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by Carole Goma Makaya, Congo-Brazza, mai 1999
THEME = VIE SOCIALE
Les relations entre Brazzaville et Kinshasa demeurent compliquées
Dès son arrivée au pouvoir en octobre 1997, le président Denis Sassou Nguesso a verrouillé ses frontières, pour empêcher les anciens dignitaires en fuite de déstabiliser son pouvoir à partir d'un pays frontalier. Cette politique a abouti à la signature d'un accord entre les deux Congos, l'Angola et le Gabon.
Pour reconsolider les relations entre Brazzaville et Kinshasa, détériorées pendant la guerre du 5 juin 1998, le président Sassou, quelques jours après son investiture à la magistrature suprême, a rencontré le président Kabila en terre angolaise. Les deux présidents, conscients de la dégradation des relations socio-politiques, ont émis le voeu de repartir sur de nouvelles bases. Malgré cette volonté, le climat entre les deux pays demeure malsain.
En août 1998, début de la guerre en RDC, Kinshasa accuse Brazzaville d'héberger sur son territoire des Rwandais tutsi. Suite à ces accusations, le trafic fluvial entre les deux villes est interrompu en septembre 1998. Toutefois, un agent du ministère des Sinistrés chargé de l'action humanitaire explique: "Nous n'hébergeons pas des Tutsi rwandais dans notre pays. Il avait été annoncé officiellement que Brazzaville devait servir de ville d'accueil temporaire aux Rwandais tutsi dont Kinshasa refuse l'installation. D'ailleurs, notre pays n'a pas la capacité de nourrir des réfugiés alors que nous sortons fraîchement de la guerre. En plus, nous avons déjà 10.000 Rwandais hutu au camp de Kintélé, à 25 km de Brazzaville nord, qui aujourd'hui sortent anarchiquement du camps par manque de contrôle et d'aide alimentaire".
Le 29 décembre, le président Kabila effectue une visite officielle à Brazzaville. Les deux présidents signent cette fois un pacte de non-agression afin d'assurer et préserver la sécurité sur leurs territoires et le long de leur frontière commune. Selon cet accord, les partis s'engagent à empêcher leurs territoires respectifs de servir de base d'agression pour de l'autre pays.
La signature de ce pacte a provoqué un ouf de soulagement, car il a permis la réouverture du trafic fluvial entre les deux villes, le 8 janvier dernier. "Aujourd'hui, les relations entre Brazzaville et Kinshasa sont au beau fixe", a déclaré Nono Lutula, conseiller spécial en matière de sécurité du président Kabila, qui a effectué deux visites officielles à Brazzaville en l'espace de 3 jours (les 13 et 15 mars).
Les relations entre la RDC et le Congo-Brazza sont au beau fixe, mais souvent entachées de suspicion. Le bateau congolais Obouya, arraisonné en mars 1999 par la RDC, à 300 km au nord de Brazzaville, a failli affecter de nouveau les relations entre les deux pays. Ce bateau transportait 300 passagers ainsi que des armes de guerre qui, selon le gouvernement du Congo-Brazza, étaient destinées à la police des frontières d'Impfondo. Une fois de plus, Brazzaville a été accusée par Kinshasa de remettre en cause le pacte de non-agression. Heureusement l'affaire a été réglée à l'amiable.
Chaque jour, le grand bac de l'ATC (Agence transcongolaise), avec une capacité de près de 400 personnes, transporte des passagers et des marchandises. Les piles de marchandises s'entassent sur le pont. Ces livraisons fluviales sont vitales pour les deux capitales qui aujourd'hui ne profitent plus des richesses de leur arrière-pays pour cause de conflits armés.
Au Congo-Brazza, depuis la fermeture du chemin de fer en octobre 1998, la ville est sous-approvisionnée en produits de première nécessité (huile, savon, sucre...). Le pont aérien mis en place par le gouvernement pour permettre à Pointe Noire, la capitale économique, d'approvisionner Brazzaville, ne suffit pas. Cette situation a augmenté les échanges commerciaux entre Kinshasa et Brazzaville. Les dépenses alimentaires au Congo-Brazza sont aujourd'hui estimées à 100 milliards de fcfa par an. Le ministre de l'Agriculture et de l'Elevage, Gongarad N'Koua, a déclaré que "100 milliards de fcfa, c'est trop pour un pays à vocation agricole. Ce chiffre équivaut à neuf mois de la masse salariale des fonctionnaires".
La RDC, quant à elle, présente une pénurie sérieuse en denrées alimentaires et en carburant depuis le début de la guerre. Des commerçants quittent Brazzaville pour Kinshasa. Ils transportent avec eux des cartons de poisson salé, de poulet, de poisson fumé, de viande. Ces mêmes commerçants ramènent à Brazzaville des produits maraîchers et bien d'autres denrées alimentaires. En effet Brazzaville, coupée de sa zone agricole au sud, est contrainte d'importer des légumes de Kinshasa.
"Le grand bac va bientôt partir, mes marchandises sont dans le bateau, je dois y veiller. Je transporte à Kinshasa du poisson salé et fumé; au retour, je vais acheter du sucre, du pétrole, et des produits maraîchers (tomates, ciboules, oignon, piment) pour Brazzaville", s'exclame une commerçante.
En dehors des échanges commerciaux de produits de première nécessité, il s'est installé aussi un trafic illicite mais toléré par les autorités des deux beach: le trafic du carburant et du pétrole.
"J'effectue au moins 3 traversées par jour, Brazzaville-Kinshasa-Brazzaville, pour acheter de l'essence et du pétrole que je viens vendre à Brazzaville", explique Lucien Nzonzi un vendeur ambulant d'essence, communément appelé "Kadaphi" à Brazzaville et à Kinshasa. Les kadaphi ont mis au point une stratégie qui leur permet d'être les seuls à pouvoir faire ce commerce informel. Ils s'approvisionnent au beach Ngobila en RDC, où les agents des stations d'essence kinoises leur assurent l'exclusivité de l'achat. Ces échanges échappent au contrôle des douaniers. Le bidon de 25 litres est vendu à 20 fr. congolais, soit 5.000 fcfa. A Brazzaville, ce même bidon est revendu à 17.500 fcfa (700 fcfa le litre).
Le paradoxe: le carburant est rare à Kinshasa, le transport devient un véritable casse-tête dans cette ville. Les chauffeurs de bus passent des jours devant des stations d'essence pour avoir un peu de carburant. La population kinoise ne comprend pas comment Kinshasa approvisionne Brazzaville, alors qu'elle souffre elle-même d'une pénurie de carburant. La réponse est simple. Selon un pompiste: "Kinshasa ne souffre pas d'une pénurie de carburant; seulement, les pétroliers ne veulent pas livrer d'essence dans les stations pour des raisons multiples. En particulier, nous préférons vendre notre carburant aux Brazzavillois, parce qu'ils achètent en fcfa, une monnaie qui nous facilite les transactions bancaires. Pour avoir des bonnes recettes à Kinshasa, nous sommes obligés de doubler le prix dans les stations".
La situation socio-économique entre les deux capitales est très alarmante. La nourriture coûte excessivement cher, les salaires restent impayés. La population s'en plaint. "Je ne sais pas comment je nourris ma petite famille. Il y a donc un bon Dieu qui existe. Je vis au jour le jour. Le petit déjeuner a été banni de nos habitudes, la viande de boeuf devient un produit de luxe. J'ai habitué ma famille à ne manger qu'une fois par jour et ce à 17h", explique un père de famille. La population kinoise n'arrive pas à acheter un kilo de viande de boeuf, parce que ses ressources ne lui permet plus de s'offrir un tel luxe. La guerre de 1996 et le récent conflit dans l'est du pays a fait perdre à la RDC les deux tiers de son cheptel bovin, ce qui a augmenté la pénurie de la viande bovine dans cette ville.
Brazzaville et Kinshasa sont deux villes interdépendantes en ce qui concerne les échanges commerciaux. Elles connaissent toutes deux des crises socio-politiques importantes. Aussi faut-il craindre la chute de Sassou ou de Kabila. La déstabilisation d'un régime entraînera inévitablement l'éclatement de l'autre.
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