzo, accusé d'avoir dérobé quelque 1,3 milliard de dollars des réserves de devises, reconnut être en possession de $250 millions d'argent public volé, et de 37 propriétés immobilières...
Tout ceci a permis un début d'ouverture au niveau international. Le Commonwealth annonça qu'il considérerait de réadmettre le Nigeria dans ses rangs après les élections de 1999. L'Union européenne décida de lever en partie les sanctions imposées depuis 1995.
Des contacts eurent lieu également avec la Banque mondiale pour établir un nouveau programme économique. Le gouvernement promit de libéraliser l'économie et de privatiser les principales industries. Il demanda un allégement de la dette. Début janvier, le général Abubakar annonça la suppression tant attendue du double taux de change, qui permettait jusqu'alors aux dirigeants du secteur public d'acheter des dollars à près d'un quart de leur valeur commerciale.
Cependant, la chute des cours du pétrole brut en 1998 pèse lourdement sur les finances nigérianes. Le général Abubakar déclara que cela avait déjà coûté au pays 2,3 milliards de dollars en 10 mois. Et le gouvernement annonça, fin décembre, qu'il serait incapable de verser aux fonctionnaires les traitements revalorisés en octobre, les caisses de l'Etat étant vides. Une "bombe à retardement" pour le nouveau régime civil.
Les observateurs qui se penchent sur la situation et l'avenir du Nigeria, restent dans l'expectative.
D'une part, ils notent les immenses possibilités de ce pays. Le Nigeria est un pays d'avant-garde, écrit Thomas Sotinel dans Le Monde du 27 nov '98. Sa taille, sa richesse en ressources naturelles et humaines en ont toujours fait un laboratoire de l'Afrique moderne, parfois pour le meilleur (sa production intellectuelle, le dynamisme de nombreux entrepreneurs), souvent pour le pire. Aujourd'hui, au moment de se refaire une respectabilité démocratique, le pays a la possibilité de tourner le dos aux méthodes du passé.
Mais les obstacles sont nombreux. Le premier est sans doute la corruption généralisée. Le pays est dévasté par des décennies de déprédation, le dernier régime s'étant lancé dans un pillage sans précédent. Il faudra que les gouvernants ne considèrent plus l'Etat comme une propriété privée, mais soient attentifs aux besoins de la nation. Ce n'est pas évident.
La situation économique et sociale est pour le moins préoccupante. Le général Abubakar lui- même a souligné que le processus électoral ne constituait qu'une infime partie de ce dont le Nigeria a besoin: "Les deux autres aspects tout aussi importants, que sont la situation économique et la restructuration sociale, doivent être traités avec les mêmes vigueur et détermination". Malgré les richesses pétrolières, et précisément parce celles-ci représentent plus de 90% des revenus du pays, le cours actuel du pétrole présente un handicap énorme. Environ 35% des recettes prévues dans le budget initial pour 1998 n'ont pas été réalisés, et le gouvernement a dû réduire de manière importante les dépenses d'investissement, dans un pays où les infrastructures sont déjà en très mauvais état. D'autre part, les inégalités dans la population sont criantes. Seul un petit groupe est extrêmement riche, alors que la quasi-totalité de la population s'est appauvrie. L'agriculture a été négligée. Les salariés pâtissent de l'effondrement de la monnaie nationale.
Restent également les tensions ethniques et régionales. Depuis son indépendance, le Nigeria a été dominé par des hommes originaires du nord musulman du pays. Le sud, majoritairement chrétien et dont le pétrole, l'urbanisation, la démographie et les routes maritimes constituent les piliers du Nigeria moderne, espère un transfert du pouvoir. De plus, les petites ethnies (voir les Ogoni et les Ijaw) se disent régulièrement défavorisées, malgré la multiplication des Etats. S'y ajoutent encore les tensions religieuses (voir le dossier ANB-BIA du 15 février 1998).
Les nordiques se défendent d'avoir été privilégiés, disant que ce n'est pas eux qui ont fait les coups d'Etat et qu'ils en ont été les victimes autant que les sudistes. Mais il reste vrai que l'armée est dominée par le nord.
Les hommes politiques du nord se disent prêts à un transfert du pouvoir vers le sud. "Personne dans le nord n'est obsédé par un leadership nordiste", déclara l'un d'eux. "Je suis prêt à avoir un président nigérian, du sud ou du nord. Ce qui me préoccupe, ce sont les principes qu'il défend". Toutefois, l'insistance des Yorouba pour un président sudiste est ressentie par beaucoup comme une nouvelle expression de tribalisme.
Abiola était un Yorouba. Olusegun Obasanjo l'est également. Agé de 61 ans, adepte de l'Eglise baptiste, il fut à la tête de l'Etat de 1976 à 1979, lorsqu'il céda le pouvoir à un gouvernement civil. Condamné en 1995 à la prison à vie pour une soi-disant implication dans un putsch manqué, il passa trois ans en prison et fut libéré huit jours après la mort d'Abacha. Considéré comme étant celui qui a le plus de chances de l'emporter, il s'est découvert tout récemment un sérieux rival, en tant que candidat du PDP aux présidentielles, en la personne d'Alex Ekwueme, un Ibo, ancien vice-président de Shehu Shagari, qui a obtenu d'excellents scores aux dernières élections.
Mais quels que soient le futur président et le futur gouvernement, leur tâche sera immense.
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