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by Solange Léocadie Kibelolo, Congo-Brazza, mars 1999
THEME = VIE SOCIALE
Bien que le Congo soit un pays producteur de pétrole,
le carburant se fait de plus en plus rare.
Des "contrebandiers" appelés "khadafi"
tentent d'approvisionner les chauffeurs.
C'est dans la discrétion que les vendeurs d'essence ambulants exerçaient leurs activités, avant l'éclatement de la guerre civile de 1997. Depuis, on est entré dans le régime des "rouleurs en mbeba". C'est-à-dire qu'on n'a plus peur des autorités. De nos jours, les "khadafi", nom donné aux jeunes vendeurs du carburant de contrebande, proposent le carburant au vu et au su de tout le monde. Aux coins des rues, les uns exposent sur une étagère plusieurs bidons de 25 litres, avec des entonnoirs et un tuyau; d'autres ne présentent qu'un seul récipient de 5 litres placé sur un tabouret. Mais partout on trouve la pancarte: «Carburant en vente ici».
Ce phénomène a pris naissance dans les quartiers sud de Brazzaville, où la police a tenté en vain de mener des opérations contre les khadafi. Pendant ce temps, dans les quartiers nord, ce commerce informel est exercé en toute liberté. «C'est l'effort de guerre», rétorquent les vendeurs.
D'où provient ce carburant? Normalement, il vient de Pointe- Noire, la capitale économique du Congo. Mais l'interruption fréquente du chemin de fer Congo-océan, à cause de la guerre dans la région du Pool, et le nombre insuffisant des citernes font qu'à Brazzaville on manque souvent de carburant. Alors, les khadafi profitent de cette situation et importent du carburant du Congo-RDC voisin. Leur trafic se fait par pirogues, en prenant bien des risques.
Mais actuellement, les ravitailleurs sont aussi les pompistes. En dépit des efforts fournis par Hydro-Congo pour livrer du carburant dans presque toutes les stations restées opérationnelles après la guerre, les pompistes entrent dans la magouille. Après chaque livraison, ils réservent quelques fûts aux vendeurs d'essence ambulants, ce qui pénalise les chauffeurs.
Les pompistes vendent l'essence aux khadafi à 400 fcfa le litre. Prix normal. Seulement, les revendeurs doivent verser une somme de 1.000 fcfa pour chaque bidon de 25 litres: «C'est la prime de risque», avance un pompiste.
Dès que le carburant s'épuise dans les stations, les khadafi surgissent avec leurs réserves et font la loi. Le litre d'essence est alors vendu à 700 ou 800, voire 1.000 fcfa, selon le prix d'achat aux pompistes. «Mon essence est de bonne qualité, je ne peux donc pas la marchander. Si vous ne voulez pas acheter, il y aura bien d'autres preneurs. 1.000 fcfa le litre: c'est à prendre ou à laisser», répond Jules en invectivant les chauffeurs.
Les jeunes khadafi sont avides. Voulant trop gagner, ils mélangent souvent les produits. C'est le cas d'un vendeur dans un quartier nord de Brazzaville. Ayant vendu du mauvais gazole, il s'est fait interpeller par son client. Il admet alors que, pour obtenir 100 litres, il a "panaché" 50 litres de pétrole avec 50 litres de gazole. Quelque temps plus tard, les acheteurs sont revenus revendiquer 50.000 fcfa, équivalant au prix d'achat du mauvais carburant. «Dès que nous avons utilisé ce gazole, le moteur a commencé à fumer», réclame Magloire, un chauffeur d'omnibus.
Malgré les reproches formulés à leur endroit, les khadafi ne renoncent pas. Alors, les "chauffeurs-connaisseurs", maîtrisant le jeu, testent d'abord la qualité du carburant avant de l'acheter. «Lorsque je roule avec de l'essence achetée aux petits du quartiers, je dois vidanger le moteur de mon véhicule. Car, avec ce qu'ils font, le moteur peut rapidement s'abîmer», explique Noël, transporteur. «Si je ne fais pas cela, tous mes bus seront sur cales», ajoute t-il.
Lorsque le carburant disparaît, les Brazzavillois en paient les frais. On les voit alors marcher des kilomètres à pied, tout au long de la capitale. La plupart des administrations, des entreprises et d'autres activités lucratives sont concentrées au centre-ville. Pour s'y rendre, il faut un moyen de transport. Dès que le carburant se fait rare, les omnibus font des "demi-trajets": les chauffeurs, en complicité avec les contrôleurs des bus, ne respectent plus les itinéraires. Parfois, ils augmentent le billet à 200 fcfa, alors qu'il a été fixé à 150 fcfa par la mairie. Chez les taximen, la course augmente aussi: de 700 fcfa, elle monte à 1.000 fcfa. «L'augmentation des tarifs concourt à récupérer les 25.000 fcfa dépensés pour l'achat d'un bidon de 25 litres de carburant, au lieu des 10.000 francs en temps normal», réclame un contrôleur de bus.
Comme le paiement des salaires des fonctionnaires est souvent retardé, ils ne peuvent consacrer tout leur budget au transport. Certains d'entre eux sont contraints de marcher pour se rendre au travail. «J'ai marché de Nganga-Lingolo, à 17 km au sud de Brazzaville, jusqu'au centre-ville parce que les khadafi font la loi». Ce phénomène prend de l'ampleur. Mais les vendeurs ambulants comptent mettre sur pied une association pour défendre leur cause: «Nous pratiquons cette activité pour éviter de rester à la remorque du chômage», riposte un des khadafi.
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