ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 366 - 15/04/1999

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Afrique du Sud

Le temps des élections


by A. Green-Thompson & S. O'Leary, Afrique du Sud, mars 1999

THEME = ELECTIONS

INTRODUCTION

Le 2 juin 1999:
élections nationales et provinciales en Afrique du Sud

On a du mal à croire que les élections de juin 1999 seront en fait les premières élections démocratiques en Afrique du Sud. Les élections du 27 avril 1994 furent l'aboutissement d'années de combat contre un régime corrompu et illégitime; des élections disputées par des combattants de la liberté qui avaient échangé les balles contre les bulletins de vote. Cinq ans après, beaucoup de ces combattants de la liberté sont devenus des parlementaires chevronnés. Lentement mais sûrement, ils se rendent compte que la lutte pour une vie décente pour tous dans l'époque post-apartheid est beaucoup plus décevante qu'on ne l'avait imaginé. La réalité dégrisante du régime post-apartheid est que l'importance du pouvoir économique dépasse tout le reste.

Beaucoup d'anciens combattants de la liberté et de syndicalistes ont remisé leurs slogans militants d'avant 1994 et, en un rien de temps, sont devenus millionnaires, épousant le capitalisme et occupant des postes dans des consortiums de pouvoir noir. "Even the Dead" (Même les Morts), une collection de poésie publiée en 1997 par le secrétaire général adjoint du parti communiste, Jeremy Cronin, exprimait ce que ressentent un grand nombre de l'ancien mouvement de libération: "Après avoir supprimé les patrons, nous sommes devenus les patrons". Cronin se demande si le pouvoir économique noir répond vraiment à la définition de ce terme, ou s'il crée une petite élite noire issue de l'ancien mouvement de libération. Les statistiques, du moins s'il faut y attacher foi, le confirment. Il y a un an, les 20% de la population les plus riches possédaient 60% de la richesse nationale, alors que les 20% les plus pauvres n'en avaient que 3%. Peut-on parler de prise de pouvoir quand l'emploi continue à diminuer et que le chômage se situe entre 27 et 37%? La réalité est que l'économie a perdu 500.000 emplois depuis 1994.

Cependant, tout ne va pas si mal. La démocratie débutante a atteint de beaux résultats. La promesse de bâtir un million de nouvelles maisons en 5 ans s'est concrétisée par la construction de 700.000 nouvelles maisons et la perspective raisonnable d'en bâtir 100.000 autres cette année-ci. La vie de millions de personnes s'est améliorée grâce à l'accès à l'eau courante et à l'électricité. Au cours des 5 dernières années, la moitié du budget national a été consacré aux services sociaux. Si la réforme du système de santé et de l'enseignement reste toujours difficile, il y a cependant des changements évidents. L'Afrique du Sud est passée d'un système médical curatif très sophistiqué à un système préventif généralisé, avec relativement peu de décès. Non seulement le pays reste stable mais, en introduisant le système de contrôle mutuel garanti par la Constitution, le pays a créé une structure qui assurera la permanence de cette stabilité. C'est ainsi que l'Afrique du Sud va vers des élections démocratiques normales en juin.

Après Mandela

Une des questions cruciales pour le monde extérieur est la question de l'après-Mandela. Signe de la maturité du nouvel Etat, cette question n'est pas un problème dans le pays lui-même. Tous acceptent la démission de Mandela et lui souhaitent une retraite heureuse; le pays est résigné au fait que Thabo Mbeki va lui succéder. Personne ne s'attend à ce qu'il remplace Mandela ou égale sa stature. Mais sa diplomatie tranquille et sa connaissance de la politique font bien augurer du processus de transition. Cependant, on s'attend généralement à la fin de la lune de miel pour les Blancs, et on pense que Mbeki ne se mettra pas en quatre, comme l'a fait Mandela, pour tenir compte de leurs craintes et incertitudes. De plus, les cinq années de partage du pouvoir dans un gouvernement d'unité nationale, élément de l'accord négocié, arrivent à leur fin.

Les conjectures au sujet de la succession de Mbeki à la vice-présidence abondent. Le candidat le plus vraisemblable est le président adjoint de l'ANC, Jacob Zuma. Mais on ne peut écarter la possibilité que cette position clé soit décernée au chef du Parti de la liberté Inkatha (IFP), Mangosuthu Buthelezi, ce qui aiderait à resserrer les liens entre les deux partis.

Mandela ne sera pas le seul à quitter les allées du pouvoir en juin. Avec lui partira la vieille garde, dont plusieurs représentants ont été en prison ou en exil dans le passé et qui ont en grande partie obtenu leur haute situation par gratitude pour leur rôle dans la lutte. On reconnaît généralement que certaines de ces personnes n'ont pas apporté de contribution significative à la transformation de l'Etat. Ces départs ouvrent la voie à d'autres qui essaient de se placer avantageusement pour obtenir des situations au sommet.

Le souci de beaucoup de Sud-Africains, c'est que Mbeki semble s'entourer des "siens", et on craint que la loyauté l'emporte sur les considérations de compétence lorsqu'il s'agira de composer le nouveau gouvernement.

Controverse

Les élections elles-mêmes sont entourées de pas mal de controverses. La première concerne la liste des électeurs. En bref, les électeurs ne peuvent voter que là où ils se sont inscrits. Pour s'inscrire, on exige un document d'identité valide, avec obligatoirement un code-barres. Les codes-barres ont été introduits en 1986, ce qui signifie que beaucoup de gens n'ont toujours que l'ancien document sans code. En principe, ces gens perdront leur droit au vote sauf s'ils demandent de nouveaux documents. Ceci a précipité une contestation constitutionnelle par deux des partis d'opposition, le Nouveau parti national (NNP) et le Parti démocratique (DP). Leur geste, cependant, ne tient ni de l'altruisme ni d'un engagement en faveur du processus démocratique: un grand nombre de Blancs n'auraient que d'anciens documents et, comme ils sont peu susceptibles de voter pour le parti au pouvoir, il y va de l'intérêt des partis d'opposition d'engranger leur soutien.

Un second domaine de contestation concerne la Commission électorale indépendante (IEC), chargé d'organiser les élections. La démission de son président, le juge Johan Kriegler, qui exerçait la même fonction en 1994, a provoqué des ondes de choc à travers tout le pays. Si on lit entre les lignes, il semble que son indépendance ait été mise en question et que sa lutte pour obtenir un financement accru en faveur de l'IEC ait augmenté la tension avec le gouvernement. On a constaté cependant que, après son départ, la coopération entre le gouvernement et la IEC s'est améliorée.

@BODY_ETROIT = Malgré ces controverses, il n'est pas difficile de prévoir le résultat des élections. L'ANC voudrait remporter la majorité des deux tiers et avoir ainsi le droit de modifier la Constitution afin d'accélérer le changement. En 1994, il a obtenu 62,8% des voix. L'impression dans le pays est maintenant qu'il va perdre un petit pourcentage de points et se situer entre 55 et 58% des voix. La raison en est simple. La vie quotidienne de millions de Sud-Africains n'a guère connu de changements depuis 1994. Ces gens ne voteront certainement pas pour un autre parti, mais ils voteront avec leurs pieds en s'abstenant de voter. C'est l'apathie, et non l'opposition, le plus grand opposant de l'ANC.

Pas d'opposition crédible

La victoire de l'ANC ne sera pas due à la réalisation des promesses de 1994 mais plutôt à l'inexistence d'un parti d'opposition crédible. Le Nouveau parti national est un bateau à la dérive incapable de se débarrasser de l'héritage de l'apartheid. L'incapacité du parti à vivre sans être au pouvoir a entraîné le départ en masse de ses partisans. Son nouveau leader, Martinus van Schalkwijk, considéré comme un poids-plume dans l'arène politique, personnifie la disparition du parti autrefois tout- puissant. Ayant obtenu 23% des voix en 1994, il pourra être heureux s'il en obtient 10% ...

En dépit du fait que 42 partis ont été enregistrés en vue des élections, aucun autre parti n'aura plus de 5%. Les avances faites par l'ANC à Mangosuthu Buthelezi pourraient présager une perte de voix pour l'IFP, mais pas de façon significative. L'IFP pourrait obtenir 5% et se trouver à égalité avec le Parti démocratique, un rassemblement de gens qui ne se sentent plus à l'aise au NNP mais veulent encore faire partie d'une élite blanche. Des partis qui, en 1994, ont obtenu très peu de voix, tels le Front de la liberté, parti afrikaner conservateur, et le Congrès panafricain, considéré comme étant à gauche de l'ANC, tombent peu à peu dans l'oubli. Il serait étonnant que l'un ou l'autre compte plus de 2% des voix.

Il y a une petite possibilité que se forme une coalition officieuse dont le moteur serait l'opposition à l'ANC. Ici, plus qu'ailleurs, on retrouve le Mouvement démocratique uni (UDM). Bien que composé de deux étranges associés, Roelf Meyer, ancien membre progressiste du NP et chef-négociateur, et Bantu Holomisa, dissident expulsé de l'ANC et ancien dictateur d'un homeland, l'UDM pourrait plaire à ceux qui souhaitent voter en faveur d'une alternative à l'ANC. Il est très difficile de prévoir le résultat qu'il fera. Sa force réside dans la possibilité de former une alliance d'opposition. Il faut pourtant dire que cela aura peu d'influence sur le résultat des élections.

Elections provinciales

Alors que les yeux du monde sont braqués sur les élections sud-africaines de juin, le pays lui- même attend avec intérêt les neuf élections provinciales qui auront lieu en même temps. Actuellement, l'ANC contrôle sept provinces, l'IFP dirige le KwaZulu Natal et le NNP la province de Western Cape.

Grâce à l'alliance entre l'ANC et l'IFP, il est possible que l'ANC prenne le KwaZulu Natal. Il est plus difficile de dire ce qui se passera dans la province de Western Cape. Si le NNP a perdu récemment sa popularité, il faut dire qu'il en va de même pour l'ANC. Ici on pourrait assister à la formation d'un gouvernement de coalition.

L'importance des élections du 2 juin dans la situation actuelle de transformation de l'Afrique du Sud, a amené aussi des organisations de la société civile à s'unir derrière les dirigeants de l'Eglise pour observer le processus. D'une certaine façon, cela devrait contribuer à apaiser une partie de la tension toujours liée aux campagnes électorales en Afrique du Sud. Ce qui est certain c'est que les cinq prochaines années de gouvernement démocratique dans cette extrémité australe de l'Afrique seront intéressantes.

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Elections 1999: le guide des partis