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by Valentin Siméon Zinga, janvier 1999
THEME = COOPERATION
L'inauguration d'une usine d'assemblage de motoculteurs l'année
dernière,
s'est faite dans l'enthousiasme officiel, quelque peu tempéré par quelques souvenirs,
presque noyés dans les eaux de l'oubli...
C'est en grande pompe que l'usine de fabrication des engins pour la mécanisation agricole a été portée sur les fonts baptismaux, dans la ville de Kribi, dans la partie méridionale du Cameroun. La Hualong Tractor Factory (HTF) a été présentée comme l'un des résultats de la coopération sino-camerounaise des dernières années. L'idée remonte à 1993, lorsque le président Paul Biya a effectué une visite en terre chinoise, accompagné d'une forte délégation de ministres sollicités pour la signature de plusieurs accords avec leurs homologues chinois.
Coût du projet de Kribi: près d'un milliard et demi de francs cfa. Le capital social, évalué à 120 millions de fcfa, est détenu à hauteur de 60% par la société Hualong, tandis que 40% reviennent au gouvernement camerounais. La HTF devait pouvoir mettre, chaque année, sur le marché camerounais et sur celui de la sous-région d'Afrique centrale, quelque cinq mille motoculteurs, deux mille cinq cents remorques et d'autres accessoires. Le pari est celui de réussir la mécanisation agricole dans cette partie de l'Afrique. On peut donc comprendre les réactions des officiels lors de la cérémonie d'inauguration de l'usine.
"Le choix de l'investissement - à savoir le montage de motoculteurs polyvalents, pouvant aussi bien servir de moyen de transport, de groupe électrogène que de motopompe - nous semble judicieux à plus d'un titre. Il présente une réponse appropriée et originale au développement du monde rural confronté aux insuffisances évidentes en moyens de transport de biens et des hommes, en outils de labour et d'irrigation, ainsi qu'en énergie électrique. Grâce au montage à Kribi de motoculteurs polyvalents, il est désormais permis d'espérer, en comptant par ailleurs sur le dynamisme et l'esprit d'entreprise habituellement reconnu aux Camerounais, que se multiplient des exploitations agricoles mécanisées, support d'une agriculture et d'une économie plus productrice et plus rémunératrice". Ainsi parlait M. Bello Bouba Maïgari, ministre d'Etat camerounais chargé du développement industriel et commercial, invité à couper le ruban symbolique de la HTF.
Dans la même lancée, le directeur général de la HTF<+>, Zhang Min, pouvait alors affirmer: "Il s'agit d'un outil dont l'efficacité dans la production agricole a fait ses preuves (...). L'utilisation de ce motoculteur va multiplier, j'en suis convaincu, les récoltes des agriculteurs camerounais et de la sous- région, parce que nous comptons en faire la distribution dans toute l'UDEAC".
Le flot d'exaltation de la coopération sino-camerounaise avait parcouru l'opinion, soutenu par les soins d'une presse particulièrement enthousiaste, vantant quelques paramètres qui, bien analysés, sont cependant susceptibles de tempérer l'euphorie suscitée par cette inauguration.
Il y a d'abord le coût des motoculteurs. D'après les premières informations, il se placerait dans une fourchette comprise entre 1.250.000 et 1.500.000 fcfa. Il y en a qui jugent ce coût quasi prohibitif pour les agriculteurs, dont le pouvoir d'achat est bien insignifiant au regard des contraintes du quotidien. Traduction: les motoculteurs seraient d'un accès, sinon impossible, du moins pénible pour les privés. Ce à quoi on rétorque qu'il faut aujourd'hui favoriser le regroupement des agriculteurs, permettant l'exploitation de grandes superficies par la mécanisation agricole...
Mais l'utilisation d'engins mécaniques dans le domaine agricole nourrit d'autres critiques. Le passage de la houe à la machine, affirment certains, transite généralement par la culture tractée, la charrue. Or, dans l'utilisation envisagée des motoculteurs de Kribi, on a fait l'économie de la seconde étape. Et d'un.
De deux, la mécanisation agricole camerounaise doit être précédée par une transformation des mentalités chez les agriculteurs. L'utilisation d'une machine est avant tout une affaire de culture, qui combine à la fois l'assimilation des techniques de production agricole et son incorporation dans un contexte particulier, où le paysan accepte l'idée (ou peut-être la nécessité) de produire plus qu'il ne consomme.
Autre inquiétude. La Hualong Tractor Factory est une usine d'assemblage. D'où les récriminations de ceux qui voient en cette option une délocalisation industrielle, plutôt qu'un premier pas vers le transfert de technologie. Certains auraient souhaité que la chaîne de fabrication intégrale des motoculteurs se trouvât sur place à Kribi, option rassurante et inspiratrice pour les jeunes Camerounais intéressés en ce domaine. A ceux-là, les voix officielles se contentent de signaler - entre embarras et débarras - que le choix actuel répond à une situation conjoncturelle.
Les observateurs attendent de voir. Ils n'ont pas oublié les lenteurs qui caractérisent nombre de projets de la coopération sino-camerounaise, et dont certains remontent à la visite d'Etat effectuée par Paul Biya en terre chinoise, en octobre 1993. On avait parlé, alors, de jumelage "en très bonne voie" entre la province du Hubei, dans le sud-est de la Chine d'une part, et la province méridionale du Cameroun, d'autre part. Cinq ans après, en inaugurant cette usine à Kribi, on semblait avoir oublié les belles promesses présentées en leur temps comme l'une des retombées concrètes de la visite du chef de l'Etat camerounais.
Toujours au cours de cette visite, on avait appris l'intérêt des opérateurs économiques chinois pour les entreprises camerounaises désignées à la privatisation. Force est aujourd'hui de reconnaître qu'ils n'occupent pas le haut du pavé dans la reprise de ces sociétés. Pas plus d'ailleurs que dans le domaine de la défense, notamment pour la surveillance des côtes camerounaises, un secteur qui avait semblé intéresser les Chinois, mais dont les actions, il est vrai, ne sont généralement pas vouées au spectacle.
Reste l'idée d'une usine de montage de voitures au Cameroun. Le 27 octobre 1993, Paul Biya était invité à visiter la Beijing Jeep Corporation, une usine qui, comme sa dénomination l'indique, est spécialisée dans la fabrication de voitures de type Jeep, en terre chinoise. Le chef de l'Etat camerounais avait alors dit son espoir de voir monter quelque chose de semblable au Cameroun. Franc Krebs, le directeur général de l'usine, avait répondu favorablement à cet appel présidentiel; et depuis, plus rien. La coopération sino-camerounaise est ainsi. Or c'est bien elle qui était exaltée à Kribi en août dernier. En prenant soin de noyer les quelques ratés que l'on sait.
Qu'est-ce qui coince? Où localiser les dysfonctionnements de la machine de la coopération? Les Chinois parlent peu quand ils sont interrogés à ce sujet. Peut-être les Camerounais devraient-ils se contenter de tenir pour acquise l'aide chinoise manifestée dans la construction du Palais de Congrès de Yaoundé, dans le barrage de Lagdo, dans les hôpitaux, dans l'exploitation attendue de la bauxite et du gaz naturel, etc. Et Pékin pourrait toujours se prévaloir de son statut de pays "peu avancé", par rapport aux poids lourds présents dans la politique de partenariat de Yaoundé - en tête desquels se trouve la France - avec lesquels il ne peut prétendre rivaliser.
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