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by K.K. Man Jusu, Côte d'Ivoire, août 1999
THEME = POLITIQUE
En se portant candidat à l'élection présidentielle de l'an 2000
malgré le code électoral
qui lui est défavorable, l'ancien Premier ministre et ex-directeur général adjoint du FMI,
Alassane Ouattara, lance un défi aux institutions ivoiriennes et au parti au pouvoir, le PDCI-
RDA
"Eligible ou non éligible? Ivoirien ou Burkinabè?"... Depuis le 1er août 1999, ce genre de questions a remplacé en Côte d'Ivoire celle qu'on se posait depuis 1994: "Viendra ou ne viendra pas?".
En effet, après la mort du Vieux (appellation affectueuse du premier président Houphouët-Boigny décédé en 1993) et après la création du RDR (Rassemblement des républicains), né d'une scission au sein du PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d'Ivoire, au pouvoir depuis l'indépendance; RDA , Rassemblement démocratique africain), l'ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara (ADO, pour ses fans) est parti au FMI. Depuis, on a toujours annoncé son retour. Mais ADO ne voulait pas perdre son poste au FMI pour venir échouer en Côte d'Ivoire, arguant que la loi électorale, "injuste et inique", ne lui permettait pas de faire acte de candidature. Il viendrait si la loi changeait, et il appartenait à ses partisans de mener la lutte pour son changement. D'où le "boycott actif" qui a fait des morts pendant les élections de 1995. Mais la loi était demeurée et ADO avait refusé de venir.
Le code électoral de 1995, reconduit en 1998 par le Parlement dominé par le PDCI-RDA, stipule que "le candidat à l'élection présidentielle doit être Ivoirien, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens de naissance". Or, ADO est suspecté de n'être pas Ivoirien de naissance, son père étant, dit-on, originaire du Burkina Faso. "Faux!", affirme Ouattara, qui explique que son père est originaire de Kono, ville ivoirienne du nord-est, et que, s'il s'était trouvé en Haute-Volta (le Burkina actuel), c'était pour y assumer des fonctions de chef traditionnel. Quant à sa mère, elle serait originaire de Gbéléban, localité située au nord-ouest de la Côte d'Ivoire. Brandissant les cartes d'identité de ses parents, il déclare: "Je remplis toutes les conditions d'éligibilité du président de la République, eu égard aux documents en ma possession sur les conditions requises en matière de nationalité, de filiation et de résidence".
La question est alors de savoir pourquoi il y a eu un "boycott actif" en 1995? Et pourquoi il avait qualifié d'"injuste et inique" la loi qui l'empêchait de se porter candidat? On rappelle dans les milieux politiques ivoiriens qu'en réalité l'ancien Premier ministre d'Houphouët-Boigny ne remplit pas les conditions d'éligibilité: parti très jeune en Haute-Volta avec son père, ADO a fait toutes ses études primaires et secondaires dans ce pays, où il a obtenu une bourse d'études supérieures aux Etats- Unis. Mieux, Alassane Ouattara a été président des étudiants voltaïques aux Etats-Unis et travaillé au nom de ce pays dans des organisations internationales. Ce n'est qu'en 1982, après des problèmes avec les autorités militaires de la Haute- Volta, qu'il s'est tourné vers la Côte d'Ivoire, où le président Houphouët-Boigny l'a accueilli à bras ouverts, le nommant même Premier ministre.
A l'époque, par affection pour le "père de la nation", les Ivoiriens avaient fermé les yeux sur cette "anomalie". Seule l'opposition avait dénoncé cette "intrusion d'un étranger dans la vie politique ivoirienne". Il y a quand même eu un conflit ouvert entre Henri Konan Bédié, alors président de l'Assemblée nationale et dauphin constitutionnel d'Houphouët-Boigny, et ADO, lorsque celui-ci avait manifesté son intention de se présenter à la présidentielle de 1995.
Et maintenant, que peut-on dire? Alassane Ouattara, Ivoirien ou Burkinabè? La réponse appartient au Conseil constitutionnel, qui aura à statuer sur les dossiers des candidats. Mais la détermination des "alassanistes" et l'offensive des "bédiéistes" font craindre des troubles en l'an 2000. Ce serait la troisième grande tension de l'après Houphouët-Boigny, les deux autres étant la "guerre de succession" en 1993, et le "boycott actif" en 1995. Mais en fait, c'est toujours la guerre de succession qui se poursuit sur fond de tribalisme, de régionalisme et de religion.
L'aspect de tribalisme se fonde sur la thèse selon laquelle après Houphouët, un Baoulé, il ne saurait y avoir un autre Baoulé au pouvoir. Or, Henri Konan Bédié, l'actuel président, est un Baoulé. D'où la coalition FPI-RDR (Front populaire ivoirien) contre le PDCI, considéré comme le "parti des Baoulés". Lutter contre le PDCI, c'est donc briser "l'hégémonie baoulée" dans la vie politique ivoirienne.
Mais après cet objectif commun, il y a deux autres objectifs, visés uniquement par le RDR: d'une part, mettre fin au règne des chrétiens au profit des musulmans, qui se disent majoritaires en Côte d'Ivoire; et d'autre part, mener un combat du Nord (qui s'estime lésé dans le développement) contre le Sud considéré favorisé. D'où cette hostilité à l'égard de l'Ivoirité, concept inventé par le président Bédié qui le définit comme un projet culturel destiné à "faire prendre conscience aux Ivoiriens de leur identité nationale" dans le contexte de la mondialisation.
Proposé en 1995, ce projet d'Ivoirité se veut cependant pluriel, prenant en compte trois types de culture pour en faire un "way of life ivoirien": la culture authentique des 60 ethnies du pays, la culture des non- Ivoiriens vivant en Côte d'Ivoire (on estime à 30% le nombre d'étrangers dans la population ivoirienne), et la culture dite moderne ou universelle. Il s'agit de prendre les aspects positifs de ces trois types de culture.
Curieusement, les gens du Nord considèrent que ce projet est dirigé contre eux. Il y a ici, manifestement, une malhonnêteté intellectuelle découlant d'une démagogie politicienne. Mais il faut reconnaître que le concept a été vicié par le contexte historique de sa naissance, l'Ivoirité étant née presque en même temps que le code électoral de 1995 qui fait la distinction entre Ivoiriens de souche et Ivoiriens de circonstance. Il semble que les Ivoiriens d'origine étrangère soient plus nombreux dans la population du Nord (avec des immigrants maliens, guinéens et burkinabè notamment) et dans la communauté musulmane. Ainsi, les gens qui combattent l'Ivoirité sont considérés comme des "étrangers" voulant s'emparer de la Côte d'Ivoire, politiquement, économiquement et culturellement. Alassane Ouattara est ainsi considéré comme le porte-parole de cette communauté d'origine étrangère. Au total, on peut dire que l'Ivoirité, un projet culturel apparemment séduisant, est considérée comme un concept qui divise les Ivoiriens. Au point que, au sein même du PDCI- RDA, des voix s'élèvent pour demander son remplacement par un autre terme. Le ministre des Affaires présidentielles, Paul Yao Akoto, propose l'appellation: "identité ivoirienne". Moins expressif sans doute, le terme souffrirait moins d'ambiguité.
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