ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 368 - 15/05/1999

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Cameroun

Les albinos victimes des préjugés


by J. D. Mihamlé et H. Yonkeu, Cameroun, mars 1999

THEME = DROITS DE L'HOMME

INTRODUCTION

En Afrique centrale,
il existe une espèce "d'apartheid à rebours",
larvée mais pernicieuse,
dont sont victimes les albinos,
ces Noirs à la peau blanche

"Les albinos sont tués à la naissance, chez les musulmans. Nous n'avons recensé aucun albinos dans la partie septentrionale du Cameroun à forte concentration musulmane", révèle le président de l'Association mondiale pour la défense des intérêts et la solidarité des albinos dans l'hebdomadaire camerounais le Patriote du 17 août 1998. Personnes à la peau "blanche", aux cheveux roux et ayant des problèmes de vue, les albinos sont éliminés physiquement pour diverses raisons: "Ils sont maudits et peuvent transmettre 'ça' à la famille", confie sous couvert de l'anonymat une éminence grise musulmane du Cameroun, qui se garde cependant de se référer au Coran.

"Les Nguenguerous (comme on les appelle péjorativement au Cameroun) sont engendrés parce que leur mère a eu des relations sexuelles pendant ses menstruations", prétend l'imagerie populaire. "Au Tchad, dans certaines ethnies, les albinos sont éliminés par des pratiques occultes. La naissance d'un "faux" (qualificatif donné aux albinos au Tchad) est un signe avant-coureur des châtiments qui s'abattront sur la famille", déclare le président de l'Association des albinos et albinophiles tchadiens, lors du second congrès de l'association des albinos tenu récemment à Yaoundé.

Même rengaine chez Mme Ngoua, présidente de l'Association gabonaise des droits de l'albinos: "Au Gabon, les "Indondo" (injure publique qualifiant les albinos) sont victimes de préjugés multiples", relève-t-elle. Ces idées préconçues favorisent une adversité sociale à plusieurs facettes.

Marginalisation, rejet et frustrations

"Dans la rue les gens m'évitent", témoigne Eguebey Bertrand, 20 ans, Tchadien, élève au lycée Félix Eboué de Ndjamena. "Certaines personnes crachent, se tirent les cheveux, se pincent les oreilles, question de conjurer le mauvais sort. A bord d'un taxi, d'aucuns évitent de m'approcher".

Stéphanie Ngoua, étudiante gabonaise en première année à la faculté de médecine de Libreville, garde toujours le souvenir triste de cette année scolaire où elle "faillit quitter les bancs en classe de 3e, un de ses enseignants ne voyant en elle qu'un fantôme". Quant à Mme Monique Ango, albinos camerounaise de 35 ans, si sa mère ne l'avait pas eu à coeur, elle ne serai pas vivante: "Pour certaines personnes je n'étais pas un être humain. Par conséquent, ma maman aurait dû m'installer sur une claie au-dessus du feu jusqu'à ce que mort s'ensuive".

Enfin, fait remarquer Judith Béatrice Enguene, Miss-albinos '98 du Cameroun, "les hommes qui me content fleurette ne sont pas animés par l'amour; ils voudraient profiter de moi pour avoir de la chance. D'aucuns soutiennent que les cheveux et ongles des albinos sont recherchés pour des potions magiques".

Pourtant, des hommes à part entière

"L'ostracisme contre les albinos est dû à la différence. Celle-ci génère la méfiance, l'incompréhension", explique le Dr Etame, sociologue médical enseignant à la faculté de médecine de l'université de Yaoundé. Pourtant, relève le Pr Aquarion de la faculté de médecine de Marseille, spécialiste de l'albinisme, "les albinos sont des hommes à part entière. Ils ne sont pas le fruit d'une quelconque malédiction divine. Ces êtres sont tout simplement atteints d'albinisme, une anomalie héréditaire et congénitale causée par l'absence du pigment mélanique dans le sang. L'albinisme n'est pas l'apanage des Noirs. Les albinos sont présents dans toutes les races".

Conscients de l'hostilité de la société, les albinos du monde entier se sont regroupés en octobre l996, sous l'instigation du Camerounais Jean-Jacques Ndoudoumou, au sein d'une organisation non gouvernementale, l'Association mondiale pour la défense des intérêts et la solidarité des albinos (ASMODISA), dont le siège se trouve à Yaoundé au Cameroun. Ses principaux objectifs sont de "créer et promouvoir un esprit de solidarité et d'entraide entre les albinos, recenser les problèmes et rechercher les solutions".

L'ASMODISA a plusieurs réalisations à son actif. En août 1998, elle a organisé à Yaoundé un forum national sur l'éducation des jeunes albinos et une semaine nationale de l'albinos. Le second congrès de l'ASMODISA, tenu en janvier 1999 à Yaoundé, a permis de constater que "le pari de l'intégration sociale se gagnait progressivement. Au sein de notre association nous comptons plusieurs membres non albinos", relève son président pour s'en féliciter. Cependant, pour gagner le pari de l'intégration sociale de l'albinos, une réelle sensibilisation du reste de la société s'impose; car les véritables racines de cet apartheid à rebours sont profondément ancrées dans les mentalités.

END

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