ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 369 - 01/06/1999

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Togo

Un comploteur béni de Dieu


by Adélan Zando, Togo, avril 1999

THEME = DEMOCRATIE

INTRODUCTION

Le président Eyadéma est passé maître dans la manipulation des élections,
alors que le peuple n'aspire qu'au changement dans la paix.

Le 9 avril dernier, Ibrahim Baré Maïnassara, chef d'Etat du Niger, a été abattu par des éléments de sa garde personnelle, forcément rapprochée. Il venait souvent à Lomé, ou bien il y envoyait ses émissaires voir Eyadéma, le président togolais, pour ses conseils, appréciés par certains éléments de la communauté internationale. Récemment encore, Patassé, chef d'Etat de la République centrafricaine, qui au temps de son exil se réfugia à Lomé où il épousa une Togolaise, a fait lui aussi le déplacement à Pia, fief du chef d'Etat togolais, pour écouter le sage.

S'occuper des affaires d'autres Etats de la sous-région, plutôt que de celles de son pays, semble profiter à l'homme qui a pris les rênes du pouvoir au Togo depuis trente-deux ans. Ses interventions multiples dans les affaires des autres Etats, son insistance, au point de paraître importun, et sa persévérance, le conduisent souvent à s'imposer à ses pairs qui n'osent pas l'éconduire, soit parce que cela ne se fait pas entre Etats- frères, soit par crainte de sa capacité de nuisance.

De même, la violation grossière du processus électoral (que la presse togolaise appelle "hold-up électoral") est souvent suggérée à ses hôtes en quête de conseils. C'est après une visite d'une délégation nigérienne à l'homme de Pia, qu'Ibrahim Maïnassara a dissout la Commission électorale nationale (CEN) de son pays, au moment où les décomptes signalaient à Niamey le désaveu de son coup d'Etat. Et qui pourrait affirmer que les conseils donnés par le Togolais n'ont pas été pour quelque chose dans la catastrophe qui faucha Habyarimana du Rwanda? (Ndlr - Le 6 avril 1994, l'avion transportant les présidents Habyarimana, du Rwanda, et Ntaryamira, du Burundi, était abattu par des fusées et les deux présidents tués).

Un complot permanent contre l'alternance

De 1993 à nos jours, Eyadéma n'a pas manqué de faire des coups de forces contre la procédure électorale, grâce à laquelle le Togo pourrait connaître l'alternance. Il passe pour un comploteur invétéré contre les aspirations du peuple, qui avant tout désire un changement dans la paix. Ce peuple "souverain" est trop souvent le dindon de la farce, si bien qu'on se demande si la notion de souveraineté populaire n'est pas un leurre, une mystification, parfois avec la bénédiction des puissances qui font mine de pousser à la démocratie en Afrique.

Le dernier complot contre l'alternance au Togo a été celui du 21 juin 1998. Les présidentielles étaient alors réglées par un texte que les chefs des partis, mouvance présidentielle et opposition réunies, avaient mis au point. A l'exception de Lomé, où des militaires ont cassé des urnes, tout s'était déroulé dans le calme. Rien ne laissait prévoir que la CEN, seule habilitée par le code électoral à opérer, serait sabotée par un complot du pouvoir, qui a fait intervenir le ministre de l'Intérieur, incompétent en la matière. (Ndlr - D'après la loi électorale togolaise, la supervision et la proclamation des résultats de vote reviennent à la CEN, et non pas au ministre de l'Intérieur).

Le procédé a été des plus simples. La CEN ayant été composée sur base paritaire (en plus du président, quatre pour la mouvance présidentielle et quatre pour l'opposition), les représentants de la mouvance présidentielle ont démissionné en bloc. Malgré cela, le quorum pour que la Commission puisse faire son travail existait encore. Pour l'en empêcher, on fit pression sur sa présidente, Mme Awa Nana, la poussant aussi à démissionner.

Jusqu'à ce moment, tout semblait aller si bien, que le parti au pouvoir, persuadé de sa victoire, avait invité journalistes et public à assister à la nuit électorale, au cours de laquelle les résultats étaient publiés au fur et à mesure que les commissions électorales régionales les communiquaient à la CEN. Seule cette dernière était habilitée à transmettre les résultats à la Cour constitutionnelle, qui ensuite les proclamerait définitivement.

A peine les opérations commencées, le ministre de l'Intérieur constate l'afflux de bulletins favorables à l'opposition. Il intercepte alors les communications des commissions électorales régionales, et fait passer sur les ondes des communiqués annonçant une pro- bable victoire d'Eyadéma. Saisie par un parti de l'opposition, la Cour constitutionnelle, composée de partisans, reconnaît que le ministre de l'Intérieur a violé la loi; mais la sauvegarde de la paix publique impose au ministre cette démarche pour le moins singulière, parce que c'est de lui que dépend l'organisation des consultations populaires, la CEN ayant cessé de fonctionner.

La violation était si grossière que, sur base des rapports de ses observateurs, l'Union européenne (UE) déclarait la suspension de sa coopération avec Lomé. Même l'organisation des ACP s'était sentie flouée par Eyadéma. Ce dernier, en effet, avait signé des accords avec les bailleurs de fonds pour la mise en place de conditions permettant un bon déroulement des élections. Mais, après avoir empoché l'argent, il a escamoté ces conditions. Les différents observateurs locaux, formés à grands frais par la Communauté européenne, ont été récusés par le gouvernement, avant même la paralysie de la CEN.

L'hypocrisie érigée en règle

La sanction de l'UE a fait mouche. Ces messieurs du Togo avaient toujours cru qu'ils pouvaient tout faire sans graves conséquences. Ainsi, peu de temps avant d'aller à Paris pour la conférence France-Afrique, le pouvoir, sous la menace de sanctions, propose une rencontre à l'opposition qui, dans l'espoir d'atténuer le malaise politique par des moyens pacifiques, y a répondu favorablement. Eyadéma a pu donc aller à la conférence de Paris auréolé de l'accord de ses adversaires.

La première rencontre d'Eyadéma avec l'opposition a permis de s'entendre sur le choix des facilitateurs: d'une part des puissances (France, Allemagne) et d'autre part des institutions (l'UE et la Francophonie).

L'opposition croyait que l'acceptation du dialogue par toutes les parties aurait conduit naturellement à faire passer les négociations avant toute autre préoccupation. D'où sa surprise de voir le corps électoral invité à se rendre aux urnes le 31 mars 1999 pour renouveler la Chambre des députés, dont le mandat venait à échéance. De commun accord, les partis d'opposition ont refusé d'y aller, ce qui laissait la voie libre au parti présidentiel. Cette fois, pratiquement seuls en lice, Eyadéma et son parti n'ont plus dû faire démissionner leurs représentants et le président de la CEN, qui d'ailleurs avait été changé. Ce sont les membres de l'opposition qui, refusant de cautionner la mascarade en cours, se sont abstenus de siéger.

Escamoter les causes

Dans une lettre unanime, les facilitateurs avaient exprimé en vain leurs réserves sur l'organisation de législatives avant d'avoir trouvé des solutions à l'ensemble des problèmes menaçant la paix au Togo: elles compliqueraient la mission qui leur avait été confiée.

De même, Michel Rocard, ancien Premier ministre français, à la veille des élections, a tenté une mission de la dernière chance qui n'a pas fait changer d'avis ni Eyadéma ni ses proches. Ils sont confiants dans la qualité de l'appareil répressif dont ils disposent et dont l'essentiel est l'armée et ses milices. Ils savent que les seules armes dont dispose l'opposition est le recours à la communauté internationale, surtout à l'UE, qui, bien que gênante pour eux, n'a pas tellement d'emprise sur leur conduite.

Là encore, la chance intervient en leur faveur: voici que la Commission de l'UE démissionnne. D'où jubilation, anticipant l'espoir d'une plus grande mansuétude de la nouvelle équipe chargée de la coopération avec l'Afrique. Cette possibilité leur fait multiplier les missions auprès de leurs amis influents afin qu'ils intercèdent auprès des Etats européens.

Leurs arguments sont simples: "Nous ne comprenons pas pourquoi on en demande plus au Togo qu'aux autres. En Afrique, toutes les élections sont contestées après la publication des résultats. Chacun doit aller à la démocratie au rythme de ses pas; vous ne l'avez atteinte qu'après 200 ans, mais vous nous obligez de la réussir en trente ans...".

Ceux qui croient que l'assassinat de Maïnassara est un avertissement, feraient bien de se détromper. Le peuple togolais est pacifique; la crise économique dont les tragiques aboutissements sont annoncés depuis une dizaine d'années, loin de le révolter, lui fait trouver des palliatifs à sa misère. Les affaires continuent; les banques, dont on a prédit la fermeture pour manque de liquidités, sont toujours ouvertes, les travailleurs préfèrent que le paiement de leurs salaires accuse un retard de plusieurs mois, plutôt que de ne plus les espérer en perdant leur emploi!

Les Etats arabes sont prêts à déverser un peu de leurs mannes pétrolières sur le Togo. Eyadéma, par des appels du pied et des ouvertures, signale qu'il est prêt à transformer le pays en République islamique, postulant à la Conférence des Etats islamiques où le Togo a été récemment admis. Il espère ainsi disposer de moyens financiers qui rendront moins oppressante la fermeture du robinet européen. Pas plus que les bombes, les crises économiques ne peuvent venir à bout des dictateurs.

END

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