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by Justin Mendy, Sénégal, août 1999
THEME = POLITIQUE
Les élections présidentielles du 27 février de l'an 2000
vont marquer un tournant décisif
dans la vie politique, sociale et économique du pays
Les présidentielles de 2000 s'annoncent comme particulièrement décisives pour l'avenir du Sénégal. Elles mettront en compétition de gros calibres de la scène politique sénégalaise. Au delà du classique duel à deux - Abdou Diouf - Abdoulaye Wade (depuis 1983) - , viendront s'ajouter deux grosses pointures dissidentes du Parti socialiste (PS) au pouvoir: Djibo Kâ et Moustapha Niasse, tous deux ayant occupé d'importantes fonctions ministérielles dans les gouvernements successifs d'Abdou Diouf.
Djibo Kâ a pu positionner son parti, après seulement trois mois d'existence, comme troisième formation politique du pays, à l'issue des législatives en mai 1998, après le PS et le PDS (Parti démocratique sénégalais) de Me Abdoulaye Wade, devançant d'autres partis, de loin antérieurs au sien. Il va maintenant, pour la première fois, affronter directement son ancien patron, le président Diouf.
Il en est de même de Moustapha Niasse, ancien ministre d'Etat et ministre des Affaires étrangères. Son irruption sur la scène de l'opposition, depuis juin dernier, a bouleversé toutes les données du paysage sénégalais et lui a imprimé une nouvelle dimension. Celle-ci se caractérise notamment par un engouement certain de la population en droit de vote pour ce prochain scrutin.
Un grand nombre de personnes qui n'avaient jamais voté, ou qui avaient renoncé à accomplir ce devoir citoyen pour cause de fraudes, ont procédé à leur (ré)inscription sur les listes électorales. Les jeunes occupent une place importante, d'autant que l'âge de vote a été abaissé de 21 à 18 ans.
Il faut donc escompter un taux de participation record. Plusieurs éléments de la société civile, naguère réticents à participer à des activités politiques, ont révisé leur attitude et viennent d'investir les rangs de la nouvelle formation de M. Niasse, l'Alliance des forces de progrès (AFP, officiellement reconnue le 23 août dernier). Ils s'y côtoient de nombreux démissionnaires d'autres partis, en particulier du PS. L'un d'eux nous a confié: "Nous, AFP, nous gagnerons les élections, car les fraudes qui se faisaient au Parti socialiste, c'est nous qui les faisions et nous n'y sommes plus. Si ceux qui sont restés au PS s'évertuaient à en user, nous saurions les déjouer, puisque nous connaissons les rouages".
D'autres, surtout des jeunes, évoquent leur "dernière chance de changer de régime pour pouvoir prétendre à des emplois". Ils jurent de s'opposer à toute tentative de fraude, avec tous les moyens. Une même détermination est exprimée, à des degrés divers, par les militants de toutes les formations de l'opposition, en dépit du rejet par leurs leaders de tout recours à la violence. De même, des politiciens "professionnels" du parti au pouvoir, qui trouvent leurs rémunérations grâce au régime en place, useront de tous les moyens possibles pour éviter un quelconque changement afin de sauvegarder leurs intérêts matériels.
La confrontation en perspective a trouvé des signes avant- coureurs dans une violence qui rythme les discours politiques pratiquement depuis la publication, le 11 mars dernier par l'hebdomadaire Jeune Afrique, d'une interview de l'archevêque de Dakar, le cardinal Thiandoum, sous le titre: "Les vérités d'un cardinal". Dans cet entretien Thiandoum, d'ordinaire très réservé dans ses prises de position politiques, disait qu'il "ne connaissait pas Ousmane Tanor Dieng", ministre d'Etat, ministre des Affaires présidentielles et premier secrétaire national du PS depuis 1996, dont on murmure qu'il serait le dauphin du président Diouf. Pour succéder à celui-ci, Mgr Thiandoum estime que "le candidat idéal est Moustapha Niasse", le positionnant comme un ami de Diouf pour lequel il va voter aux prochaines présidentielles. Il le qualifie comme "un homme intelligent, formé par Senghor; il connaît le pays, est l'ami des Arabes et affiche une grande ouverture d'esprit à l'égard du christianisme".
Ces propos ont provoqué l'ire d'un certain nombre de Sénégalais qui n'ont pas été tendres à l'égard du prélat dans des articles publiés dans la presse locale. A la question de savoir pourquoi de plus en plus de gens en Afrique se tournaient vers l'islam, certain lui ont aussi reproché cette réponse: "La première raison est que les pays arabes leur apportent une aide considérable. La seconde est que, dans beaucoup de pays, ils détiennent quasiment toutes les rênes du pouvoir et cela les met en valeur. Au lendemain de l'indépendance du Sénégal, comme ils étaient plus nombreux, ils ont occupé plus de postes que les chrétiens. La situation a perduré et, maintenant, on assiste à une sorte de "cooptation religieuse"". Lorsque, deux mois après, à la mi-juin, Moustapha Niasse a campé, dans un réquisitoire empreint d'un grand courage politique, les maux dont souffrent les Sénégalais, et dit sa décision de se démarquer par rapport au régime actuel, il fut l'objet de diatribes acerbes d'une rare violence.
Depuis, ces attaques se sont multipliées, au point où, le 15 août dernier à la fête de l'Assomption, le cardinal Thiandoum a déploré publiquement les "agressions et blessures verbales" devenues trop fréquentes. Comme pour lui emboîter le pas, Moustapha Niasse dira, une dizaine de jours après, que son parti "condamne toutes les sortes de violences" et que "pas une goutte de sang ne devrait être versée, à aucun moment, ni du prochain processus électoral, ni d'un quelconque autre événement". Ce parti, dit-il, entend s'inscrire dans la voie de la légalité, avec la présence active et nombreuse d'observateurs nationaux et internationaux aux élections, afin d'éviter des pratiques frauduleuses tels que "votes multiples, votes d'absents ou de mineurs et même de morts...". Une certaine opposition se concerte pour contrecarrer les manipulations déjà mises en route, comme le trafic des pièces d'identité avec la complicité d'agents de la police. "Aux ruses du parti au pouvoir, nous opposons des contre-ruses", dit encore M. Niasse.
Mais cet appel à une attitude non violente sera-t-il entendu par une base qui est de plus en plus lésée par une situation économique dont elle fait constamment les frais, et qui se sent régulièrement frustrée par des fraudes aux formes multiples? Pour les prochaines élections, de nombreux militants de partis d'opposition se disent décidés à faire face, de manière physique au besoin, à toute tentative d'agissements contraires à la légalité. Un tel ras-le-bol semble difficile à contenir.
Ces dérapages violents en perspective seraient la réponse à la crise aux dimensions multiples, et de plus en plus accentuée, que vit une frange toujours plus large de la population et qui s'exprime ouvertement par une forte volonté de changement. "Les gens ont l'impression d'avoir atteint le fond du gouffre et de n'avoir plus rien à perdre, face à un parti-Etat qui cherche ses marques depuis trente ans et qui érige le tâtonnement en règle", écrit Djibril Sylla dans le journal dakarois Sud Quotidien du 1er avril 1999. Aussi, les démons de la violence guettent les jeunes désoeuvrés et une vaste couche de la population, rurale comme urbaine, frappée par la crise sociale.
"Aujourd'hui, les raisons d'espérer qui étaient pour chaque Sénégalais (au cours des deux dernières décennies) une source de confiance, semblent inexorablement se dérober", constate Moustapha Niasse, dans sa déclaration de rupture avec le système en place, le 16 juin 1999. Son diagnostic est significatif, car il provient de quelqu'un qui fut, de tout temps, un homme du système qui a toujours assumé de hautes responsabilités dans les organes du pouvoir, de l'Etat comme du parti socialiste.
Il dit encore: "Après tant de promesses non tenues, tant de rendez-vous manqués et tant d'occasions ratées, les Sénégalais en sont arrivés à osciller devant l'impossible choix entre la résignation et la révolte. Jamais sans doute, depuis 1960, le fossé n'a été aussi grand entre ceux qui sont censés assurer la direction du pays et nos populations. Jamais depuis l'indépendance (...) le discrédit et la méfiance n'ont été aussi forts à l'égard des dirigeants...".
Djibo Kâ, cet autre transfuge du PS et autre ancien ministre de cabinets successifs de Diouf, ne dit pas autre chose. Pour Djibo, il faut "détruire le Parti socialiste, idéologiquement, politiquement et structurellement", parce que cette formation a fini par "corrompre les masses". Dans un entretien avec le quotidien dakarois L'Aurore (17 mars 1999), il parle de "présidents de conseils ruraux qui ont vendu des terres des domaines fonciers", de "taxes rurales détournées", de "conseils ruraux dirigés par des repris de justice". Il y évoque également la distribution de biens matériels et financiers par les responsables du PS à l'occasion des consultations électorales. Ils feront la même chose aux prochaines présidentielles, dit-il, mais "tout le monde n'est pas achetable et, cette fois-ci, les populations sont décidées à obtenir le changement".
Ce changement, les leaders de l'opposition pensent l'obtenir avec une candidature plurielle au premier tour, pour porter leur choix au second tour sur celui d'entre eux qui sera le mieux placé. Ceci n'est pas l'avis de tout le monde. En effet, bon nombre de Sénégalais penchent pour une candidature unique de l'opposition. Dans cette optique, quatre formations du pôle dit de gauche soutiendraient le libéral Abdoulaye Wade, dont le parti est la seconde formation du pays.
Cette controverse - candidature unique / candidature plurielle de l'opposition - ne semble pas émouvoir les partisans du président Diouf, dont l'objectif est de le faire élire au premier tour. Une manière d'influencer l'électorat et... les préposés à l'organisation des élections. De toutes façons, la bataille sera rude, en février 2000 plus que par le passé.
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