ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 369 - 01/06/1999

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Madagascar

La guerre des pesticides


by Ramasiarisolo M. C., Madagascar, avril 1999

THEME = ECOLOGIE

INTRODUCTION

Vu la gravité de l'invasion de criquets dans le sud de l'île,
une intervention d'urgence s'avérait nécessaire

En janvier 1998, le gouvernement a créé un Comité national de lutte antiacridienne (CNLA), chargé de mener une intervention d'urgence pour l'éradication de l'invasion des criquets. Pour l'accomplissement de sa mission, le CNLA s'est assuré du concours des collectivités décentralisées et dispose de toutes les administrations civiles et militaires impliquées dans la lutte antiacridienne.

Depuis, il y a une cellule de crise et des groupements opérationnels de lutte antiacridienne (GOLA), placés dans les zones infestées par les criquets. Effectivement, les traitements ont commencé. Les différents GOLA ont opté surtout pour des traitements aériens, avec utilisation d'avions et hélicoptères. Mais, malgré toutes ces structures et les sommes faramineuses déjà allouées, essentiellement par l'Union européenne (12 millions d'euros jusqu'à maintenant), les criquets sont loin d'être vaincus. Ce fléau devient un cheval de bataille pour les uns, objet de récupération politique pour les autres, et une affaire de gros sous pour certains.

Le problème a été débattu au niveau de l'Assemblée nationale, au mois de mars 1999. Les députés ont demandé que les responsables du CNLA s'expliquent. Selon un spécialiste malgache au sein du CNLA, la situation est maîtrisable: "les essaims ne dépassent plus 2 ou 3 kilomètres de long, on ne rencontre plus les énormes essaims de 40 km du début de la calamité". Non convaincus par les arguments et explications techniques, quelques députés, accompagnés du président de l'Assemblée nationale, ont effectué une visite guidée sur terrain. "Ce qui nous intéresse, c'est qu'il ne reste plus de criquets", avait dit un représentant du peuple.

Rhône-Poulenc contre Hoechst

Après les rapports de l'ONE (Office national de l'environnement) sur les impacts de pesticides, le ministère de l'Agriculture a interdit l'utilisation du "Fipronil", utilisé en très grande quantité dans cette lutte. Selon les rapports de l'ONE, en effet, le Fipronil a des conséquences néfastes sur l'environnement et empoisonne l'élevage, l'aquaculture, etc. Pire, la composition chimique de ce produit attaque directement le système nerveux de l'homme.

Le groupe français Rhône-Poulenc, qui produit le Fipronil, une fois au courant de cette décision, a dépêché à Madagascar un représentant, Eric Planchon, pour plaider en faveur de son produit. Celui-ci en a fait un exposé devant la presse, le 17 mars 1999. Il est tout à fait normal que Rhône- Poulenc défende son produit, car le marché est énorme. Fort de la réputation et de la certification de ses pesticides antiacridiens, le groupe Rhône-Poulenc s'est fâché pour cette interdiction, au profit d'un autre pesticide (Décis), fabriqué par son principal concurrent, l'allemand Hoechst. Mais, quoi que M. Planchon dise, le résultat est là. Les criquets continuent à envahir le territoire, jusqu'à dans les côtes nord-ouest, à l'est et même dans certaines régions des Hauts-plateaux.

Le quotidien l'Express de Madagascar, dans sa livraison du 18 mars 1999 a résumé ainsi la cause de non- utilisation du Fipronil: "Trois raisons, plus une quatrième, pour expliquer qu'un bon produit - donc vital et essentiel pour lutter efficacement contre l'invasion acridienne avec le minimum de dégâts pour l'environnement - soit retiré d'une liste de pesticides utilisables et autorisés: la première est la corruption(...); la seconde est l'incompétence des experts(..); et la troisième c'est peut-être une décision prise à la légère. La quatrième serait la guerre totale et absolue que se livreraient les grands laboratoires chimiquesþ". En fait, la décision du ministère de l'Agriculture, suite aux recommandations de l'ONE, interdit d'utiliser le Fipronil pour traiter les essaims en vol. Selon un responsable de l'ONE, leurs recommandations sont basées sur les résultats préliminaires de l'impact des pesticides sur l'environnement. Les résultats définitifs ne seront publiés qu'en juin 99. Mais, par précaution, il faut arrêter les traitements avec le Fipronil, du moins pour les essaims en vol.

Les traitements de larves posent encore un autre problème. D'ailleurs, selon un technicien malgache, on peut éradiquer les criquets en un maximum de 2 ans par des traitements terrestres, moins coûteux et plus efficaces. Mais il manque la volonté politique de la part de certains décideurs malgaches pour entamer cette stratégie.

De son côté, la représentation du groupe allemand Hoechst à Madagascar soutient l'efficacité de ses produits. Ainsi, la guerre est déclarée entre Rhône-Poulenc et Hoechst. Il est vrai que le CNLA vient de lancer un appel d'offre pour de nouveaux produits à utiliser, mais ce n'était qu'une formalitéþ

En attendant...

Actuellement, la FAO, maître d'oeuvre de toutes opérations relatives à cette lutte antiacridienne, éprouve des difficultés face à cette "guerre de pesticides". En attendant les nouveaux produits, les traitements sont suspendus, tandis que l'invasion gagne toujours plus de terrain grâce aux conditions météo favorables aux criquets. Chose étrange, on n'a pas attendu les avis des bailleurs de fonds sur ce problème. M. Duraton de la FAO, sans vouloir verser dans la polémique, a simplement affirmé: "aucun pesticide n'est une vitamine pour l'environnement. Il y a des avantages comme il y a toujours des inconvénients". Néanmoins, les expatriés qui travaillent dans ce projet lutte antiacridienne font de bonnes affaires, avec une rémunération mensuelle allant jusqu'à 60.000 FF pour certains d'entre eux!

Entre-temps, le président Ratsiraka s'évertue à contrôler les opérations sur le terrain. Ce fléau devient une occasion pour lui d'attaquer les oppositions et de faire de la propagande politique. Mais il faut dire aussi que le fils du président possède des hélicos (dont on ignore l'origine) employés pour les traitements des essaims en vol. Et, d'après certaines indiscrétions, un général de l'armée malgache, chargé de suivre le plan de lutte antiacridienne dans la zone "grégarigène", a le devoir de faire un compte rendu fidèle au fils du président. Alors, d'aucuns se posent la question: qui est le vrai responsable, le CNLA ou la présidence?

Avec tous ces avantages énormes (marché de pesticides, location des avions et hélicos, salaires exorbitants, marché parallèle, pots de vin, etc.), qui aura finalement la volonté d'éradiquer dans un bref délai des criquets si juteux? Et tout ça, au détriment des pauvres gens dans les campagnes, premières victimes de l'invasion acridienne, dont les hommes politiques sans scrupules ont demandé et demanderont encore les voix aux différentes élections.

END

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