ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 376 - 15/10/1999

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Burkina Faso

Pluralisme et liberté de la presse


by Sarah Tanou, Burkina Faso, août 1999

THEME = MEDIA

INTRODUCTION

Le 13 décembre 1998, le journaliste Norbert Zongo
trouve tragiquement la mort sur la route, avec trois de ses compagnons.
Cette affaire met la presse burkinabè sur la sellette.
Visage d'une presse, surtout écrite, ses difficultés et sa liberté.

Comme le soutient l'opinion publique, la presse est le quatrième pouvoir d'un Etat. Les journalistes sont assimilés à des "faiseurs d'opinion". Au Burkina Faso, la presse joue-t-elle ce rôle? En tous cas, elle informe et elle sensibilise. C'est un moyen de communication très porteur.

Le régime juridique et réglementaire

La presse et les médias au Burkina Faso sont codifiés par six textes juridiques et réglementaires. Pour le cas présent, on s'en tiendra à deux seulement: le décret 94-42/PRES du 28 janvier 1994 sur le code de l'information au Burkina Faso, et le décret 95- 304/PRES/PM/MCC sur le Conseil supérieur de l'information.

L'histoire du code de l'information est symptomatique de certaines tergiversations. Le premier code de l'information a vu le jour en août 1990 sous l'état d'exception. Il portait les stigmates du régime qui l'a conçu, avec des formules du genre "l'information est un monopole de l'Etat...". Les professionnels de la communication et la société civile ont saisi toutes les opportunités pour exiger sa relecture en conformité avec l'Etat de droit naissant. Les différentes démarches et pressions aboutiront en avril 1992, période de transition démocratique, à un code qui niait le journalisme d'investigation et laissait planer en permanence l'épée de Damoclès sur la tête des journalistes et des directeurs de publications.

Les associations de professionnels, à travers des revendications soutenues par une pétition signée par des milliers de Burkinabè, aboutiront à l'adoption de la loi du 30 décembre 1993 et le décret de janvier 1994. Le code de l'information actuel constitue une avancée certaine par rapport aux précédents. Néanmoins, il contient des dispositions que journalistes, directeurs de publications et membres de la société civile continuent de dénoncer avec vigueur. Les principales critiques portent sur la partie pénale. Aussi, les définitions des notions de "journalistes", "diffamation", "atteinte à l'honorabilité des corps constitués", "la sûreté de l'Etat", etc. sont sujettes à caution et leurs interprétations très ouvertes portent préjudice aux médias. De plus, les notions de "bonne foi" et "d'intérêt général", pourtant consacrées par la jurisprudence française, sont absentes pour le système de défense des journalistes. La protection de ces derniers est très vague dans le texte.

Le décret 95-304/PRES/PM/MCC crée une autorité administrative dénommée Conseil supérieur de l'information (CSI ). Entre autres attributions, ce conseil doit veiller au respect de la législation en vigueur, de la déontologie en matière d'information, et au respect du pluralisme et de l'équilibre de l'information dans les programmes des sociétés et entreprises de communication audiovisuelle, dans les colonnes des journaux et des publications périodiques d'Etat et privés.

Au moment des campagnes électorales, le CSI fixe les règles concernant les conditions de production, de programmation, de diffusion des émissions et articles relatifs. Comme pour le code de l'information, des griefs ont été formulés à l'adresse du CSI, notamment concernant sa composition: il ne compte que 3 membres des associations professionnelles sur un total de 11.

Il y a beaucoup de textes, et autant d'amendements, qui régissent la presse au Burkina Faso. Leur évolution est intimement liée aux hésitations sur la nécessité d'embrasser franchement la démocratie ou de la teinter d'une bonne dose d'exception. Néanmoins ces textes existent. Ce sont là des acquis attendus et revendiqués depuis longtemps.

Pluralisme rime-t-il avec liberté?

La liberté de la presse est l'une des bases de la démocratie et l'un des fondements indispensables à l'instauration d'un régime démocratique crédible. La liberté de la presse est en effet étroitement liée aux droits fondamentaux de l'homme d'exprimer ses opinions "sans être inquiété".

Elle revêt un caractère vital pour les partis politiques, les organisations de masse et les organisations syndicales, professionnelles, culturelles, etc. Elle constitue l'une des conditions principales pour l'instauration d'un Etat de droit dans un régime libéral et multipartite, avec des doctrines différentes et des tendances politiques et idéologiques divergentes.

Etant donné l'importance qu'elle revêt, aussi bien pour les individus que pour les collectivités, la liberté de la presse est demeurée l'un des plus importants objectifs politiques et démocratiques pour lequel ont milité les forces nationales et progressistes et tous ceux qui oeuvrent en faveur de la démocratie.

Au Burkina, comme presque partout en Afrique, la presse participe à l'éveil des consciences collectives, indispensable à l'émergence et à la consolidation de la démocratie. L'explosion de la presse privée a considérablement modifié le paysage médiatique burkinabè. Comment donc se présente le visage de cette presse écrite et quelles sont ses difficultés?

Visage mitigé

Lire un journal chaque jour, chaque semaine ou chaque mois, cela fait partie désormais du vécu des Burkinabè. L'avènement de l'Etat de droit depuis 1990 a favorisé le développement de médias privés très diversifiés, allant des radios aux stations privées de télévision en passant par les journaux.

Si la pluralité des titres des journaux est signe d'une presse libre et indépendante, le Burkina peut se vanter de l'avoir. Ils sont nombreux aujourd'hui à tenter d'arracher une part du lectorat burkinabè.

D'abord, les quotidiens: trois entreprises privées viennent concurrencer l'organe de presse d'Etat Sidwaya, créé le 5 avril 1984 pour refléter les points de vue du gouvernement. Parmi les quotidiens privés, l'Observateur paalga, le plus vendu et aussi le plus ancien; son premier numéro date du 28 mai 1973. Le 3 octobre 1991, le deuxième quotidien indépendant voit le jour: Le Pays, une entreprise familiale de 28 employés. Dernier quotidien à faire son apparition sur le marché, le Journal du Soir; il est le premier quotidien burkinabè à étendre ses activités dans la sous- région.

Aux trois quotidiens privés vient s'ajouter toute une kyrielle de périodiques. Certains disparaissent après quelques parutions, réapparaissent et disparaissent à nouveau. D'autres, part contre, tiennent le coup. C'est le cas du Journal du Jeudi, un des hebdomadaires les plus populaires, qui fête cette année son huitième anniversaire. Il est le premier et pour le moment le seul journal satirique burkinabè.

L'hebdomadaire d'informations générales l'Indépendant en est à sa sixième année. Créé en 1993, par le journaliste Norbert Zongo, il s'est vite différencié des autres journaux par son indépendance et son genre journalistique: l'investigation. Avant la mort tragique de son directeur, c'était le journal le plus lu, disposant d'un circuit de distribution très étendu. Le directeur avait même poussé l'audace de le distribuer gratuitement dans certaines écoles, collèges et lycées afin de permettre aux jeunes de s'informer. Tout en n'étant pas une presse d'opposition, il peut critiquer l'action du gouvernement burkinabè et des organisations politiques et syndicales. Il s'est taillé une large part du lectorat burkinabè. La disparition tragique de son directeur de publication le 13 décembre 1998 et les événements qui ont suivi en témoignent.

A la liste de ces journaux, s'ajoutent d'autres titres comme Le Matin, La Voix du Sahel, L'opinion créé il y a deux ans et proche du pouvoir.

Médias et crise socio-politique

Si l'avènement de la démocratie semble avoir éveillé la vocation journalistique de nombreux Burkinabè, il faut dire que la crise socio-politique actuelle (issue de la mort de Norbert Zongo) est un temps fort qui a imposé aux journalistes un rythme époustouflant de travail. Certains journaux ont dû augmenter leur tirage et d'autres leur pagination pour faire face à la demande croissante et à l'abondance des articles de la rédaction ou des tribunes libres.

Si le lecteur est plus intéressé par ce que disent et font les politiques (opposition et pouvoir), il semble encore davantage captivé par la lecture que font les professionnels de l'information de leurs faits et gestes. Naturellement, cela ne peut que faire la joie des éditeurs.

Cette soif d'information du public en ce temps de crise se solde par une floraison de journaux. On a vu ainsi la renaissance de L'intrus, un hebdomadaire qui revient après 3 années de silence. Il fait penser à l'Indépendant, par son ton, son style, son genre. Comme création, on assiste à une livraison tous azimuts, la plupart des hebdomadaires: L'hebdomadaire du Burkina, L'Afrique le jour, Sanfinna, Le Citoyen, l'Express du Faso, quotidien paraissant à Bobo- Dioulasso, et bientôt Libération, un autre hebdomadaire.

L'arrivée de ces nouveaux titres apporte du tonus à la liberté de la presse. Même ceux qui pensent, avec raison parfois, que ce deuxième printemps de la presse écrite (après celui de 1991) est sous- tendu par des motivations politiques et idéologiques, doivent reconnaître que l'initiative est partie des préoccupations des lecteurs. En plus, à cette diversité des titres, on peut ajouter la diversité des contenus. Le deuxième printemps de la presse écrite burkinabè bat son plein. Malheureusement, le marché des lecteurs étant restreint, il ne permet pas à tous les mordus de la presse de vivre de leur passion.

Les difficultés

D'un point de vue économique, on considère que la rentabilité d'un journal est liée à son tirage. Mais aux dires de tous les directeurs de publication, les seuls écrits d'un journal ne sont pas des garanties suffisantes à sa survie; il lui faut en plus le support indispensable de la publicité.

Malheureusement, en cette matière, les journaux burkinabè ont encore du mal à convaincre les sociétés et les entreprises de la nécessité de les soutenir. Bon nombre d'entreprises hésitent encore à prendre des pages de publicité.

Cette réticence s'explique peut-être par le niveau de développement de la société qui est loin d'être une société de grande consommation. Une autre explication est la peur et la méfiance qu'ont les sociétés à l'égard des journaux dits "d'opposition".

Autres difficultés rencontrées par la presse burkinabè et non des moindres: le faible lectorat, ou du moins le faible marché. N'ayant pas les moyens de s'acheter un journal, beaucoup de burkinabè préfèrent se faire passer un journal de main en main pour le lire, ou même le photocopier.

Autre fait, la presse burkinabè n'a pas encore atteint un degré de spécialisation qui lui permette de cibler son lectorat. On tente d'intéresser tous les lecteurs: faits divers, politique nationale et internationale, économie, sports sont traités dans la plupart des journaux. Les lecteurs sont-ils satisfaits? Les critiques recueillies des lecteurs sont éloquentes.

La liberté de la presse, une lutte permanente

Il est légitime de dire que le Burkina Faso a franchi d'importantes étapes en matière de liberté de presse, et que le pluralisme médiatique est une réalité. Le pluralisme ne peut exister qu'à condition que soit garantie la liberté d'informer. Ceci implique non seulement le droit d'imprimer et de diffuser librement, mais aussi la capacité économique de créer et de maintenir en vie une publication quel que soit son marché. Pour que le pluralisme soit réel, les éditeurs doivent trouver, à défaut de soutiens privés, des sources de financement public et bénéficier de diverses aides de l'Etat. Lesquelles doivent cesser à un moment donné pour permettre le libre jeu de l'offre et de la demande.

La liberté de la presse est une lutte permanente. La bataille sera rude.

END

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