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by Justin Mendy, Sénégal, avril 1999
THEME = POLITIQUE
Le nouveau gouvernement, dit "d'unité nationale",
doit faire face à de mutiples tâches,
aussi cruciales et difficiles les unes que les autres
Avec neuf ministres et sept secrétaires d'Etat, le nouveau gouvernement de la Guinée-Bissau est à la mesure de ce petit pays. Alors que les précédents cabinets ministériels comptaient jusqu'à une trentaine de membres, le gouvernement du Premier ministre Francisco José Fadul, en fonction depuis le 20 février dernier, est réduit à sa plus simple expression, traduisant le souci à la fois d'austérité et d'efficacité que veut lui insuffler son chef.
Selon les accords intervenus entre les deux parties en conflit, une répartition numériquement équitable a été observée: huit membres pour chacune des parties. Cinq ministères et trois secrétariats d'Etat ont été dévolus au chef de l'Etat; quatre ministères et quatre secrétariats d'Etat aux mutins du général Mané. La caractéristique la plus significative est sans doute la détention par les mutins des postes clés de la Défense et de la Sécurité (administration interne), de l'Economie et des Finances, ainsi que de l'Information (communication sociale). Quant aux hommes, ils sont presque tous de nouvelles figures, de jeunes cadres techniciens avertis et, pour la plupart, en marge du devant de la scène politique.
Le Premier ministre lui-même est un homme respecté par tous. Les milieux autorisés disent de lui qu'il est un homme sérieux et honnête, rigoureux et au sens éthique très élevé, un juriste compétent. Ces atouts font qu'avec l'attelage ministériel solide dont il dispose, il bénéficie d'un préjugé favorable de la part de diverses franges de la société, pour remettre le pays sur les rails, lui qui préside désormais aux destinées de la République comme président effectif du Conseil des ministres, auquel le président de la République n'assiste pas.
Les attentes sont multiples. Selon les propres dires du Premier ministre Fadul, il s'agit de restaurer la confiance et la sécurité, reconstruire la solidarité nationale, assurer l'intégrité territoriale, réunifier les forces armées nationales, faire rentrer les émigrés et exilés, organiser le rencensement général de la population, renforcer les mesures démocratiques, et procéder à des élections justes, claires et honnêtes. Une seconde série de tâches consistera à endiguer, de manière urgente, une situation humanitaire préoccupante: la famine menace, le manque de médicaments dans les hôpitaux et centres de santé inquiète, les maisons détruites par les bombardements laissent des familles sans abris, le système d'éducation désarticulé, les activités économiques paralysées...
Et pourtant, face à ces urgences, le gouvernement n'a pu entrer en fonction que près de 80 jours après la désignation du Premier ministre, le 2 décembre 1998. Ce délai est le fait notamment des exigences des mutins de voir les contingents militaires du Sénégal et de la Guinée quitter le territoire. Il aura fallu, entre autres, l'intervention énergique de Mme Bonino, commissaire de l'Union européenne, pour amener les deux principaux protagonistes à se mettre d'accord en se serrant la main et en se donnant l'accolade.
Malgré cette réconciliation, il demeure que la Guinée-Bissau reste "politiquement à feu et à sang", selon l'expression d'un homme politique. Et le sous-secrétaire d'Etat américain aux Affaires africaines, Mme Vicki Hudleston, qui a séjourné à Bissau en fin mars, confirmait que la tension est encore perceptible entre les parties en conflit et qu'un dialogue entre elles reste nécessaire. C'est pourquoi, pour consolider le processus de paix, elle propose au secrétaire général de l'Onu de désigner un représentant des Nations unies dans ce pays.
Au premier rang de ces tensions, figure l'exigence du général Mané d'une enquête sur le scandale de ventes d'armes aux indépendantistes de la Casamance, dont il avait été accusé par le président Vieira. (Ndlr - En fait, un rapport d'une commission d'enquête, présenté le 13 avril à l'Assemblée nationale, en a disculpé le général Mané).
Le président Vieira, lui, exige le départ d'indépendantistes casamançais des rangs des mutins en Guinée-Bissau - fait toujours nié par ces derniers. Cependant, le fait du désarmement et du cantonnement de toutes les parties en conflit, effectués par les troupes de l'Ecomog, enlève à cette revendication sa raison d'être.
La seconde tension - bien qu'a priori innocente - est celle provoquée par la mort de l'évêque de Bissau, Mgr. Farrazzetta. Bien qu'apparemment mort d'une mort naturelle, sa disparition a suscité des commentaires quelque peu sceptiques. Victime d'une fracture à la jambe, à la fin de l'année dernière, il fut évacué sur l'Italie pour se faire soigner. Il rejoignit Bissau le 21 janvier, mais décédait quelques jours après. Mgr. Farrazzetta était une personnalité respectée de tous les milieux, réputé pour son franc-parler, et n'hésitant pas à dénoncer «la mal gouvernance» du pays. Il fut le membre le plus influent de la "Commission de bonne volonté de réconciliation", entre les deux parties en conflit. Sa disparition a laissé perplexe plus d'un Bissau-Guinéen. En tout état de cause, l'idée est généralement répandue en Afrique que personne ne meurt d'une mort naturelle, surtout en des moments pareils...
Le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert (PAIGC, au pouvoir) est un parti malade. C'est d'ailleurs une des causes de la crise (voir ANB-BIA, nr 368, 15 décembre 1998). Cette crise interne s'est à présent consolidée et structurée: des courants sont apparus nettement et s'expriment publiquement.
Un mouvement, dit des "Rénovateurs", s'est constitué. Réclamant davantage de démocratie au sein du parti, il est conduit par M. Elder Poença, dit "You", membre du Comité central du parti, ancien ministre de la Communication sociale et proche de l'ancien Premier ministre Manuel Saturnino Dacosta.
Un autre mouvement est dirigé par un adepte du président Vieira, M. Fernando Delfim Da Silva, membre du bureau politique, ancien ministre des Affaires étrangères. Ce mouvement a pris le nom de "Firkidja", en créole portugais, ce qui signifie "Support".
Un troisième courant est incarné par le président de l'Assemblée nationale, M. Malam Bacaï Sagna, qui nourrit des ambitions de plus en plus affichées pour la direction du parti, voire de l'Etat. Il serait soutenu par un nombre relativement appréciable de jeunes.
Et enfin, il y a le "groupe de réflexion", créé pendant la crise par les instances mêmes du parti, pour réfléchir sur les maux dont souffre le PAIGC. Conduit par M. Filinto Barros, membre du Bureau politique et ancien ministre des Finances et de l'Economie, il compte en son sein plusieurs personnalités, dont M. Flavio Proença, secrétaire général de la présidence. Ce groupe a élaboré un document qui fait l'échographie du parti depuis 1964 et dont on dit qu'il est fort critique. Il demande son examen par un Congrès extraordinaire; ce qui n'est pas du goût de beaucoup de dirigeants.
Accessoirement, on pourrait ajouter à ce tableau, déjà fort chargé, les effets du programme de la Radiodiffusion nationale dit «Wakakadja», qui signifie "dire tout". Dans cette émission sont épinglés d'anciens responsables de la nation, en particulier des ministres, même très proches du président, dans la gestion de leurs responsabilités. Les propos de l'animateur de l'émission, le journaliste Bassirou Dabo, dont on dit qu'il est très proche de Nino Vieira, sont tels que certaines "victimes" soupçonnent le président de la République d'y être impliqué et chercheraient à se démarquer de lui. Parmi elles, d'anciens responsables considérés par le mutin Mané comme ayant été les vrais auteurs de sa brouille avec Nino...
Tout cela ajoute à l'atmosphère tendue que "la culture de guerre" entretient, elle qui est née de la lutte armée de libération et des idéaux révolutionnaires qui ont bâti une identité singulière. Celle-ci a façonné depuis leur adolescence l'esprit et l'âme des militants du PAIGC, qui ont pris les rênes du pouvoir en 1973. C'est de ce point de vue qu'il faut comprendre le rejet quasi total de la présence des forces militaires sénégalaises et guinéennes, perçues comme des envahisseurs, écrit avec justesse Mamadou Sy dans le quotidien dakarois "Info 7".
Il s'y ajoute que, pendant toute la durée de la crise, l'information "a été prise en otage", la fausse information ayant souvent pris le pas sur la réalité des faits. Ce qui n'est pas pour arranger les choses, ni du côté du public, ni de celui des protagonistes..., allant même jusqu'à contribuer au développement de sentiments anti-sénégalais chez les Bissau-Guinéens, et des sentiments anti-bissau- guinéens chez les Sénégalais...
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