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by Sarah Tanou, Burkina Faso, avril 1999
THEME = POLITIQUE
Un mois à peine après le renouvellement du mandat présidentiel,
qui s'est fait dans le calme, l'assassinat du journaliste Norbert Zongo
a fait monter d'un cran la tension sociale...
En novembre 1998, pour la première fois, au "pays des hommes intègres", un mandat présidentiel arrivé à terme a été renouvelé avec un taux de participation élevé (plus de 56%) dans le calme et la sérénité. Le président Blaise Compaoré, candidat à sa propre succession, a été plébiscité par les électeurs avec plus de 87%, contre 5,6% et 6,9% respectivement pour les deux autres candidats: Frédéric Guirma et Ram Ouédraogo. Le président aura reçu cette confiance renouvelée à son égard grâce au bilan positif de son "Programme de large rassemblement pour la démocratie et le progrès".
Mais, comme si "les démons étaient tombés du ciel", le 13 décembre, le directeur de publication du journal l'Indépendant, Norbert Zongo, alias Henri Sebgo, est assassiné en rase campagne à Sapouy, localité située à 90 km au sud de Ouagadougou, avec trois de ses compagnons. Depuis lors, la tension sociale est montée d'un cran. Le calme et la quiétude font place à des manifestations tous azimuts des étudiants, de la société civile, des partis de l'opposition, etc. Un assassinat odieux que certains attribuent au pouvoir en place, au pouvoir de Blaise Compaoré. Un pouvoir qui a eu des acquis, mais qui aujourd'hui se trouve acculé. A qui la faute?
Le 21 décembre 1998, le sixième président du Burkina Faso a prêté serment pour un second mandat de sept ans. Cela n'a l'air de rien, mais l'événement est inédit au Burkina. Aucun de ses cinq prédécesseurs n'a eu la chance, le privilège ou la dextérité politique de se succéder à lui-même par les urnes au terme d'un mandat démocratiquement acquis. C'est connu, le Burkina Faso est passé maître dans l'art des coups d'Etat, les uns plus violents que les autres. C'est pourquoi l'histoire retiendra de la prestation de serment de Blaise Compaoré une preuve que l'Etat de droit reprend ses droits au Faso et que la IVe République a déjà vécu plus longtemps que les trois précédentes. Sept ans contre cinq à la première (1960-1965) ou la deuxième (1970-1975) et deux ans à la troisième (1978-1980).
C'est devant six chefs d'Etat invités et de nombreuses autres personnalités que le président Compaoré a prêté serment en ces termes: "Je le jure, devant le peuple burkinabè et sur mon honneur de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution et les lois, de tout mettre en oeuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina". Serment d'un président réélu avec plus de 87% des suffrages exprimés. Un serment lourd de sens si l'on se réfère au suffrage minable exprimé à son égard en 1991, (21%).
L'instant était solennel. Et, comme le souligne lui- même le président Compaoré, "cet instant est pour moi un moment véritablement chargé d'émotion au regard des défis liés à la charge d'espérance contenue dans la confiance immense que le peuple m'a témoignée".
Président de tous les Burkinabè, Blaise Compaoré entend durant ce septennat matérialiser tous les espoirs. Ce nouveau départ s'enracine sur les acquis du septennat précédent, basé sur un programme de large rassemblement. De ces acquis que peut-on retenir?
Au total, au cours de la période 1991-1998, le Burkina a véritablement "bougé", servi par une remarquable multiplication d'infrastructures diverses. A son rythme et avec les moyens qui lui sont propres, le "pays des hommes intègres" s'est mis en marche vers le développement et la démocratie.
La lutte est donc engagée. Des batailles qui se font par rapport à quatre balises déterminantes:
Ces quatre objectifs traduisent en fait les deux grands axes du programme pour un développement solidaire que le président Compaoré a défendu tout au long de sa campagne. D'une part, ce programme prône la solidarité pour le développement, c'est- à-dire la mobilisation optimale des énergies pour la création d'un surcroît de prospérité, et d'autre part la solidarité dans la jouissance des fruits de la croissance économique.
Pour l'exécution de ce programme, l'engagement du président Compaoré est mis à l'épreuve. Lors de sa prestation de serment, il entendra un réquisitoire de la part du président de la Cour suprême du Burkina. Faisant référence à l'article 44 de la Constitution (adoptée en 1991), ce dernier dira que "prêter serment est l'affirmation solennelle et originellement religieuse par laquelle une personne atteste de la sincérité d'une promesse pour engager la conduite future, ou encore l'engagement de bien remplir les devoirs de son état. Et jurer, c'est prendre à témoin la divinité ou le peuple...". Et pour réaffirmer encore plus l'engagement du président, le procureur général termine par ces mots: "La Constitution fait de vous le garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire et le président du Conseil supérieur de la magistrature".
Le président Compaoré obéira-t-il à son serment, à la Constitution qui fait de lui le garant de l'indépendance judiciaire? La question est posée. Et la réponse peut sortir de l'engagement, ou du moins du rôle du président depuis la mort du journaliste Norbert Zongo, et ultérieurement même de son rôle de président dans le dénouement de la crise que traverse actuellement le pays et où on réclame la lumière sur des crimes jamais élucidés depuis plus d'une dizaine d'années.
De 1987 à nos jours, beaucoup de sang a coulé sans que ces sacrifices aient exorcisé quoi que ce soit. La violence politique avait même fini par devenir une "méthode de gouvernement", à telle enseigne que l'on croyait les populations insensibles à cette cascade de morts inavouées et impunies. De même que "la morale agonisait au pays des hommes intègres", comme l'avait déclaré en son temps Arsène Bongnessan Yé, président de l'Assemblée des députés du peuple. L'impunité s'installait au Burkina. La population (la classe politique, les intellectuels et même les syndicats qui ont l'art de crier fort) restait bouche bée. Mais c'était sans oublier qu'il suffit d'une seule goutte de trop pour faire déborder le vase.
C'est ce qui est arrivé le 13 décembre avec l'assassinat du journaliste Norbert Zongo. Le cycle infernal avait atteint son paroxysme. Il a fait sortir le peuple de son mutisme et de son immobilisme. La grande mobilisation de la population pour accompagner "ce qui restait" de Norbert et de ses trois compagnons, et les différentes manifestations en sont un témoignage.
La classe politique n'a pas tout de suite compris la nature de ce ras-le-bol, ni son amplitude réelle. Un séisme social s'est emparé de la classe politique, a ébranlé le pouvoir, l'obligeant pour la première fois à se remettre réellement en cause, à reconsidérer sa position, à redéfinir sa conception même du pouvoir. L'opposition politique devra en faire autant, car la fracture marque une étape dans le parcours du Burkina Faso. Plus rien ne sera comme avant.
Comment en est-on arrivé là? Où se situe la responsabilité du président Blaise Compaoré?
Concernant le décès de David Ouédraogo (chauffeur de François Compaoré, frère cadet du président et en même temps son conseiller technique), on n'a pas vu le président s'investir publiquement dans le règlement de cette question de "meurtre et recel de cadavre". En effet, dès décembre 1997, l'affaire David Ouédraogo avait cessé d'être une banale histoire de vol racontée dans la rubrique des faits divers. Abondamment commentée par L'Indépendant sous la plume de Norbert Zongo, cette affaire avait fini par être un problème politique, posé en terme d'égalité des citoyens devant la loi. Le cas, ainsi que les nombreuses disparitions inexpliquées et meurtres inavoués, ont tous laissé le président Compaoré "insensible". Il a plutôt donné l'impression d'avoir laissé aller les choses, comme le dit quelqu'un, convaincu que dans cette affaire, il n'y a pas de chat à fouetter. La négligence du président a prévalu.
Autre responsabilité, la trop grande assurance du président du Faso. Son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès, est le parti majoritaire avec 102 députés sur 111 à l'hémicycle burkinabè, et les larges victoires électorales ont favorisé une trop grande assurance dans le camp présidentiel. A ajouter aussi, la responsabilité qu'il détient actuellement en tant que président en exercice de l'Organisation de l'unité africaine et qui le maintient à l'écart des affaires intérieures du Burkina.
Les erreurs sont énormes et ne pardonnent pas. Le président Compaoré et son entourage ont commis des erreurs de négligence, des erreurs d'un complexe de supériorité et même des erreurs d'un culte de la personnalité. Et l'opposition burkinabè n'a pas encore fini de se donner un visage. Les multiples tentatives de regroupement n'ont jamais été à la hauteur des espérances. Son morcellement, son manque de vision prospective font courir au Burkina le danger du monolithisme politique. Or, il n'y a pas pire danger pour la démocratie que celui-là.
La majorité gouvernante, pour sa part, doit prendre conscience des lacunes qui ont été les siennes durant le septennat écoulé. Aucune oeuvre humaine n'est parfaite et ce serait faire la politique de l'autruche que d'ignorer que, dans toutes les provinces du pays, les populations réclament plus de forages, plus d'écoles, plus de dispensaires, plus de routes... C'est à ce prix que se forge le développement.
Pour ce nouveau septennat, le large rassemblement pour la démocratie, le développement et l'unité nationale restent encore les objectifs prioritaires. Mais de toute évidence, aucune unité nationale ne s'est construite dans l'insécurité des personnes et des biens. C'est pourquoi une attention toute particulière devrait être accordée à cette question. Car le sentiment d'insécurité rime avec celui d'injustice, et l'injustice crée toujours à la longue la révolte et le désordre. Le développement solidaire, que le président appelle de tous ses voeux, est tributaire de la trilogie d'unité nationale, de progrès et de justice égale pour tous. On le voit bien. La tâche est tout aussi lourde pour le second que le premier mandat du président. La mise en place rapide d'une commission d'enquête indépendante pour élucider la disparition tragique du journaliste Zongo et ses compagnons est un témoignage. Blaise Compaoré doit assumer son engagement: faire du Burkina Faso un havre de paix pour les Burkinabè. Il doit oser.
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