ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 375 - 01/10/1999

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Sénégal

Alerte à l'intégrisme


by Alain Agboton, Sénégal, août 1999

THEME = INTEGRISME

INTRODUCTION

Le Sénégal serait-il - insidieusement et imperceptiblement -
sur le point de verser dans l'intégrisme?
Beaucoup de signes inquiétants paraissent l'attester.

En une semaine, deux mosquées ont été brûlées; un journaliste a été menacé physiquement, sa maison incendiée par des fidèles d'un marabout local (mouride) qui n'avait pas apprécié un de ses articles l'incriminant, et son frère enlevé pendant une dizaine d'heures (puis relâché); un imam a été molesté, des reporters insultés. Tout cela, dans un climat proche de l'inquisition et des autodafés.

Ainsi, un marabout a fait publiquement entrave à l'action publique. Des "soldats de la foi" (des mourides) ont fait le siège d'une prison pour réclamer l'élargissement d'un des leurs qui, mécontent, avait refusé de recevoir la délégation gouvernementale venue présenter ses hommages lors de leur fête du Magal, en mai dernier. Ils ne devaient lever le siège que sur injonction du khalife des mourides - leur guide et chef d'une des grandes confréries du pays.

Tout cela, faut-il le noter, se déroule également dans un contexte préélectoral. Les présidentielles sont en février 2000. Aussi, n'hésite-t-on pas à parler de "turbulences en perspective" sur fond de ce que d'aucuns ne manquent pas d'appeler une "dilution tendancielle" de l'autorité de l'état. En effet, l'état et les partis courtisent de manière assidue les chefs religieux (notamment mourides, activistes en diable) et leur passent tous leurs caprices. D'où leur arrogance et leur impertinence. D'ailleurs, leur ville (Touba) est un état dans l'état, rien de moins... Ce qui a été perçu comme des "dérives intégristes" a été fermement condamné par la presse, les organisations humanitaires, les organisations de défense des droits de l'homme et la société civile. Face à ce concert de réprobations, autant l'état que les partis, toutes tendances confondues, se sont fait remarquer par leur mutisme assourdissant. Une belle unanimité, grosse de démissions honteuses, de reculades inavouées et de calculs mesquins.

Elle témoigne, en tous cas, d'une situation pour le moins sujette à interrogations, et se prête à des examens sociologiques fouillés. "Sénégal, ta tolérance fiche le camp", s'est-on écrié ici. "Au nom de la religion, on se permet désormais des actes d'une inélégance que la dernière des républiques bananières aurait refusés. L'obscurantisme et le fanatisme nous guettent".

C'est un nouvel épisode symptomatique des "grands dangers" qui menacent d'éroder la "cohésion du corps social" préludant (?) au "chaos social, l'implosion de la nation", a-t-on pu encore entendre. Et le syndrome algérien d'être agité par certains.

Un état à la dérive...

C'est le règne désormais de "l'individualisme sauvage et dévastateur", mais aussi celui de la "désespérance", orchestrée par "les détresses, les défiances et les angoisses individuelles". D'où l'"anarchie" observée et le "déficit d'autorité" constaté au niveau de l'Etat républicain. Effectivement, la tendance qui semble se dessiner aujourd'hui est celle qui consacre la perte d'autorité de l'Etat dans sa "responsabilité de garantir l'ordre public", soutient-on.

Explication aux allures de réquisitoire d'un politologue sénégalais réputé: l'Etat est "en déliquescence face aux forces religieuses. Il y a comme un complexe de la religion. L'état s'est déprécié alors que le pouvoir religieux est plus fort que jamais. Les libertés fondamentales sont en danger. Le Sénégal est aujourd'hui éclaté en plusieurs pouvoirs que l'autorité institutionnelle ne parvient pas à fédérer. Il en résulte une impuissance de l'état et une iniquité de la République.

La course au pouvoir politique a emprunté le détour des concessions aux chefs religieux. Discrédité, le pouvoir politique est supplanté par d'autres autorités. La sécurité du citoyen fait les frais de cette dégénérescence. L'impunité est garantie. A force de concessions et de tolérances, l'état a tellement reculé qu'il s'est mis tout seul dos au mur. L'urgent et la priorité, c'est de refonder l'état". Pas moins.

Pour cet autre observateur, les actes incriminés sont "attentatoires" à la démocratie et à l'état de droit et fondent ces "dérives". Résultat: "La peur est dans le camp des démocrates et des partisans de la modernité", d'autant, estime-t-il, que le plus grave est une certaine "lâcheté" partagée par un très grand nombre et a fortiori à certains niveaux (état, partis, opinion).

Et la société civile dans cette sulfureuse affaire? En rejetant ces "actions d'autojustice", elle annonce un projet de "manifeste et de plan d'action", présentant un "cadre institutionnel souple" propre à garantir l'organisation d'une présidentielle "transparente sereine, paisible et sans contestation", et ce, dans le respect des "principes d'éthique et de civilité", de nature à promouvoir la "culture civique".

Des lendemains qui déchantent pour la société et la démocratie sénégalaises? Question à soumettre à l'oracle des pythies locales...

END

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