ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 369 - 01/06/1999

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Niger

Les causes du drame


by Dj. Alfari et J.S. Allakaye, Niger, mai 1999

THEME = DEMOCRATIE

INTRODUCTION

L'avenir du Niger a brusquement basculé le vendredi 9 avril 1999,
avec la disparition brutale du général Ibrahim Baré Maïnassara,
tué non loin de l'aéroport international de Niamey par sa garde présidentielle.
Comment en est-on arrivé là?

En cette journée du 9 avril, les populations de Niamey vaquaient normalement à leurs affaires. Jusqu'à 12h, rien ne laissait présager l'avènement d'un nouveau coup d'Etat. Bref, à l'instar du coup d'Etat du col. Baré lui-même, un certain 26 janvier 1996, tout semblait calme à Niamey. Et puis, sur les ondes de la radio nationale qui avait subitement cessé d'émettre entre 12h et 14h, le premier ministre de Baré, M. Hassane Mayaki, donna la nouvelle de l'assassinat du président, en parlant d'un tragique accident.

La violence politique est toujours condamnable et on ne peut nullement justifier un crime politique. Mais il convient d'informer objectivement l'opinion internationale de la situation réelle qui a prévalu au Niger avant ce drame déplorable, et en expliquer les causes lointaines et immédiates.

Les fautes de Baré

Rappelons que le coup d'Etat de janvier 1996, mené par le colonel Baré lui-même, ne fut pas l'objet d'une attaque véhémente de la classe politique nigérienne, même si le principe de la conquête du pouvoir par les armes fut condamné. On lui accorda des circonstances atténuantes devant le blocage systématique des institutions, dû à la cohabitation tumultueuse de la 3e République. C'était pour créer de nouvelles conditions politiques, afin de préparer une transition vers un régime civil plus stable, affirma Baré Maïnassara lui-même.

Malheureusement, la parole donnée ne fut pas respectée, et Baré se proclama lui-même candidat indépendant face à trois grands blocs de partis politiques. A ceux qui lui reprochaient de n'avoir pas respecté son engagement, il répondait à brûle-pourpoint: "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis"! A la question d'un journaliste de Jeune-Afrique lui demandant s'il avait l'intention de se présenter aux élections présidentielles, il répondit qu'en fait "il y pensait dès le jour du coup d'Etat"! Lui parle-t- on de l'exemple d'un Toumani Touré du Mali qui a laissé la place aux civils, le général répondait invariablement: "Le Mali, c'est le Mali; le Niger, c'est le Niger". Il faut entendre par là qu'il n'avait pas de leçons à tirer de l'expérience d'un autre pays, fut-il frère et voisin du Niger...

Vinrent enfin les jours des élections présidentielles des 7 et 8 juillet 1996. Alors que tout semblait se dérouler normalement sur l'ensemble du territoire national, voilà qu'en pleine journée le ministre de l'Intérieur de l'époque annonce sur les ondes nationales la dissolution de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui supervisait les élections. C'est la stupeur! Dès lors, sur tout le territoire national, les forces de l'ordre et les cadres de commandement s'occupèrent des "urnes" et des "résultats". Et ce fut avec une grande amertume que le peuple apprit à la radio les soi-disant résultats d'une élection faussée et franchement malhonnête! L'histoire retiendra qu'au Niger, pour la première fois dans l'organisation des élections, un hold-up électoral retentissant avait eu lieu ces jours-là!

La conséquence de cet événement regrettable, ce fut le refus irrévocable de l'opposition de reconnaître en Baré un "Président" de la République. Pour eux, Baré n'avait jamais été élu, et il ne pouvait donc pas prétendre à ce titre. Il n'incarnait aucune légitimité populaire. Malgré cela, voilà le général propulsé "président de la République".

Un régime écartelé et frustrant

Son régime fut curieusement écartelé entre la répression de toute idée et attitude contraires, et la nécessité d'un certain "renouveau démocratique", qui malheureusement tardait à voir le jour. Des journalistes et d'autres intellectuels ont fait l'objet d'arrestations ou de passages à tabac particulièrement sévères par des "escadrons de la mort", qui ne supportaient pas la moindre critique contre le régime en place.

L'économie n'a jamais été aussi malade que pendant ces 3 années de règne. Les travailleurs en sont actuellement à 7 et 8 mois d'arriérés de salaires et la paupérisation a atteint un degré insoutenable et inacceptable.

La presse d'Etat a été érigée en canal de propagande continuelle et infantile. Jamais les médias publics n'ont servi autant à une désinformation et manipulation politicienne au service exclusif d'un clan et d'un régime. Ce fut une période d'instrumentalisation et de chosification des structures de communication à peine concevable sous d'autres cieux... La seule consolation pour les travailleurs confrontés à la misère quotidienne, c'était qu'ils n'avaient rien à réclamer tant qu'il n'y a pas un kopek dans les caisses de l'Etat! Entre-temps, des centaines de millions de francs étaient dilapidés dans des voyages incessants et intempestifs qui agaçaient toutes les classes sociales du pays, et étaient considérés inutiles et improductifs pour le pays.

Devant le blocage total du pays et avec la médiation française, la mouvance présidentielle et l'opposition avaient conclu un accord, le 31 juillet 1998. Ce fut un ouf de soulagement, car le Niger pourrait repartir sur de nouvelles bases. Il s'agissait d'oeuvrer dans la tolérance pour arrêter la descente aux enfers du pays. Cet accord mettait l'accent sur l'organisation des futures élections locales, dont la bonne tenue constituait la condition sine qua non d'une paix durable.

Les élections locales ont eu lieu le 7 février 1999. Mais des dérives innommables ont bloqué la proclamation des résultats jusqu'à deux mois après leur tenue. En effet, alors que sur les ondes on commençait à annoncer les premiers résultats partiels, voilà qu'on apprend qu'à l'intérieur du pays, des sous-préfets, des maires et des députés nationaux ont eux-mêmes dirigé des actions de destruction des documents et des résultats! Malgré les promesses de Baré de punir les éventuels coupables (en majorité de sa mouvance), rien n'a été fait; si bien que les frustrations ont continué à s'étendre dans l'ensemble du pays.

La décision fatidique fut la proclamation officielle des résultats par la Cour suprême: elle annulait les élections dans 5 régions sur 7!!! Justement là où l'opposition était largement majoritaire. Le jour même de l'assassinat de Baré, une déclaration de cette même opposition avait demandé la démission du général car, disait-elle, il portait personnellement toute la responsabilité de la situation dramatique sévissant au Niger.

La nouvelle junte militaire

Voilà pour la chronologie de ce qui a sans aucun doute précipité les événements, même si les militaires actuellement au pouvoir maintiennent que la mort de Baré n'est qu'un tragique accident.

Il aura fallu attendre jusqu'au dimanche 11 avril, dans la soirée, pour que les militaires se manifestent. Dans une déclaration, le porte-parole de la junte annonça la création d'un Conseil de réconciliation nationale (CRN), composé de 14 membres et dirigé par le chef d'escadron Daouda Mallam Wanké. Après une large concertation avec toutes les composantes de la nation, les forces armées nationales ont notamment décidé la suspension de la Constitution du 12 mai 1996, la dissolution de l'Assemblée nationale, la dissolution du gouvernement, de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la communication, l'annulation des élections locales du 7 février 1999, la mise en place du CRN pour l'exercice des pouvoirs législatif et exécutif au cours d'une période de transition de neuf mois, et le respect des accords et traités internationaux auxquels le Niger a régulièrement souscrit.

Ce n'est qu'une semaine après le coup d'Etat du 9 avril, que la junte militaire a rendue publique la composition du gouvernement de transition, dirigé par Ibrahim Mayaki, ancien Premier ministre de Baré et reconduit à son poste. Le titre de chef du gouvernement a été attribué au commandant Daouda Mallam Wanké, nommé chef de l'Etat. Les 19 membres du gouvernement, soit 6 de moins que l'équipe précédente, sont des hommes et des femmes qui n'ont pas nomadisé d'un cabinet à un autre. Deux sont des officiers et dix-sept des civils, dont deux femmes. Seuls deux ministres de l'ancien gouvernement ont été reconduits: celui des Finances et de la Privatisation et le ministre du Tourisme et de l'Artisanat.

Ce gouvernement a été formé après plusieurs concertations avec tout ou partie de la société civile et politique. Les cinq grands partis politiques du Niger (ANDP/Zaman-Lahiya, Alliance nigérienne pour la démocratie et le progrès - CDS/Rahama, Convention démocratique et sociale - PNDS/Tarraya, Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme - MNSD/Nassara, Mouvement national pour la société de développement, et RDP/Jamaha, Rassemblement démocratique populaire) y sont représentés chacun avec deux représentants. A noter que le CRN s'est octroyé les ministères de la Défense nationale et de l'Intérieur. Pour la première fois, une femme conduira la diplomatie nigérienne.

Attentes et promesses

Ce gouvernement, composé principalement de personnalités réputées pour leurs compétences professionnelles, aura fort à faire pendant le temps très court de 9 mois. De façon générale, les Nigériens attendent l'amélioration substantielle de leurs conditions d'existence. Les travailleurs et les étudiants comptent sur l'abrogation des lois sur la retraite anticipée et le nouveau régime des bourses d'étude, le paiement à terme échu des salaires et le respect des libertés syndicales.

La société civile de son côté attend fermement le gouvernement sur le respect des droits de l'homme, l'abrogation de la loi portant régime de la liberté de presse et la sanction des multiples cas d'impunité observés ça et là, dont les plus graves sont les agissements des escadrons de la mort et les détournements des deniers publics.

Après la formation de ce gouvernement, le président du CRN, Daouda Mallam Wanké, s'est adressé aux Nigériens dans un message à la nation, au cours duquel il a précisé que la nouvelle Constitution sera adoptée par voie référendaire en juin 1999, les élections législatives et présidentielles auront lieu en novembre 1999, et que l'investiture et la prise de fonction du président élu est prévue pour le 31 décembre 1999. Pendant cette période de transition, a indiqué le président, l'assainissement des finances publiques sera une des grandes priorités du CRN qui combattra sans répit et sans faiblesse l'incivisme fiscal, la corruption, les passe- droits et l'interventionnisme politique intempestif.

Autre mesure de taille prise par les nouveaux maîtres: les personnels des forces de défense et de sécurité, en particulier le président et les membres du CRN, seront inéligibles aux prochaines consultations électorales. A souligner également que les fonctions des membres du CRN sont exclusives de toute indemnité, et les indemnités des membres du gouvernement sont réduites de moitié. Pendant ce temps, les membres du gouvernement, les secrétaires généraux des ministères et les cadres de commandement sont interdits de toute activité politique partisane dans l'exercice de leurs fonctions.

Le 21 avril dernier, les 8 préfets, tous des officiers militaires, ont été nommés pour principalement permettre la tenue d'élections libres, transparentes et démocratiques, et pour empêcher les tricheries du précédent gouvernement. Les préfets doivent veiller à l'instauration dans leurs régions respectives d'une administration territoriale neutre et impartiale. En les rencontrant, le président du CRN a évoqué l'efficacité dans le travail, l'esprit d'initiative, la justice sociale et la lutte contre l'incivisme fiscal.

Afin d'expliquer ce qui s'est passé au Niger le 9 avril dernier, le chef de l'Etat en personne, Daouda Mallam Wanké, s'est rendu notamment au Bénin, au Togo et au Burkina Faso, tandis que d'autres missions se sont rendues en Libye et en Algérie. A l'occasion de ces déplacements, un mémorandum a été édité et distribué partout où la délégation officielle et les missions sont passées. Dans ce document, il est écrit à l'adresse de tous les amis du Niger: "Les événements du 9 avril 1999 ont assurément écrit une page nouvelle de notre histoire nationale. Autant nous comprenons et respectons l'émotion que ces événements ont suscité chez nombre d'entre vous, eu égard à leur dénouement tragique et déplorable, autant nous souhaitons sincèrement que les uns et les autres fassent l'effort de comprendre que ces événements constituent une étape, certes douloureuse mais décisive, du cheminement laborieux mais résolu du Niger et de son peuple, sur la voie de l'affirmation de la démocratie. Puisse la lecture sereine de ce mémorandum porter témoignage à chacun et à tous, de la volonté inébranlable de notre jeune nation de vivre en paix, dans un Niger uni et prospère, démocratique et réconcilié avec lui-même".

END

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