ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 364 - 15/03/1999

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République centrafricaine

Le pouvoir judiciaire


by Gabin-Eric M'Bika, Centrafrique, janvier 1999

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

Si l'avènement du 21e siècle est profondément marqué par l'expansion du courant démocratique,
quelques résistances totalitaires existent encore ici ou là.

La démocratie est devenue aujourd'hui une référence incontournable pour tout pays qui se dit "Etat de droit." Signifiant souveraineté du peuple, elle implique l'établissement et l'application de tous les paramètres qui la composent. Et la justice constitue un de ses piliers fondamentaux. Elle est définie par le Petit Larousse comme "la vertu qui fait rendre à chacun selon ce qui lui est dû". Or, on ne peut pas parler de droits sans parler de devoirs. Il y a nécessairement une balance ou un jugement à faire, et le garant en est le pouvoir judiciaire.

En Centrafrique, qui depuis quelques années a fait siennes les institutions démocratiques, quelle est la véracité du pouvoir judiciaire? Enclavée en plein coeur de l'Afrique, la RCA est un grand pays (623.000 kmý), très peu peuplé (environ 3 millions d'habitants). Le nombre des magistrats est estimé à une centaine. Il y a une quarantaine d'avocats et il existe un Ordre des avocats. Pour accéder à la magistrature, il faut être diplômé en Droit et passer un concours. Des stages de perfectionnement sont prévus, généralement dans d'autres pays africains et quelquefois en France.

Pouvoirs judiciaire et politique

En Centrafrique, c'est le pouvoir politique qui nomme et promeut aux hautes fonctions. Notre Constitution, ainsi que plusieurs textes officiels affirment l'indépendance des juges. Mais en réalité, l'application de ce principe n'est pas très effective.

Les juges sont nommés et promus par un Conseil supérieur de la magistrature, qui est présidé par le chef de l'Etat. En cas d'absence, c'est le ministre de la Justice qui le supplée. Etant donné l'influence directe du chef de l'Etat sur le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif est très ombrageux et très puissant. Du coup, les options politiques et les facteurs ethniques jouent un rôle prépondérant. Ainsi, très souvent, ne seront affectés dans telle ou telle région "propice" du pays que les magistrats proches du pouvoir. S'ils préservent habilement ce "privilège", ils sont "inamovibles"; sinon, ils sont brutalement affectés ailleurs sans être préalablement consultés. Ce constat se retrouve également dans les autres corps.

Intégrité

Bien qu'ils disposent d'un statut particulier, distinct du statut général de la fonction publique, les magistrats sont rémunérés par l'Etat. Ils sont parmi les fonctionnaires qui ont les meilleurs salaires. Si bien que, après le baccalauréat, la plupart des étudiants préfèrent s'orienter en Droit. Et cette faculté renferme quatre ou cinq fois plus d'étudiants que les autres.

Mais, aujourd'hui, la crise économique et le cumul des arriérés de salaires ont mis en route un cercle vicieux de maux qu'on retrouve à tous les niveaux: social, culturel, moral et politique. Le "goro", ou corruption, s'offre comme un gâteau. La tentation est grande de baigner dans une sorte de "troc de la justice", qui aurait comme loi: "Donne-moi de l'argent et je te donne raison". Le villageois, le paysan et toutes les petites gens, même s'ils ont raison, se retrouvent impuissants et malheureux devant le pacha qui fait taire tout le monde avec son argent.

Des bandits arrivent à se cotiser et à organiser la libération des leurs. Dans certains cas, des voleurs sont libérés pendant la nuit pour continuer leurs opérations habituelles. Et le butin profite aux gardes de prison. Maintenant, dans certains quartiers, le peuple déçu se fait justice lui-même. Dès qu'on attrape un voleur en flagrant délit, on lui fait avaler du ciment liquide ou de l'huile de palme bouillante, ou bien on le tabasse jusqu'à ce qu'il meure.

Les enquêtes, même si elles ont l'air de commencer avec objectivité, sont souvent déviées au dernier moment ou tout simplement n'aboutissent pas.

Le délai de garde à vue est souvent élastique, du moins pour certaines couches sociales. Dramatiques sont les cas où, par égarement de dossier ou simplement par oubli, un citoyen arrêté peut passer plusieurs mois avant qu'on ne statue sur son cas. Puisque prendre un avocat suppose débourser une somme importante d'argent, les petites gens ne savent souvent pas à qui se vouer.

La Commission épiscopale centrafricaine de Justice et Paix, qui se structure depuis quelques années, a un grand apport dans la sensibilisation des gens. Elle organise des sessions de formation et d'information sur les devoirs et les droits des citoyens, ainsi que sur l'organisation judiciaire centrafricaine. La collaboration des magistrats dans cet organe est très encourageante.

Autant le procès de l'empereur Bokassa avait donné beaucoup de poids et de crédibilité à la justice centrafricaine, autant la pauvreté et la misère, qui se généralisent aujourd'hui à tous les niveaux des couches sociales, la rendent perméable et fragile, malgré qu'elle soit bien formée, jeune et dynamique. Le fait d'atteindre une certaine neutralité par rapport au pouvoir politique, et une certaine autonomie financière au niveau des revenus, suffirait-il pour rendre vrai le pouvoir judiciaire centrafricain? De toute façon, il y a un défi à relever.

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