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by Samba Demba Barry, Mauritanie, août 1999
THEME = EDUCATION
En octobre prochain, les écoliers mauritaniens reprendront le
chemin de l'école
sous la lumière d'une nouvelle réforme qui met un terme à 20 ans d'un système
bicéphale:
une école arabe pour les Maures et une école française pour les Négro-Mauritaniens
L'événement qui marquera les Mauritaniens en ce début du troisième millénaire sera, sans doute, la nouvelle réforme du système éducatif national adoptée en avril dernier par l'Assemblée nationale.
A première vue, cette réforme institue l'unification du système éducatif national, longtemps victime de problèmes intercommunautaires. L'article premier de la loi stipule: "Les enseignements dispensés dans les différents ordres d'enseignement fondamental, secondaire et supérieur sont unifiés". Cela veut dire qu'il n'y a plus une filière arabe pour les Maures (blancs et noirs) et une filière bilingue, en fait française, pour les Négro-Mauritaniens. Par conséquent, le bicéphalisme de l'école mauritanienne, en vigueur depuis 20 ans, est supprimé.
Dans le même sens, l'article 2 de la même loi précise que, dans le cycle fondamental, "l'arabe est la seule langue d'enseignement en première année pour tous les élèves inscrits dans les établissements nationaux publics et privés". C'est ainsi que le français, qui faisait l'objet d'une option dans l'ancien système comme langue d'enseignement, est dorénavant dispensé à partir de la deuxième année à tous les élèves sans distinction aucune. De même, l'enseignement du calcul, qui était assuré en arabe pour les Maures et en français pour les Négro- Mauritaniens, est désormais dispensé en français à partir de la troisième année à tous les élèves. Les sciences naturelles qui étaient enseignées dans les mêmes conditions, seront dorénavant dispensées en français à tous les élèves à partir de la cinquième année de cycle primaire.
Les nouveautés au niveau du cycle secondaire sont l'allongement du premier cycle d'une année qui passe ainsi de trois à quatre ans et l'introduction de l'enseignement de l'anglais à partir de la première année du collège alors qu'il était enseigné à partir de la première année du deuxième cycle. Par ailleurs, les enseignements des sciences physiques et de l'informatique seront assurés en français respectivement à partir de la troisième et quatrième années secondaires. C'est dire que toutes les matières scientifiques seront désormais enseignées en français et les matières littéraires (philosophie, histoire, géographie, instruction civique, morale et religieuse) en langue arabe.
Au niveau de l'enseignement supérieur, on a décidé la création au sein de l'université de Nouakchott, d'un département de langues nationales (pulaar, soninké et wolof) dont la promotion se faisait auparavant au sein de l'Institut des langues nationales, créé en 1979.
Cette nouvelle réforme du système éducatif national, dans une Mauritanie pluriethnique et multitribale et où la problématique des langues demeure posée, n'a laissé personne indifférent. S'agit-il d'une nouvelle politique d'arabisation? S'agit-il d'une nouvelle approche de l'épineuse question de l'unité nationale dont la Mauritanie a grand besoin pour réussir son élan de développement? Ou bien la Mauritanie a-t-elle pris conscience des défis de la mondialisation où seules la compétence et la concurrence ont droit de cité?
Les avis diffèrent et varient selon les milieux (partis politiques, ethnies, groupes idéologiquesþ). C'est dire que chaque Mauritanien a réagi selon son cadre de référence. Depuis son adoption en avril dernier, on ne parle que d'elle. Certains y voient une volonté de s'ouvrir au monde extérieur et de s'adapter aux défis de la mondialisation. Tandis que d'autres la conçoivent comme "une agression culturelle" contre le peuple mauritanien, vu la place accordée au français dans l'enseignement des matières scientifiques.
Au front des partis d'opposition, regroupant les partis opposés au régime de Ould Taya, on qualifie la réforme de "précipitée et de décision unilatérale du parti au pouvoir". Les nationalistes arabes et négro-mauritaniens vont plus loin. Les premiers, qui étaient d'ailleurs à l'origine de la politique d'arabisation dans les années 1970, dénoncent "un néocolonialisme culturel", et les seconds parlent "d'une volonté d'asservir les Noirs de Mauritanie en leur imposant la langue arabe". D'ailleurs, au lendemain de l'adoption de la loi réformant le système éducatif, un tract signé d'une organisation clandestine baptisée "Conscience noire" a circulé dans toutes les rues de la capitale. Dans ce feuillet, les auteurs dénoncent "une arabisation à outrance de la vie politique et culturelle du pays" et appellent les Noirs "à défendre leur identité".
Du côté du PRDS (Parti républicain, démocratique et social - parti du président) et de ses alliés, on salue la réforme et "la volonté du chef de l'Etat de promouvoir la culture pour tous". Dès l'adoption de la loi, le président Ould Taya s'est rendu au Hodh El Gharbi, une région du sud-est mauritanien réputée être le bastion du nationalisme arabe, pour expliquer aux populations de cette région la nécessité d'acquérir le savoir et l'esprit de la réforme. Et depuis, ces partis mènent une campagne de sensibilisation baptisée "savoir pour tous". Les principaux messages de cette campagne tournent autour de la science, de la technologie et de la culture.
La Mauritanie est en quelque sorte un trait d'union entre l'Afrique noire et l'Afrique blanche, un pays multiethnique et pluritribal où les langues constituent un enjeu national passionnant. Quatre groupes ethniques composent la Mauritanie: Les Maures blancs ou Beydanes et les Maures noirs connus sous le nom de Haratins (esclaves affranchis) arabophones parlant le hassanya (du nom des Hassân qui auraient arabisé la population autochtone à partir du XVIème siècle); les Haalpulaaren (parlant le peul), les Soninkés (parlant le soninké) et les Wolofs (parlant le wolof). Les trois derniers groupes constituent l'ensemble négro-mauritanien, c'est-à-dire les Noirs de Mauritanie qui n'ont pas le hassanya comme langue maternelle.
Depuis son indépendance en 1960, la Mauritanie tente de trouver des solutions aux problèmes posés par la diversité de ses parlers. A cette fin, plusieurs mesures ont été prises, dont cinq réformes du système éducatif national, où l'arabe (langue nationale) et le français (langue du colonisateur) rivalisent pour la première place dans la formation des élites nationales. Au début des années 1960, l'arabe était une langue nationale, mais seul le français était la langue officielle. L'arabe était considéré plutôt comme "une langue de culture" dans la mesure où elle est la langue du Coran auquel tous les Mauritaniens sont attachés. A cette époque, le français était à la fois la langue de l'administration, la langue du travail des services publics et la langue quasi unique de l'enseignement public. Cette prééminence du français sur l'arabe était pour la communauté maure arabophone un signe difficilement acceptable d'aliénation culturelle. C'est pour cette raison que les Maures ont commencé à manifester leur mécontentement face à cette situation.
Les revendications des nationalistes arabes ont obligé les autorités à prendre des mesures en faveur de la promotion de la langue arabe, qui à leur tour étaient contestées par les Négro-Mauritaniens. On peut les résumer ainsi.
En 1966, l'arabe fut rendu obligatoire pour tous dans l'enseignement secondaire, tout en gardant le bilinguisme arabe/français et la prédominance du français, qui restait la langue d'enseignement des matières scientifiques.
Face toujours aux revendications des nationalistes arabes de plus en plus persistantes, une nouvelle réforme du système éducatif fut adoptée en 1967 consacrant l'ajout d'une année supplémentaire complètement arabisée au cycle primaire habituel de six ans.
En 1973, le cycle primaire est quasiment arabisé et l'enseignement du français comme langue étrangère est renvoyé au secondaire, dispositions que les Négro-Mauritaniens ont toujours dénoncée comme une arabisation forcée.
En 1979, la Mauritanie était à deux doigts de l'affrontement intercommunautaire. Pour baisser la tension, le président Ould Haïdalla prit des mesures urgentes: amélioration du coefficient de l'instruction morale, civique et religieuse enseignée en arabe, transcription des langues nationales (pulaar, soninké et wolof), création de l'Institut de langues nationales et instauration du système de la double filière: arabe et bilingue. Avec ce système de la double filière, les autorités ont choisi de séparer les Maures des Négro- Mauritaniens. On assiste ainsi à la naissance de deux écoles mauritaniennes différentes. L'une adopte l'arabe comme langue d'enseignement; elle est obligatoire pour les jeunes Maures et facultative pour les Négro-Mauritaniens. Et l'autre est francophone: elle est interdite aux Maures, qui n'y accèdent que par dérogation; elle est facultative pour les Négro-Maurianiens qui, sans doute pour des raisons politiques, choisissaient de s'y inscrire presque tous.
La réforme d'avril 1999 met ainsi un terme à 20 années d'une école bicéphale, longtemps sacrifiée par la volonté politique. Avec cette réforme, les Mauritaniens espèrent disposer désormais d'une école respectable, à même de former des élites utiles à la nation et capables de bâtir un pays uni et puissant. Des élites qui feront parler de leur pays tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, des élites nationalistes et patriotes.
Malgré cet espoir, ils s'interrogent sur la possibilité de mettre en application cette réforme, vu les voix qui se sont élevées pour la dénoncer et les moyens humains, financiers et logistiques qu'elle demande. La grande question que les Mauritaniens se posent à propos de cette réforme reste encore: réussira-t-elle là où les quatre précédentes ont échoué?
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