ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 363 - 01/03/1999

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Congo-Brazza

Le pillage érigé en culture


by Médard Libani, Congo-Brazza, janvier 1999

THEME = VIE SOCIALE

INTRODUCTION

En 1997, le pillage avait trouvé ses lettres de noblesse à Brazzaville.
Ces dernières semaines il a refait surface.

A la fin de la guerre du 5 juin 1997, le pillage avait trouvé ses lettres de noblesse à Brazzaville. Pendant et après les incidents qui ont eu lieu ces dernières semaines dans les quartiers sud de Brazzaville, à Bacongo et à Makélékélé, entre les ex- cobras (miliciens de Denis Sassou-Nguesso, actuel chef de l'Etat) et les ex-ninjas (miliciens de Bernard Kolélas, dernier Premier ministre du pouvoir déchu), le phénomène a refait surface. Prenant ainsi une ampleur inquiétante.

Les soubresauts qui ont secoué Bacongo et Makélékélé auraient fait plus de 415 morts, selon des sources proches du pouvoir, et de 3.000 à 6.000 morts, selon l'opposition en exil. Les pertes matérielles subies par les habitants de ces quartiers sont incalculables. Les ex-cobras ont dévalisé, en toute impunité, boutiques, magasins et autres habitations.

Des marchés parallèles

Les ex-cobras ont emporté tous les objets de quelque valeur qu'ils ont trouvés sur leur chemin et qu'ils vendent, à ciel ouvert, sur les marchés parallèles dans les quartiers nord de Brazzaville. Le plus célèbre de ces marchés a pour nom "Koweit", créé à Ouénzé, dans le 5e arrondissement de Brazzaville-nord.

Sur ce marché, les ex-cobras, kalachnikov à la main, vendent à bas prix congélateurs, réfrigérateurs, chaînes musicales, postes téléviseurs, matelas et autres biens meubles. "Nous sommes en train de solder nos appareils électroménagers, électroniques et équipements de bureau, que nous avons pillés à Bacongo et Makélékélé. Clients, venez nombreux acheter nos objets...", s'extasie Alain Ngapa devant son butin. Et un autre de poursuivre: "Merci papa Bernard Kolélas, aujourd'hui en exil et qui a engagé ses miliciens ninjas pour affronter les forces armées congolaises... Cette guerre nous a permis de piller et de nous remplir les poches...".

Sur ces marchés parallèles, un congélateur vendu en temps normal dans un magasin à 500.000 cfa, vaut maintenant 100.000 cfa chez les pilleurs. Un téléviseur en couleur qui coûte habituellement de 200.000 à 300.000 cfa (selon la marque) est offert là-bas à 50.000 cfa. Une chemise neuve et un pantalon (Yves Saint Laurent, Pierre Clarence, Yves Dorsey...) vendus aux marchés légaux à 35.000 cfa chacun, reviennent, dans ces marchés, à 10.000 cfa. En effet, à Bacongo et Makélékélé, les ex- cobras et les militaires angolais, qui ont combattu aux côtés des Forces armées congolaises, ont pillé tout ce qui avait de la valeur, et même arraché des véhicules des mains des chauffeurs de taxi-bus et des conducteurs de voitures personnelles.

Qui restitue à qui?

"Le vendredi 10 décembre, jour du déclenchement des douloureux événements de Bacongo et Makélékélé, j'avais eu le courage d'emmener mes enfants, à bord de notre Toyota Land cruiser, à Talangaï, dans le 6e arrondissement. Mais subitement, trois jeunes bandits armés ont fait irruption et m'ont ravi le véhicule. Je leur ai demandé d'attendre au moins que j'arrive à destination. Ils n'ont pas voulu m'entendre. Ils m'ont tout de suite fait descendre. J'étais obligé, avec mes enfants, d'abandonner le véhicule aux mains de ces malfrats", explique Mme Flore Obanwé, d'un air désabusé.

La plupart des véhicules pillés et mis en circulation par les pillards sont sans plaque d'immatriculation, ni carte grise. Ils sont vendus à 500.000 ou 400.000 cfa. Certains pillards "sympathiques", c'est le moins qu'on puisse dire, ont restitué les bus, taxis break et véhicules d'entreprises qu'ils avaient volés aux chefs d'entreprises moyennant des sommes oscillant entre 250.000 et 300.000cfa. Et ce, selon les humeurs du moment. D'autres pillards, par contre, ont préféré transformer ces véhicules volés en moyens de transport personnels. En changeant coloris et immatriculations.

Ces phénomènes de pillage et de braquage désolent. "On nous demande de ne pas dilapider les deniers de l'Etat, mais ce que fait la jeunesse congolaise, chaque fois qu'il y a déclenchement d'une guerre, nous afflige... Les ex-cobras et les ex-ninjas ont cambriolé nos maisons. Ils ne nous ont rien laissé. C'est vraiment triste!", se lamente un fonctionnaire, ajoutant: "Je suis sorti de ma maison en culotte et T-shirt. Le peu d'argent que j'avais remis à mon épouse, pour faire face aux besoins quotidiens, a été emporté par les bandits armés".

Retombées socio-culturelles

Selon le rapport de l'Unicef intitulé "Progrès des nations 1998", sur 130.000 enfants enregistrés en 1997 dans les écoles primaires, seulement 84.000 sont notifiés en 1998. Il manque donc 46.000 enfants. Durant la guerre de 1997, 26 écoles sur 106 à Brazzaville ont été endommagées ou détruites. Par ailleurs, environ 450.000 enfants congolais ont connu des traumatismes liés aux guerres.

La culture de pillage pousse certains élèves et étudiants à abandonner leurs études. Pour eux, l'école ne forme que des chômeurs. Aussi pensent- ils que le moyen le plus sûr de gagner leur vie est de s'adonner au pillage.

Plusieurs causes expliquent la recrudescence de ces actes de pillage. Au nombre de celles-ci figurent en bonne place le chômage et la manipulation des jeunes par les hommes politiques. Le taux de scolarisation au Congo avoisine les 98%. Chaque année la fonction publique, principal employeur, ne recrute que 4 à 6% des jeunes finalistes. Et cette fonction publique est saturée. Elle compte plus de 60.000 agents. A en croire le ministre de la Fonction publique et des réformes administratives, Mme Jeanne Dambenzet, les institutions financières internationales, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, recommandent d'inverser désormais la pyramide. C'est-à-dire, de recruter plus de subalternes que des cadres supérieurs.

Devant ce fléau du chômage, la jeunesse est facilement manipulée par les hommes politiques. Ils leur distribuent à souhait des armes, souvent difficiles ensuite à récupérer. Conséquence, à chaque déclenchement de conflit, ces jeunes déterrent leurs armes pour perpétrer des actes de vandalisme aux conséquences déplorables.

Mesures palliatives

Dans son traditionnel message à la nation du 31 décembre 1998, le président Denis Sassou Nguesso a déclaré: "[...] Dans le même élan, je procéderai à des restructurations au sein de la force publique afin d'accélérer les mutations nécessaires à sa conversion en une force républicaine respectueuse des citoyens et de leurs droits. Une force totalement débarrassée de cette sorte de culture de pillage. Je ne ménagerai aucun effort pour y parvenir".

Ces propos de Denis Nguesso ont déjà été mis en application par le directeur général de la police nationale, Jean-François Ndenguet, avec ses 270 "îlotiers", un nouveau corps de la police mis sur pied en décembre dernier. Ce nouveau corps d'intervention, composé en grande partie d'auxiliaires de la police nationale, organise régulièrement des patrouilles dans le but de traquer les pilleurs afin de récupérer les biens volés pour les restituer à leurs propriétaires. "J'ai été désarmé, déshabillé par la police et dépossédé de tout mon butin...", s'exclame un jeune pilleur, mécontent.

Cette opération de ramassage des armes et des objets pillés a cependant occasionné quelques dérapages. En effet, certains éléments des forces de l'ordre ne remettent pas les objets récupérés aux dépôts indiqués. Ils préfèrent plutôt les garder par-devers eux. D'autres par contre, cassent ou brûlent délibérément ces biens.

L'embarras des honnêtes gens

Les produits pillés ont vite été liquidés. Le commerce normal ne fonctionne plus. Nous assistons à une flambée de prix, associée à l'irrégularité des salaires, des bourses et des pensions. Tout cela rend la vie insupportable à Brazzaville.

Devant ces objets pillés mais vendus à des prix abordables, certains ne savent plus comment faire. "Je gagne un salaire qui ne me permet pas de bien vivre avec ma famille. Avec l'inflation qui semble gagner du terrain, je suis bien obligé d'acheter certaines choses pillés et vendues moins cher dans les marchés", indique un fonctionnaire. Et un autre d'ajouter: "Avec mon salaire payé avec un grand retard, je suis vraiment dans de beaux draps... Alors, pour essayer de pallier cet état de choses, je suis contraint d'acheter les fournitures scolaires de mes enfants et mes ustensiles de cuisine dans les marchés pirates créés par les pillards".

Essayons quand même de rester optimistes...

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