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by Sylvestre Tetchiada, Cameroun, août 1999
THEME = ENFANTS
Ils ont entre 10 et 13 ans.
Ils écument les rues à longueur de journée, à la recherche de leur pitance.
Ils dorment devant les bars, dans les égouts, et au cimetière.
Le ministère des Affaires sociales est décidé à maîtriser cette triste situation.
Le terme "enfant de la rue" désigne, selon Nicolas Fenton, directeur de l'ONG Childhope (Grande-Bretagne), "des enfants et des jeunes qui travaillent dans les rues et autres espaces urbains, y compris des bâtiments vides et des terrains vagues". Depuis longtemps, le voyageur débarquant à Yaoundé était saisi de stupeur par ce phénomène social, devenu banal pour les habitants. Sur les grandes artères de la capitale, on rencontre partout des enfants errants d'un genre particulier. Vêtus de chiffons de tissu jean, ces enfants vivent quotidiennement leur calvaire auprès des poubelles et par la pratique de petits métiers. Ils sont laveurs de voitures, proxénètes, vendeurs de drogue, quémandeurs de pièces de monnaie, etc.
Une enquête révèle que 2,4% d'entre eux avaient moins de 7 ans; 19,8% entre 7 et 9 ans; 39,7% entre 10-12 ans; 23,1% entre 13-15 ans, et 8,3% entre 16 et 18 ans. Ces enfants viennent, pour la plupart, des régions septentrionales du Cameroun, où le taux d'analphabétisme est resté le plus élevé de tout le pays. Un jour, dont le souvenir reste vague dans leur esprit, ils se sont agrippés à une locomotive en partance pour Yaoundé, leur eldorado. D'autres sont partis de Yaoundé pour Douala, le pôle économique le plus important du pays, et inversement.
Le diagnostic établi par le Rapport sur le développement social au Cameroun 1998, publié le 10 juin 1999, fait état "(þ) de l'analphabétisme, de la déperdition scolaire aiguë, de la délinquance juvénile rampante liée à la dérive économique de ces dernières années". Il y a aussi la grande pauvreté de nombreuses familles de ruraux, elle-même causée par une croissance économique insuffisante et par une répartition inéquitable du revenu national. Pour la plupart des familles pauvres, mettre un enfant au travail fait partie d'une stratégie de survie. D'autres, par contre, sont envoyés dans la rue.
Parmi les enfants ramenés dans leur terre natale par Mme le ministre des Affaires sociales, au mois de mai dernier, - une opération sans précédent - certains ont expliqué que les pratiques coutumières désobligeantes les avaient contraints à quitter le foyer paternel. Ils souhaitaient aller à l'école plutôt que de surveiller le bétail. Les enfants originaires des provinces méridionales sont arrivés dans la rue fascinés par la vie des grandes agglomérations. Figurent aussi en bonne place, les déficiences quantitatives et qualitatives des systèmes éducatifs. Malgré les efforts du gouvernement, les écoles sont insuffisantes ou trop éloignées des lieux de résidence. Le personnel enseignant est aussi insuffisant. De plus, l'enseignement dispensé n'est pas perçu par les familles comme ouvrant des débouchés susceptibles de compenser le revenu immédiat auquel elles doivent renoncer en maintenant les enfants à l'école.
Les ados ont appris dans les rues toutes sortes de perversions. La rue leur a procuré comme éducation, le vol, la drogue, l'alcool, la sexualité précoce et l'homosexualité. Exploités par des hommes véreux, ils sont utilisés, indiquent les sources policières, comme passeurs de drogue et intermédiaires des sales transactions. D'autres sont proxénètes, pédophiles et achèvent souvent leur parcours en prison.
A l'archidiocèse de Yaoundé, le problème des enfants de la rue a été défini comme "un phénomène social urgent à résoudre, et auquel les pouvoirs publics doivent porter attention comme objectif de politique sociale prioritaire". Une étude de l'Unicef révèle que, pour la seule année 1998, plus de 140 enfants vivant dans les rues de Yaoundé ont été agressés suite à des infractions diverses, allant de la simple rapine jusqu'au vol à main armée.
Le drame des enfants de la rue a été visualisé dans un documentaire amateur que l'ensemble de la classe politique a pu voir en exclusivité, un soir de février 99. Ce documentaire, "Les Enfants ont aussi des droits", réalisé avec l'appui de la Coopération française et de l'Unicef, met en exergue les turpitudes sociales vécues quotidiennement par cette classe de marginaux. Une fiction calquée sur la réalité, qui traduit exactement le drame social des enfants de la rue.
Les autorités viennent de mettre en place une série de mesures visant à restreindre l'irruption des enfants dans les rues. Des mesures prises à la suite de divers rapports, produits d'une part par l'archidiocèse de Yaoundé, qui þuvre depuis longtemps à l'insertion sociale des enfants de la rue, et d'autre part par des ONG nationales et la représentation locale de l'Unicef. Cette dernière écrit dans son rapport (avril 1999), découlant de son projet "Promotion des droits de l'enfant en situation difficile", que "les enfants de la rue, abandonnés à eux-mêmes et dont le nombre est chaque jour croissant, constituent (þ) une entrave au développement social du Cameroun". Le rapport conclut en faisant état "des pistes nécessaires à la résorption de cet épineux problème, comme la prise en charge de ces enfants, auxquels il faut inculquer le sens de la participation à la vie socio-économique par l'apprentissage d'un métier, pour les plus âgés, et par la réinsertion scolaire pour les plus jeunes".
Le ministère des Affaires sociales (MINAS), vient de réaliser la première opération de transfert des enfants de la rue vers leur village d'origine et espère poursuivre l'opération, a souligné Mme le ministre. Dans la première quinzaine du mois de mai, elle a en effet pris place dans le train en partance pour le Nord, avec à ses côtés une trentaine d'enfants de la rue qu'elle a accompagnés dans la province de l'Adamaoua (à plus de 1.000 km de la capitale), d'où ils avaient émigré il y a quelques années. Ils y retournent s'installer dans des centres de rééducation et de réinsertion sociale nouvellement créés.
A la suite de cette opération d'envergure, une conférence regroupant les responsables des services du MINAS s'est tenue du 3 au 5 août 99, afin de procéder à la mise en place d'une stratégie nationale et la constitution de fichiers relatifs aux enfants de la rue dans toutes les grandes agglomérations. Question d'identifier de nouveaux pôles de concentration et de prendre des mesures adéquates.
En même temps, le MINAS vient de réhabiliter des centres spécialisés appelés "Institutions camerounaises de l'enfance", pour enfants délinquants qui sont partis de chez eux suite à la dérive économique qu'a amorcée le Cameroun vers la fin des années 80. En outre, l'Etat, qui voudrait se doter de personnel compétent, vient de renforcer l'effectif des cadres supérieurs des Affaires sociales, en formation depuis deux ans à l'Ecole nationale d'administration et de magistrature. Ceci, "dans l'optique d'une prise en charge efficiente de l'éducation des jeunes filles et des garçons, en rupture du système scolaire, et des délinquants. Dans ce volet, il sera surtout question de donner un métier simple (artisanat, menuiserie, agriculture, élevage) à ces jeunes gens", souligne le MINAS.
Par ailleurs, un Comité interministériel, élargi aux experts de l'Unicef, aux ONG et à la société civile, s'est penché sur la question les 8 et 10 juillet 1999. Au terme de cette réunion, recommandation est faite au "Comité de pilotage du programme national de gouvernance" d'inscrire dans ses priorités le problème des enfants de la rue auquel le gouvernement doit s'attaquer en tant qu'un des objectifs majeurs dans sa croisade contre la pauvreté.
Pour leur part, les ONG ont souligné le rôle de l'éducation dans le développement. Dans leur déclaration aux députés en session budgétaire de juin 1999, elles soulignent les vertus d'une approche globale. Celle-ci met en évidence un autre élément fondamental, à savoir la nécessité d'un processus clairement défini et en plusieurs étapes: l'enfant doit d'abord quitter la rue pour rejoindre un cadre moins précaire; avoir ensuite un logement plus sûr; et, enfin, avoir la possibilité de retourner dans sa famille ou d'accéder à une vie indépendante. "Les actions de l'Etat et des ONG devraient en définitive être complémentaires", ont indiqué les responsables des organisations.
Avec de la chance et beaucoup d'ardeur à la tâche, ces dernières peuvent montrer le chemin à suivre, car elles exercent des actions de proximité. Mais l'engagement sans réserve de beaucoup d'autres acteurs du système s'avère indispensable pour que leur action ait un impact durable sur la situation effroyable des enfants de la rue.
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