ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 367 - 01/05/1999

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Burkina Faso

Un FESPACO à restructurer


by Sarah Tanou, Burkina Faso, mars 1999

THEME = CULTURE

INTRODUCTION

Le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco)
risque un déclin accéléré, à moins d'une restructuration rapide et profonde

Les lampions se sont éteints le samedi 6 mars sur la 16e édition du Fespaco. Le jury, dans un dosage diplomatique, a récompensé chaque région cinématographique du continent. C'est l'Afrique francophone du sud du Sahara qui a gagné le gros lot: l'Etalon de Yenenga, d'une valeur de 5 millions de francs cfa, est décerné au film «Pièces d'identité», du Congolais (RDC) Dieudonné Mwézé Ngangura.

Du 27 février au 6 mars 1999, le Burkina Faso a vibré au rythme du Fespaco. Une édition placée sous le signe de la promotion des films africains, sous le thème «Cinéma et circuits de la diffusion en Afrique». Elle a coïncidé avec le 30e anniversaire de ce festival. Rapportés à l'échelle de la vie humaine, trente ans correspondent à l'âge de la maturité et de la responsabilité; et en Afrique subsaharienne, où l'espérance de vie moyenne dépasse rarement cinquante ans, la signification des trente ans prend encore davantage d'importance.

C'est donc sans surprise qu'en cette dernière édition du XXe siècle, le Fespaco a choisi de plancher sur les circuits de distribution du cinéma africain. C'est également avec raison que l'on entrevoit une périodicité annuelle de la plus grande fête du cinéma africain.

Mais il ne faut pas se voiler la face: la question des circuits de distribution n'est pas une équation aisée à résoudre, vu les intérêts politiques et économiques en jeu. Sans oublier que la programmation d'un film (surtout africain) ne signifie pas nécessairement que ce dernier va drainer des foules. Les images venues d'ailleurs (westerns, hindous, policiers, fictions, etc.) ont tellement pénétré le goût de beaucoup d'Africains, que les bons films sont assimilés à ces images. Une sorte d'acculturation, de "déculturation", ou de complexe d'infériorité, diraient certains.

Or, ce genre de phénomène est ancré dans l'inconscient des individus, tant et si bien que, parallèlement à l'action les circuits de distribution, il convient d'envisager une stratégie de marketing et de communication à l'intention des cinéphiles. En effet, en 30 ans d'existence, le Fespaco accuse le poids de l'âge et les organisateurs, malgré leur bonne disponibilité, donnent l'impression d'avoir fini d'innover.

Donner le Fespaco au monde

La culture par le biais du Fespaco a réussi là où les politiques ont échoué avec les organisations panafricaines: rassembler les Africains dans un engagement solidaire pour défendre leurs intérêts. Le Festival cinématographique de Ouagadougou s'est si bien inscrit dans cette vision, qu'il a fini par déborder du continent pour s'ouvrir de plus en plus à la diaspora et au tiers-monde. Les pionniers de 1969 pouvaient-ils rêver mieux? Ce qui n'était que "journées du film africain" pour un cercle d'amateurs, est devenu un festival mondial.

En 1972, l'Etat voltaïque de l'époque s'était impliqué dans la manifestation pour lui offrir un cadre juridique et structurel et des moyens financiers qui lui ont permis de sortir du cercle restreint des initiés pour être d'abord un événement national, ensuite continental. Sans espoir de gains financiers ni zèle particulier de panafricanisme militant, le Burkina a soutenu le Fespaco pour en faire une manifestation culturelle irremplaçable. Mais, pour que le Fespaco continue de grandir, le Burkina devait le donner à l'Afrique et au monde. Au début des années 1980, l'idée d'un festival tournant était de mise. La situation politique "d'Etat révolutionnaire" du Burkina, à l'époque, avait fait craindre des subterfuges de milieux politiques hostiles pour ôter au pays son festival. C'est légitimement que les autorités et des sommités du monde de la culture avaient refusé cette idée. Ils craignaient qu'on vole au Burkina son bébé.

Aujourd'hui, il est devenu historiquement impossible de nier le rôle du Burkina dans la promotion du 7e art, voire de la culture africaine en général. Mais les temps changent. A l'heure de la mondialisation et de la constitution d'ensemble régionaux, le Burkina serait bien inspiré de faire du Fespaco une institution internationale avec son siège à Ouagadougou. Le statut d'établissement public à caractère administratif adopté par le conseil des ministres est une mascarade pour une manifestation de cette envergure. Le Festival est aujourd'hui un patrimoine culturel de l'Afrique et de l'humanité qui ne peut se confiner à une structure rattachée à un simple ministère de la Culture d'un pays.

Pour que le Fespaco puisse s'envoler de ses propres ailes, et quitter le cocon maternel, le Burkina doit lui rendre sa liberté. Il ne s'agit pas pour le Burkina d'abandonner un festival qui serait devenu trop lourd à gérer, mais de l'accompagner par une réforme structurelle profonde, qui dépasse le cadre d'une simple ouverture du festival vers l'Afrique, la diaspora et le tiers-monde. Il s'agit plutôt de donner une aura encore plus grande à la manifestation à Ouagadougou. Un nombrilisme trop paternaliste pourrait, au contraire, étouffer le festival incapable d'intégrer les nouvelles attentes des cinéastes, du cinéma africain, et du 7e art en général. On s'en doute, au 21e siècle, ces préoccupations ne seront pas les mêmes que celles qu'a su porter le festival de 1969 à nos jours. Du reste, certaines initiatives, telles les rencontres cinématographiques de Dakar, le festival du court métrage d'Abidjan ou le festival de la télévision du Cameroun, ne sont-elles pas des signes annonciateurs d'un éclatement prochain du Fespaco si rien n'est fait et vite dans le bon sens?

Principales innovations

En attendant la restructuration qui s'annonce très prometteuse pour le cinéma africain à l'orée du 3e millénaire, les organisateurs de la 16e édition du Fespaco se sont engagés à mieux faire. Plusieurs innovations ont été portées à cette édition: exposition de costumes, accessoires, photos et portraits des comédiens africains; création d'un espace-rencontre pour les contacts et les rendez-vous à l'attention des professionnels; l'attribution d'une aide à la distribution d'une valeur de 15.000 dollars au film qui remporte l'Etalon de Yenenga; une tournée de promotion des films primés (palmarès officiel) à Nairobi (Kenya), Johannesburg (Afrique du Sud) et le Caire (Egypte), et l'organisation d'un concours "Jeune public" dont le gagnant bénéficie d'un séjour en France, avec prise en charge complète, pour prendre part au 19e festival international du film d'Amiens en novembre 1999.

Les femmes de l'image face à la pauvreté

En marge de cette 16e édition, plus d'une centaine de femmes journalistes et cinéastes se sont rencontrées pour échanger leur point de vue sur le thème "Cinéma, femmes et pauvreté", en vue de venir en aide à leurs soeurs qui croupissent dans la misère. La rencontre a eu lieu les 2 et 3 mars sous l'égide de l'Union panafricaine des femmes de l'image (UPACI), du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et du Fespaco. Au terme de leurs travaux, elles se sont engagées à concrétiser leurs actions à travers un plan d'action triennal articulé sur trois plans:

- Au plan communautaire: elles s'engagent entre autres à faire connaître les besoins des populations aux décideurs politiques; à impliquer les publics cibles dans la recherche de stratégies d'actions; à donner la parole aux femmes des villes et des campagnes, afin qu'elles puissent s'exprimer sur leurs préoccupations, et se faire connaître. Aussi, entendent-elles entreprendre des études de milieu, en vue de diagnostiquer les raisons réelles de la pauvreté des femmes, et d'informer les femmes sur les activités en matière de développement qui se déroulent ailleurs et qui peuvent être produites dans leur environnement local.

- Au plan national: elles s'engagent à créer une association nationale des femmes du multimédia, dans les pays où il n'en existe pas, à renforcer celles existantes et à les former en réseaux; à mettre l'accent sur l'éradication de la pauvreté dans les productions audiovisuelles, les articles et autres types de documents d'information; à créer une base de données de modèles de réussite sur l'éradication de la pauvreté à l'intention des femmes de la communication. Comme actions concrètes, elles prévoient de réaliser des séries de 26 mn sur le thème, en support vidéo pour les télévisions nationales, et les diffuser dans tous les pays où le PNUD est représenté, ceci pour appuyer le système des Nations unies dans son plaidoyer en faveur de l'élimination de la pauvreté.

- Au plan international: les femmes communicatrices envisagent de chercher une affiliation et un partenariat avec les structures régionales et internationales ayant les mêmes objectifs, en vue de partager les expériences; à se tenir au courant des événements mondiaux relatifs à l'éradication de la pauvreté et à adopter les stratégies aux conditions locales. Créer une banque de données sur les productions des femmes africaines en multimédia et donner les moyens aux femmes d'accéder aux nouvelles technologies en matière de communication font également partie de leurs engagements.

Pour un meilleur suivi de ces résolutions, elles ont décidé de la création d'un réseau régional de femmes du multimédia. C'est un engagement pris par les femmes journalistes et cinéastes qui consiste à éradiquer la pauvreté qui afflige près de 3/4 de l'humanité, où plus de trois cent millions d'Africains vivent et vivront encore avec moins d'un dollar par jour dans le nouveau millénaire.

Le Fespaco est un tremplin pour les Africains. Aux hommes de culture d'apporter leur soutien à la construction de l'édifice. Gageons qu'il ne faillira pas à sa mission.

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