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by Sylvestre Tetchiada, Cameroun, mars 1999
THEME = MINORITES
Le débat autour de la loi portant sur la protection des
minorités
dans l'actuelle Constitution camerounaise et ses contradictions politico- hégémonistes
dévoilent les turpitudes d'une classe politique en mal d'inspiration.
La crise institutionnelle traversée par le Cameroun, depuis la décennie quatre-vingt-dix, est une crise du système et de la pensée, d'où sont issus les principes de "l'Etat providence". Les élucubrations diverses autour de la loi sur les minorités dans l'actuelle Constitution camerounaise ne sont que la manifestation des impasses auxquelles ont conduit une vision ethnique des dirigeants camerounais de tous bords. Cette loi serait aussi «la résultante d'une interprétation dévoyée de la doctrine néolibérale qui conduit à théâtraliser la démocratie au nom de la démocratie.» (Dr D. Leuze, président de "Tribus sans frontières").
L'élite camerounaise est, depuis quelques années, engagée dans une sorte de "scramble of res publica", qu'une certaine classe intello nomme ici "postocratie", c'est-à-dire, pour être clair, une course effrénée vers les postes. C'est le cas dans diverses organisations comme:
Et d'autres encore...
Ces associations sont des véritables détonateurs de la "civilisation de l'oesophage" et de l'"idéologie du ventre" (expressions fréquemment utilisées par de nombreux journalistes camerounais - ndlr). On ne compte plus la naissance de groupes de pression ethnique qui recèlent en leur sein des survivances nostalgiques revanchardes.
Les dispositions réglementaires et institutionnelles sur les minorités nous convainquent de la réalité de ce qu'on appelle aujourd'hui, au Cameroun, «la crise du système social». La soudaineté avec laquelle cette disposition a atterri dans la Constitution du 18 janvier 1996 montre parfaitement les non-dits et les sous-entendus à finalité désintégratrice, créés et entretenus par les fossoyeurs de l'unité nationale.
Dans le cadre du Cameroun, et notamment de la Constitution, l'observateur averti se trouve désemparé quant au contenu þ manifeste ou latent þ du concept de minorité. La loi sur la protection des minorités est une véritable nébuleuse, "rejeton bâtard", comme l'affirment les députés de l'opposition, teintés de tribalisme.
«Qui est minoritaire au Cameroun et qui ne l'est pas?» Cette question a constitué la toile de fond des débats organisés, les 28 et 29 décembre 1998, par une dizaine d'associations à Yaoundé. La notion de minorité est-elle liée à une dimension territoriale, linguistique, ethnique (au Cameroun, on compte près de 250 ethnies - ndlr), culturelle, numérique, qualitative, religieuse ou historique...? Le danger de manipulation d'une réalité aussi complexe peut s'avérer périlleuse et autodestructrice pour une nation en mal d'intégration, comme le Cameroun.
La véritable dimension du phénomène des minorités doit être recherchée dans l'analyse de la place que prennent les minorités dans le système politique, économique, culturel et social. Certains facteurs, à la base d'un préjugé historique, font que certains groupes n'ont qu'une place subordonnée dans la distribution des richesses. Le préjudice socio-économique et la lésion politique qui s'en suivent, peuvent donc être à la base d'un "complexe minoritaire".
Mais la source des problèmes peut aussi provenir d'une situation inverse, où la place privilégiée - réelle ou fictive - d'une minorité devient insupportable pour la majorité. C'est le cas actuellement. L'essentiel des rouages du pouvoir, en effet, les postes sensibles et stratégiques, les médias officiels et les cordons de la bourse sont monopolisés par le "clan au pouvoir", composé, selon le journal "Inpact Tribune", à 90% de l'ethnie bulu, à laquelle appartient le président de la République.
Le phénomène des minorités a, entre autres, une dimension psychologique, véhiculant le cliché de la "conscience de minorité". Cette conscience revêt un caractère de réciprocité et de simultanéité: en même temps que la minorité se considère comme telle, elle est traitée ainsi par la "majorité".
La minorité intériorise les frustrations et les traumatismes du groupe dominant, en même temps que se développent les mécanismes de défense par les techniques de la thématique persécutive.
Les Camerounais d'expression anglaise représentent un complexe sociologique et linguistique, du fait de leur différence linguistique, et de leur proximité géographique et culturelle avec les Bamilekés (populations de l'ouest camerounais). Ils se disent victimes d'une lésion sur le plan historique. C'est ainsi que ces "laissés pour compte" par les différents systèmes politiques, ont formé une coalition irrédentiste: le SCNC (Southern Cameroon's National Council - Conseil national du Cameroun méridional), dans la perspective d'une riposte - tantôt voilée, tantôt ouverte - vive ou violente.
Le Social Democratic Front (SDF, parti de l'opposition, regroupant les «purs et durs» de la gauche, sous la présidence de John Fru Ndi -ndlr) canalise ces courants de sédition chez les "Anglo-bami" du terroir et de la diaspora. ("Anglo-bami": expression collée par une certaine presse, proche du pouvoir, aux populations anglophones, celles du nord-ouest en l'occurrence, et celles de l'ouest - les Bamilekés - acquises aux partis de l'opposition -ndlr).
Pour sauvegarder la cohésion sociale, aujourd'hui mise à rude épreuve, une nouvelle lecture de notre convivialité s'impose. Les élites doivent rompre avec les théories du vide. Le caquetage des discoureurs qui aujourd'hui s'écoutent parler sur les droits des minorités est, en fait, une fuite en avant de l'intelligentsia "postocratique", à la recherche d'un accès au pouvoir. «Il s'agit là - précise le Dr Dieudonné Leuze - d'une violence idéologico-politique en vue d'accéder ou de se maintenir dans le cercle de la jouissance des "potentats prébendiers" d'un Etat mou. L'abêtissante uniformisation des mentalités, la violation des consciences, l'usage des formules imprécatoires, des proclamations combatives, du langage effusionnel, des adjectifs péjoratifs et intériorisants dans le discours sur les minorités est un savant instrument d'émancipation.»
Face à ces prophètes de la foi en l'atomisation des peuples, lors de la conférence sur le thème des minorités, les 28 et 29 décembre 1998, la société civile, organisée autour de quelques leaders d'ONG, a suggéré la thèse de l'union différentielle. Mais celle-ci serait-elle comprise ?
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