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by Léa Ratsiazo, Madagascar, mai 1999
THEME = DROGUE
L'Observatoire géopolitique de la drogue considère Madagascar
comme un "nouvel Eldorado des drogues et du blanchiment d'argent"
Dans la Grande Ile, on n'a pas constaté seulement un boom de l'agro-industrie du cannabis. D'autres drogues s'y introduisent. Et plusieurs communautés étrangères sont soupçonnées de se livrer à des opérations de blanchiment d'argent de la drogue. Une loi sur la prévention et la répression du blanchiment sera élaborée à partir de cette année et devra entrer en vigueur d'ici à 2003.
En 1998, au cours de deux opérations d'éradication effectuées dans le nord de l'île par la gendarmerie nationale, dénommées Mantasaly I et Mantasaly II, ont été saisis 12.456 kg de cannabis, et 15.782.243 pieds de plantes de cannabis pesant 3.291 tonnes. Près de 600 personnes ont été interpellées. Depuis le début de cette année, plus de 5 tonnes de plantes ont été détruites. Ces chiffres démontrent que Madagascar est un gros producteur de cannabis, non seulement sur le marché illicite national mais aussi, et surtout, sur le marché international, rapporte Maurice Randrianame, directeur général de l'Organe interministériel de coordination de la lutte contre la drogue (OICLD), lui- même membre de l'Observatoire géopolitique de la drogue (OGD).
Ces chiffres ne sont que les résultats des opérations dans le nord, alors que le cannabis est cultivé du nord au sud. Dans cette dernière région, la plus aride de Madagascar, le cannabis est considéré comme une manne du ciel, car rien d'autre n'y pousse. Les activités autour du cannabis font vivre des dizaines de milliers de familles; la destruction totale engendrera des nouveaux pauvres et donc d'importants problèmes socio- économiques.
Jusqu'à présent, toutes les opérations de lutte se concentrent sur le nord, la zone la plus riche de l'île. Les "opérateurs" du sud sont encore laissés tranquilles. D'ailleurs, le sud est régulièrement victime de sécheresse, et il est donc inutile pour le moment d'y ajouter encore d'autres catastrophes, pensent certains observateurs. Ceux-ci reconnaissent que les intérêts des pays occidentaux et de ceux du Sud ne sont pas toujours compatibles. Le cannabis est une culture des pays pauvres, mais il ne faut pas pour autant se mettre au ban de la société internationale.
L'OGD, dans son rapport annuel 1997-1998, note que Madagascar, où le cannabis était traditionnellement cultivé et consommé, devient actuellement une zone de culture industrielle et d'exportation de cette drogue. Le trafic dans la région de l'océan Indien connaît ainsi une croissance spectaculaire. La Grande Ile est le principal fournisseur des îles voisines, notamment les Comores, La Réunion et Maurice, au grand dam des organes de lutte anti- drogues de ces îles. Maurice Randrianame déplore l'insuffisance de coopération entre les organes de lutte dans l'océan Indien. En fait, le cannabis ne fait que transiter dans ces îles, car il est surtout destiné aux consommateurs européens.
L'OICLD estime que la meilleure façon de lutter contre la drogue consiste à proposer aux producteurs une culture de substitution, mais aussi de réduire la demande au niveau des consommateurs. Le plan de lutte qu'elle est en train de préparer vise d'abord la prévention de la jeunesse. Le ministère de tutelle préconise ainsi la mise en place du projet "Sport contre drogue".
Selon le service central des stupéfiants malgache, le trafic n'est pas tant géré par des organisations criminelles, mais par une multitude d'acteurs isolés. Le schéma qui régit ce petit trafic est en général toujours le même. Trois ou quatre personnes marchent en groupe à travers la brousse pendant quelques jours. Arrivées sur le lieu de production, elles achètent chacune 3 sacs de 20kg de rongony pour environ 160.000 fmg le sac, qu'elles transportent ensuite sur le dos jusqu'à l'entrée d'une ville. Dans la capitale Antananarivo, elles pourront revendre ce même sac jusqu'à 1 million de fmg. Des camions se chargent de transporter le rongony, dissimulé parmi d'autres produits, jusqu'aux grandes villes de l'intérieur du pays.
Une partie de la drogue est destinée à de multiples revendeurs qui alimenteront les marchés urbains en "bombes": paquets d'une vingtaine de grammes vendus autour de 4.000 fmg, soit 4 FF l'unité. L'autre partie, la plus grande en fait, reprend la route pour les différents ports de Madagascar afin d'être exportée vers les pays cibles (Réunion, Maurice et Comores).
Le manque d'infrastructures routières et le maintien de contrôles effectués par la gendarmerie ou l'armée malgache à la sortie des grandes villes font que les camionneurs convoyeurs de la drogue utilisent deux types de stratégies, soit le payement d'une taxe informelle aux fonctionnaires, soit l'envoi d'éclaireurs aux barrages. Ils dissimulent aussi leur marchandise dans plusieurs voitures. Ces méthodes de passage sont d'autant plus faciles qu'elles reposent sur des liens familiaux, réels ou symboliques. Ce tissu familial, qui apparaît comme la base du trafic de rongony, permet la mise en place de ces réseaux, non seulement sur l'ensemble du territoire mais aussi au sein de pays d'émigration (les îles de l'océan Indien, mais aussi l'Europe, principalement la France, et l'Afrique australe).
Le trafic illégal de cannabis vers les Comores passe surtout via Majunga, Nosy Be et Morondava. Il se superpose parfois au trafic régulier de la vanille. Ces opérations sont facilitées par l'insuffisance de moyens et de personnel de la douane. Le contrôle y est quasiment inexistant, ce qui facilite le transbordement de marchandises illégales des boutres vers les grands bateaux marchands, à destination de l'Afrique ou de l'Asie. Des vedettes rapides rejoignent également l'archipel des Comores ou effectuent la traversée du canal de Mozambique. L'année dernière, les autorités comoriennes ont annoncé qu'elles ont saisi des fûts contenant de la drogue en provenance de Madagascar, mais sans en préciser le nombre. Un fût contient près de 213 kg de cannabis, d'après les Comoriens. Au mois d'août 1997, le directeur d'une école primaire privée comorienne a été arrêté par les agents des stupéfiants. Il avait acheté 10 sacs de rongony de 30 kg pour la somme de 10.000 FF chacun. La drogue était censée être de la vanille en provenance de Madagascar.
Le cannabis n'est pas le seul problème qui se pose à Madagascar. La culture et l'usage du khat se développent au sein des populations musulmanes du nord. L'OICLD remarque qu'aucune mesure n'a cependant été prise pour juguler l'expansion de ce phénomène que l'on enregistre déjà à Mahajanga (ouest), à Toliary (sud) et dans la capitale, notamment dans les bas quartiers. La nouvelle loi sur les stupéfiants, datant de 1997, fut rédigée de telle sorte qu'elle puisse assurer le contrôle de cette substance en attendant la décision de la commission des stupéfiants du conseil économique et social de l'ONU de la placer sous contrôle international.
Mais c'est surtout la cocaïne qui préoccupe l'OICLD. D'abord réservée aux touristes européens en villégiature sur l'île de Nosy Be, cette drogue est ensuite apparue dans les discothèques de la capitale au prix de 400-600 FF le gramme. L'émergence de ce stimulant, note l'OGD, est liée au tourisme sexuel. L'apparition d'un marché de consommation de nouvelles drogues pourrait entraîner l'expérimentation de cultures illicites, comme le cocaïer et le pavot que le climat et le sol de Madagascar rendent possibles. Des parcelles de pavots existeraient déjà dans la région de Maroantsetra (nord-est).
De même, selon l'OGD, il existe de forts soupçons concernant des opérations de blanchiment d'argent, que seraient en train de réaliser des étrangers, surtout de nationalité italienne. Ils sont cependant obligés de s'associer avec des Malgaches, qui trouvent là un moyen de s'enrichir rapidement. Ces Italiens gèrent de nombreuses opérations immobilières liées à des activités touristiques, notamment dans les îles de Nosy Be (nord) et de Sainte Marie (est).
Des soupçons, note toujours l'OGD, pèsent également sur des investissements malaisiens qui se développent. Des Malaisiens, selon le rapport, détiennent 60% du capital de la loterie malgache et ont des projets d'hôtels de luxe de 500 chambres. Une banque malaisienne, soupçonnée de se livrer à des opérations de blanchiment dans d'autres parties du monde, est sur le point d'ouvrir une succursale dans la capitale.
Il existe plusieurs moyens de blanchir l'argent, principalement les jeux et les banques off-shore, selon Maurice Randrianame. A cause du fameux secret bancaire, il est difficile de contrôler la provenance de cet argent. A partir de cette année, Madagascar va élaborer une loi qui donnerait aux autorités la possibilité d'exiger la levée de ce secret bancaire pour le besoin des enquêtes sur le blanchiment d'argent. Ce dernier terme recouvre l'argent "fruit" de toute activité criminelle, quelle qu'elle soit. Cette disposition est prise suite à la recommandation de l'ONU, et Madagascar, à l'instar de tous les autres pays du monde, devra pouvoir mettre cette loi en vigueur d'ici 2003.
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