ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 363 - 01/03/1999

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Sénégal

La poésie contre la mondialisation


by Alain Agboton, Sénégal, janvier 1999

THEME = CULTURE

INTRODUCTION

Les premières "Rencontres poétiques internationales et africaines"
se sont tenues en novembre dernier à Dakar et ont connu un succès considérable.
Le thème y était pour quelque chose:
la mondialisation était sur la sellette.

Réunissant de très nombreux orfèvres du verbe, adeptes de la "parole pure" venus d'Afrique et d'autres continents, ces rencontres singulières ont été organisées, avec le concours de l'Agence de la francophonie, par la Maison africaine de la poésie internationale, fondée et dirigée par le poète Amadou Lamine Sall.

Amadou Lamine Sall est un poète sénégalais renommé, auteur notamment de recueils tels que la "Mante des aurores", "Comme un iceberg en flammes", "Locataire du néant", etc., qui ont été traduits en anglais et allemand et figurent au programme de nombreuses universités. Il est considéré comme représentatif d'une "nouvelle génération" en gestation de poètes africains.

Vaincre les angoisses

Symbole par excellence, la cérémonie d'ouverture de ces rencontres s'est déroulée à la Fondation Léopold Sédar Senghor. L'enjeu était multiple et capital: tirer bénéfice des vertus de la parole pour vaincre les angoisses, esquisser des réponses aux questions de l'heure (la mondialisation) et réconcilier l'homme avec lui-même.

Il importait par conséquent de redéfinir le champ de la poésie, de favoriser le "retour de la parole" en Afrique - terre de parole s'il en est - et de faire face victorieusement aux défis appauvrissants, voire anesthésiants et anémiants de la mondialisation. Prodigieux objectif!

"La société a besoin de poètes, comme la nuit a besoin d'étoiles". Ces paroles puissantes du Chevalier de Boufflers illustrent bien la problématique qui a été au centre de cet événement culturel, car, s'est-on écrié, "il n'y a pas que la machine et la consommation". Pour autant, il ne s'agissait pas seulement de "recréer le monde pour s'installer dans la quête de l'être", mais surtout de "réconcilier la civilisation de l'âme avec celle de la machine", d'établir une synergie fécondante entre "l'imaginaire du poète" et "l'imaginaire de l'Etat" afin que "l'homme se rassure et ne s'inquiète pas". D'où l'exigence de ne pas "laisser la parole aux seuls économistes".

Des récitals, lectures-hommages, vernissages, discussions sur les voies traditionnelles et orales, ont rythmé ces rencontres fort relevées et animées qui ont, par ailleurs, recommandé de "sortir la poésie du livre" en l'installant, par exemple, dans d'autres espaces comme le théâtre et autres formes artistiques. Le diagnostic posé par les poètes, "créateurs de valeurs nouvelles", a permis de regretter la concurrence défavorable du roman, la marginalisation de la poésie et les problèmes d'édition. Il a constaté également le vide consécutif à l'âge d'or de la négritude, suite à "l'inaccessibilité" de Léopold Sédar Senghor et la "mythification" de Birago Diop, poètes dont la succession ressemble à une impasse et rend difficile l'émergence d'une "nouvelle génération", dans un contexte d'échec des "systèmes philosophiques et politiques".

Les poètes dans notre société

Le colloque devait camper les conditions à aménager pour que les poètes puissent "aider dans un monde mécanisé à retrouver un supplément d'âme". Les débats ont visé à revaloriser la poésie, substantielle "denrée de l'esprit", "art majeur" et "première des créations", et ont tenté de resituer, restituer et recentrer la place et le rôle des poètes dans une société déstabilisée, déboussolée, sans repères et voguant telle un bateau ivre. Aussi s'est-on convaincu qu'un "monde sans rêve est un monde voué à la mort" et que le rêve permet de "bâtir le futur".

Art de la communication et du partage, parole fondamentale, la poésie, n'est pas, a-t-on souligné, que "pratique de la langue". Elle est aussi "pratique de la vie". Les poètes sont les "mieux placés pour trouver des solutions aux maux dont souffrent nos sociétés", a-t-on fait valoir. Le débat sur le "devenir de l'humain face à un monde tenu en laisse par le capital" devenait dès lors passionné. Face à l'hégémonie de la "machine de la consommation", l'humanisme doit interpeller le capital. "L'émotion naît et l'histoire commence", s'est-on exclamé.

A l'occasion de ces échanges, des jalons devaient être posés pour faire de Dakar "la ville de la poésie africaine", à l'image de ce que représentent notamment les villes de Ouagadougou et Abidjan pour le FESPACO et le MASA. Le tout premier prix Senghor a été décerné à un poète québécois.

Quelles perspectives se dessinent aujourd'hui? Au delà, évidemment, de la nécessité de passer la flamme à une nouvelle génération en Afrique, de promouvoir "un son neuf, une inspiration différente", de fonder une reconquête de la parole par les poètes africains dans la société réelle, d'être soi-même avec un "imaginaire et un rythme africain", il s'impose désormais de recréer le monde avec le verbe, un monde qui ne soit pas "mécanisé", un univers actuellement fragilisant et débilitant parce que généré et géré par la mondialisation. Car, là gît le danger: la mondialisation produit des hommes qui sont des "modèles de peuples momifiés".

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