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by Joseph Seydou Allakaye, Niger, mai 1999
THEME = VIE SOCIALE
Une pilule difficile à avaler. Le pour et le contre de la privatisation
Depuis que les programmes d'ajustement structurel ont commencé à être imposés aux pays africains par les institutions de Bretton Woods, le Niger, ne pouvant échapper à cette contrainte, et malgré le non catégorique des travailleurs, a dû se mettre lui aussi à l'heure de la privatisation. Après la cession, en 1997, de la Société nigérienne des textiles (SONITEXTIL), il a enregistré ses premières cessions définitives en 1998, avec le parachèvement des opérations de privatisation de l'Office du lait du Niger (OLANI) et de la Société nigérienne de cimenterie (SNC).
A partir des années 80, des milliers de privatisations ont été réalisées de par le monde, et continuent de l'être avec plus ou moins de bonheur, que ce soit en Europe, en Asie ou en Afrique. Mais comment en est-on arrivé à cette nécessité? Cette vague déferlante qui n'épargne aucun continent est née d'un constat: en dépit des moyens importants dont les Etats les pourvoyaient, les entreprises publiques n'atteignaient pas les objectifs assignés. Les principales raisons de cet échec généralisé étaient la faiblesse dans la gestion et la trop grande ingérence de l'Etat.
Un peu partout, en décidant de se désengager des branches d'activités marchandes et des entreprises de service public, la plupart des Etats ont voulu consacrer leurs moyens et leurs efforts au financement d'infrastructures de santé, d'éducation et autres programmes sociaux: eau potable, sécurité alimentaire, etc., soit à des domaines essentiels à l'épanouissement des populations et à leur bien-être.
Dans ces domaines, les pays pauvres, comme le Niger, accusent d'énormes retards et des insuffisances criantes. Avec un taux de scolarisation de 29%, un taux d'analphabétisme de 83%, une couverture sanitaire de 32% et un taux de couverture en eau potable de 41% de la population, le Niger est classé parmi les pays les plus pauvres de la planète. Son déséquilibre croissant entre le taux de croissance démographique (estimé à 3,3% l'an) et celui du PIB réel (évalué à 1,7% en moyenne entre 1983 et 1994), s'ajoute à un appauvrissement continu de la population, dont 63% sont "pauvres" et 34% "extrêmement pauvres".
Ces facteurs négatifs ont entraîné une réduction substantielle des dépenses publiques d'investissement, qui sont tombées de 25% du PIB en 1980, à 5,1% en 1993, pénalisant ainsi la prestation de services sociaux dans un pays qui en a extrêmement besoin. Il y est par conséquent nécessaire de prendre des mesures tendant à relancer l'économie à travers une meilleure redistribution des rôles.
Pourquoi alors s'attaquer aux entreprises d'Etat? Le Niger dispose malgré tout de potentialités appréciables, qui pourraient être transformées en atouts, pour autant que des stratégies et des politiques judicieuses et audacieuses soient conçues et mises en oeuvre pour la croissance économique et le progrès social. Pour cela, l'Etat nigérien a décidé de se retirer des activités de production, de distribution et de prestation de services qu'il exerce à travers les entreprises, afin de se consacrer à la fourniture de services publics essentiels et au maintien des grandes infrastructures qui ne peuvent être assurées par le secteur privé.
Cette réorientation est d'autant plus appropriée que le secteur des entreprises publiques n'échappe pas aux effets induits par la crise économique (déficits chroniques, difficultés de trésorerie, manque de maîtrise des charges, endettement excessif, blocage des investissements, vétusté généralisée des outils de production, etc.). Ce secteur, pourtant, est un levier important du développement de l'économie nationale. En effet en 1996, soixante entreprises, en dépit de la dégradation de l'environnement économique, représentaient 57% du chiffre d'affaires total du secteur moderne.
Selon les données de la comptabilité nationale, ce chiffre d'affaires a baissé de 32% de 1986 à 1992, et la valeur ajoutée de 40% pendant la même période. Le rendement moyen par travailleur a aussi baissé de 22% en neuf ans (1986-1994), pendant que le salaire moyen individuel augmentait de 30%. Au même moment, les créances des entreprises publiques, hors secteur minier, se sont accrues de 90%. Ce qui donne de sérieux problèmes de gestion des portefeuilles clients, avec le risque que cela comporte pour la survie même de certaines sociétés.
Comme il fallait s'y attendre, ces nombreux signaux d'alarme n'ont pas manqué d'interpeller l'autorité publique pour la préservation de ce patrimoine économique national qui a besoin d'un sang neuf. Ainsi donc, tel un arbre devant être taillé pour donner plus de fruits et un bien meilleur ombrage dans un environnement fertilisé, ce secteur doit être revitalisé.
L'Etat nigérien a donc entrepris de procéder au "sectionnement des branches mortes", en liquidant des entités non viables; à un "élagage" sur celles d'entre elles qui sont encore aptes à une restructuration; et, enfin, au "greffage" du secteur par la privatisation, qui devient ainsi le "greffon". Son insertion permettra de rendre, à ce domaine essentiel de l'économie, sa vitalité altérée par la crise profonde que le pays traverse.
Le programme de privatisation au Niger est soutenu par la Banque mondiale. Son objectif principal est de rendre les secteurs d'activités concernés plus compétitifs, efficaces et accessibles au plus grand nombre. Il est question pour l'heure de privatiser onze entreprises. Le programme connaîtra sa phase de croisière au cours de la période 1999-2000, avec la finalisation des opérations de privatisation des sociétés et entreprises publiques d'eau (SNE), d'électricité (NIGELEC), de télécommunication (SONITEL), de distribution des produits pétroliers (SONIDEP) ainsi que d'autres structures de moindre envergure.
Les effets attendus de toutes ces opérations sont:
- la mobilisation des financements privés, destinés à prendre la relève de l'Etat et à assurer un service public plus efficace par l'accroissement de la productivité et des investissements appropriés;
- l'amélioration de l'outil et du cadre de travail;
- la préservation de l'emploi et l'élargissement des opportunités offertes par le marché du travail.
Trois textes constituent les fondements juridiques de la privatisation au Niger: l'ordonnance 96-062 du 22 octobre 1996 fixant la liste des entreprises à privatiser; l'ordonnance 96-075 du 11 décembre 1996, sur les conditions générales de privatisation; et le décret 96- 464 du 11 décembre 1996, portant sur les modalités d'application des conditions générales de privatisation. De plus, l'Etat a mis en place les structures chargées de la conception, de l'exécution et du suivi du programme de privatisation. Pour sécuriser et garantir la qualité et l'intégrité des opérations de privatisation et offrir aux investisseurs l'image positive des potentialités nigériennes, les organes chargés de la privatisation travaillent selon les axes fixés par le gouvernement, à savoir:
- empêcher la création de monopoles;
- assurer la transparence et l'équité des transactions;
- améliorer et renforcer le cadre réglementaire pour assurer le libre jeu des marchés;
- traiter avec justice les problèmes des travailleurs;
- protéger les consommateurs des biens et services.
Dans cet esprit, la procédure de privatisation, telle qu'elle est conduite aujourd'hui, observe la démarche suivante: les études; la mise en oeuvre de la stratégie de privatisation; la sélection du repreneur; la négociation et la signature de la convention de cession; le transfert du contrôle de l'entreprise au repreneur.
Malgré toutes ces garanties apparemment alléchantes, le gouvernement nigérien s'est vu obligé de lancer une véritable campagne de sensibilisation des populations et des investisseurs potentiels et éventuels, au bien- fondé de la privatisation. Car la plupart des syndicats, surtout celui des travailleurs du Niger, la refusent et la condamnent en bloc.
Pour les travailleurs, l'Etat s'apprête tout simplement à brader les entreprises publiques à des parents, amis et connaissances. En plus, disent-ils, l'Etat en se dégageant ne fait rien d'autre que fuir ses responsabilités. Beaucoup de Nigériens travaillant dans les entreprises déjà ciblées, craignent pour leur emploi et de se retrouver dans la rue.
Même dans le cas de contrainte majeure de privatisation, les employés exigent de participer aux négociations afin de ne pas se laisser gruger par l'Etat. Lorsque le vin est tiré...! Nombreux sont les Nigériens qui espèrent qu'à tout le moins la privatisation obligera les repreneurs à fournir des services de qualité avec des prix compétitifs. Car, nous dit-on, concurrence oblige!
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