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by Alexis Gnonlonfoun, Bissau, mai 1999
THEME = POLITIQUE
Le coup d'Etat militaire du 7 mai 1999
a fait voler en éclats bien des espoirs
On croyait que les accords de paix, dits "du dialogue et de la tolérance", signés à Abuja (Nigeria) le 1er novembre 1998 constituaient un pas important dans le processus de restauration de la paix et de la stabilité en Guinée-Bissau, "pays mis à genoux" par la guerre entre soldats loyalistes et militaires en rébellion depuis le 7 juin 1998. Que d'illusions! L'amertume suscitée par le putsch a remplacé la joie provoquée par les accords d'Abuja. De plus, l'épreuve de force de la junte a rendue caduque la mission de sécurisation de l'Ecomog, la force d'interposition ouest-africaine.
Ainsi, après avoir cherché à "laver son honneur" par une rébellion armée dans une affaire de trafic d'armes à destination de la Casamance (au sud du Sénégal), et blanchi par une commission d'enquête parlementaire, le général Mané a pris sa revanche sur le président Nino Vieira en l'écartant du pouvoir. Objectif atteint. Et après? Du dialogue on en est arrivé à un règlement de comptes.
C'est Malam Bacaï Sanha, aujourd'hui successeur de Vieira, qui, après des jours de tergiversations, a finalement signé l'acte officiel de fin de règne de Nino Vieira. Malgré les voeux de "bonne chance" formulés par M. Vieira, réfugié avec sa famille à l'ambassade portugaise et demandant l'asile politique à Lisbonne, le vide que laissait son départ était lourdement manifeste: quatre jours pour trouver un autre chef d'Etat. Dans le cheminement de la démocratie, la junte militaire en était contrainte à choisir le président de l'Assemblée nationale, M. Sanha, pour garantir les conditions de son fonctionnement. Voilà donc un président pour conduire la transition jusqu'aux élections présidentielles, prévues pour le 28 novembre 1999.
Epinglé par la force des choses, M. Sanha ne devra plus réglementer seulement la liberté et les temps de parole au Parlement, mais analyser et soupeser tous les problèmes, dans un contexte critique avec ses règles propres, et chercher à donner une âme démocratique à la transition en cours.
Les rebelles ont donc réussi à mettre la main sur les forces loyalistes qui veillaient au strict respect des accords d'Abuja. C'est à la faveur de cette signature de paix qui inspirait confiance, que les rebelles ont mis au point une stratégie de prise du pouvoir, en opérant une nouvelle structure d'attaque et en élaborant un plan pour renverser Nino Vieira. Le général Mané savait très bien que les services de renseignements de l'Etat étaient défaillants; par ricochet, le président Vieira se trouvait de plus en plus isolé par les fausses fiches de renseignements déposées sur son bureau.
La communication ne fonctionnant pas au niveau présidentiel, et sachant que les 600 hommes mal équipés de l'Ecomog ne pourraient intervenir efficacement en cas de reprise de combats, les rebelles ont donc mis au point leur stratégie. Les opérations ont été co-dirigées par le général Mané et le commandant Zamora Induta, un des adversaires les plus farouches de Nino Vieira. Dans leur bastion du camp de Bra, au nord de Bissau, ils ont décidé de passer à l'offensive à l'aube du 7 mai 1999, sachant qu'aucune force loyaliste ne pourrait leur résister. La junte disposait d'un important stock d'armes lourdes - canons, mortiers et orgues de Staline - et contrôlait la quasi-totalité des souterrains creusés à l'époque de la guerre pour l'indépendance contre le colonisateur portugais.
Peut-être importe-t-il de préciser que le support essentiel de l'action de la junte est son mode de communication ultra-secret. Par une infiltration à tous les niveaux, la junte militaire a mis au point un système répartissant les rôles entre responsables civils et militaires. C'est dans ce contexte que les signaux d'alerte n'ont pas fonctionné dans le camp loyaliste de Vieira. Les combats ont fait plus de cent morts et des centaines de blessés.
Si aujourd'hui l'optimisme de paix affiché hier est mis en cause, il importe cependant, afin de mieux comprendre la situation présente, de faire le rappel analytique des événements précédant le coup d'Etat du 7 mai dernier.
Alors qu'il devait participer le 7 juin 1998 au sommet de l'Organisation de l'unité africaine à Ouagadougou (Burkina Faso), le président Vieira a annoncé la veille de son départ la nomination du général de brigade Humberto Gomes comme nouveau chef d'état-major des forces armées, en remplacement du général Mané accusé d'aider le mouvement séparatiste de la Casamance dans un trafic d'armes. Ce qui a mis le feu aux poudres. Au petit matin du 7 juin 1998, Mané lança une rébellion militaire.
Face à cet événement, le président Vieira, au nom du peuple qui l'a démocratiquement élu, demanda à son voisin le président Abdou Diouf, du Sénégal, d'intervenir "pour l'aider à réduire une mutinerie militaire" en vertu d'un accord de défense conclu en 1975. C'est ainsi que, le 21 octobre 1998, le président sénégalais a défendu devant l'Assemblée nationale française l'intervention militaire de son pays en Guinée-Bissau et l'action de son armée en Casamance: "L'armée sénégalaise, de concert avec un contingent militaire venu de la Guinée-Conakry, a empêché la réussite du coup d'Etat, a assuré la protection des institutions légales et légitimes de la République de Guinée-Bissau et a permis d'évacuer les ressortissants étrangers". "Ce qui est arrivé en Guinée-Bissau n'est pas sans lien avec la situation en Casamance", a souligné M. Diouf, faisant ainsi allusion au fait que le chef des mutins, le général Mané, avait été accusé par le président Vieira d'avoir fourni des armes aux indépendantistes casamançais.
En clair, pour le Sénégal, c'était un putsch qui visait à renverser le président Vieira, arrivé lui-même au pouvoir, en novembre 1980, à la faveur d'un coup d'Etat militaire contre Luis Cabrel. Elu en mai 1984, Nino Vieira sera réélu en 1990 et en 1994, après avoir été menacé par un coup d'Etat avorté en juin 1986. De temps à autre, en dehors de l'opposition, il subissait les assauts de mécontentements menés parfois par son propre parti, le Paigo (Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert).
On imagine aisément que cette situation provoqua des rancoeurs et que l'on reprochait au gouvernement de se préoccuper bien davantage de ce qui se passait dans le Sénégal voisin que de la situation économique intérieure.
Ce reproche paraît mal fondé. En fait, c'est le soutien trop affiché qu'apportait Vieira au gouvernement sénégalais, confronté, lui, au mouvement séparatiste du sud, qui était critiqué. Son revirement en 1996 pour parrainer plusieurs accords de cessez-le- feu entre le gouvernement sénégalais et le mouvement des forces démocratiques de Casamance n'était pas pour plaire. En plus, un autre reproche adressé à Vieira était son acceptation du fameux accord de partager le pétrole commun aux deux pays au large de la Casamance (85% contre 15%).
Autre reproche qui est le corollaire du précédent, l'entrée de Bissau dans l'Uemoa (Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest) en juin 1997, à l'instigation du Sénégal, soutenu dans sa démarche par la France. Là encore, on notait une évolution d'ouverture progressive sur ce qui était autrefois le terrain réservé des milieux lusophones. Aussi les mutins reprochaient-ils à Vieira son ancrage de plus en plus prononcé dans la francophonie au détriment de la zone lusophone considérée par le Portugal, pays colonisateur, comme sa chasse gardée.
La mutinerie a donc éclaté sous la conjonction de facteurs internes et externes. Bien que liés, les facteurs internes étaient les plus déterminants, même s'il est vrai que ceux de l'extérieur ont joué un rôle non négligeable.
Pendant les cinq premiers mois de la mutinerie, on a pu se demander si Bissau allait retrouver son équilibre d'antan. Et puis, au bout des affrontements sanglants, chaque camp devait mettre de l'eau dans son vin pour retrouver le chemin du dialogue et de la tolérance.
Par ailleurs, il fallait apporter la lumière sur une zone d'ombre qui agaçait manifestement le général Mané: le trafic d'armes en question. C'est pourquoi on a constitué une commission parlementaire d'enquête sur le sujet, qui, le 12 avril 1999, a présenté son rapport devant l'Assemblée nationale. On sait que le général Mané n'avait cessé de clamer son innocence, affirmant qu'il était entré en rébellion pour "laver son honneur". Le résultat en est que Mané a été blanchi dans cette affaire.
On connaît la suite: le coup d'Etat du 7 mai qui porte le sceau de la revanche. Les observateurs étaient loin d'y penser. Comme Nino Vieira et Ansoumane Mané ont été tous deux nourris au lait des armes, ils savent maintenant que l'imprévu est ce qui se porte le mieux en politique.
Déjà, la situation divise les parlementaires, le gouvernement et les putschistes. Que faire de Nino Vieira? Si certains députés et le général Mané demandent de juger Vieira, le Premier ministre Francisco Fadul au contraire demande la clémence et souhaite que l'ancien chef de l'Etat soit traité avec égard. "L'extérieur nous observe, a-t-il dit, et nous avons besoin des bailleurs de fonds car le pays est à genoux".
Aujourd'hui, tout se passe comme si le pays était dirigé par un tronc à trois têtes, ce qui peut susciter un bras de fer. Le général Mané veut peser de tout son poids dans les décisions politiques, ce qui n'est pas pour plaire au Premier ministre et n'est pas non plus du goût du nouveau président Nalam Sanha, l'homme à la carrure imposante et à la barbe blanche.
Comme on le voit, le chemin vers la paix est encore long et semé d'embûches.
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