ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 377 - 01/11/1999

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Gabon

Le calvaire des détenus gabonais


by Antoine Lawson, Gabon, août 1999

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

L'unique prison de Libreville est devenue trop exiguë
et ne remplit plus les conditions de détention acceptables pour ses 1.500 prisonniers,
au point que ceux d'entre eux qui recouvrent la liberté
la qualifient d'"enfer" ou de "temple de la torture"

La prison de Libreville, construite en 1956 pour abriter 300 détenus, en accueille aujourd'hui 1.500, soit 5 fois plus, dans une structure qui est restée pratiquement la même. A part l'exiguïté, on y déplore des conditions d'hygiène désastreuses et surtout l'état de décrépitude avancée des locaux.

"Les autorités gabonaises ne devraient pas être étonnées si le Gabon sortait de la liste des pays dits "sûrs" car il ne satisfait pas, à certains égards, aux exigences en matière des droits de l'homme dans divers secteurs, malgré l'attitude des observateurs occidentaux et de certaines organisations internationales présentes au Gabon (PNUD, Unicef, Unesco, etc) qui ferment les yeux, répugnant à mettre en cause les autorités", a confié Me Fabien Méré, avocat gabonais célèbre pour ses positions tranchées.

Une justice à deux vitesses

Un autre avocat qui fait partie d'une organisation de défense des droits de l'homme et qui a requis l'anonymat, a expliqué que "c'est malheureux que les détenus, parfois à la suite d'arrestations arbitraires, soient réprimés et entassés dans des petites cellules, que les gardiens de prison n'assurent pas leur sécurité et qu'ils n'aient pas le droit de choisir ou de solliciter un avocat". "Malgré la démocratie et les lois votées par les députés et les sénateurs, poursuit-il, les arrestations demeurent encore arbitraires au Gabon et certains jugements sont anticipés car ils ne suivent pas une procédure normale. Il sévit au Gabon une justice à deux vitesses. Les emprisonnements sont prononcés hâtivement et les détentions dépassant les limites légales sont courantes".

L'opinion publique gabonaise reste sceptique sur un renouveau de la justice, malgré les espoirs de changement suscités lors de l'élection présidentielle de décembre 1998. La plupart des promesses visant à améliorer le système judiciaire n'ont pas encore été tenues. La preuve: des milliers de dossiers sont entassés au tribunal pendant plusieurs mois, voire des années, sans qu'un jugement ne soit prononcé. François Ondo Nzé, le procureur général près la chambre judiciaire de la Cour suprême, a fondé une publication trimestrielle intitulée "Aujourd'hui le droit". Il y explique la difficile tâche du juge pénal et précise que "tous les droits doivent être protégés, en particulier ceux concernant l'intégrité physique et morale de la personne humaine". Malgré le taux d'alphabétisme élevé au Gabon, la majorité des citoyens est très peu informée sur ses droits. Ondo Nzé soutient que "nul n'est censé ignorer la loi ou l'égalité des citoyens devant la loi, ces principes bien connus n'ont cependant pas une puissance illimitée".

La vie des détenus est menacée

Au Gabon, l'avocat n'intervient qu'au stade de l'instruction, après la première comparution. "Tout le monde souhaite le développement de la justice. Elle implique que l'on considère que les arguments en faveur de la défense garantissent les droits individuels", argumente Ondo Nzé. Pourtant, un journaliste, incarcéré et sorti de prison, affirme que les personnes emprisonnées pour les affaires politiques ou de droit commun, "sont souvent torturées immédiatement après leur arrestation et que les violences sont le fait aussi bien de l'armée que de la police".

Pour la première fois, des officiers du système pénitencier et certains hommes politiques reconnaissent que le système carcéral gabonais doit être réformé. "La première alerte pour les autorités pénitentiaires a été donnée par la mort d'une demi-douzaine de détenus, suite à une épidémie de diarrhées sanguinolentes en 1996. Il a fallu plusieurs semaines pour stopper la propagation de l'épidémie dans la prison", explique Gaston Owono, gardien de prison. "Péniblement mises sur les rails, des mesures pour rétablir des conditions d'hygiènes acceptables ont finalement été prises par les autorités pénitentiaires. Un grand nettoyage a permis l'assainissement des cuisines, des toilettes, de l'infirmerie et surtout des objets souillés pendant que d'autres détenus se trouvaient en quarantaine dans les hôpitaux de Libreville", rapporte-t-il.

Surpopulation carcérale

La prison, située en pleine ville, fait face, selon un officier pénitentiaire, à divers problèmes consécutifs à la "surpopulation carcérale", aux "moyens modestes" mis à la disposition des établissements pénitentiaires ainsi qu'à "un fond culturel hostile". Les rares procureurs généraux et experts pénitentiaires du Gabon dénoncent les effets néfastes de la surpopulation, prônée par un système judiciaire répressif; mais aucune volonté des autorités ne s'est manifestée jusqu'à présent.

Dans son ensemble, le système pénitentiaire gabonais est en crise. La nourriture est insuffisante, surtout en ces temps de crise économique, a précisé un officier de la prison qui a requis l'anonymat. "Avec la crise économique, il y a une diminution très nette des ressources attribuées au système pénitentiaire avec des conséquences sur les conditions de vie des détenus, mais aussi sur la volonté du personnel d'exécuter correctement son travail", a déclaré un responsable du Comité international de la Croix-Rouge. Au cours d'un entretien, il a plaidé pour "un système alternatif basé sur des peines non privatives de liberté, comme le paiement d'une compensation ou un travail d'intérêt général". "La tradition africaine de justice est basée beaucoup plus sur la réconciliation que sur la répression", a-t-il expliqué.

"Comment peut-on concevoir en Afrique, où nos Etats respectifs n'ont pu dégager des ressources pour s'occuper d'honnêtes citoyens, qu'une subvention soit allouée à des prisonniers", s'est interrogé Me Michel Ndziba. En fait, a-t-il ajouté, "il y a un problème de communication entre les systèmes judiciaires et pénitentiaires au Gabon. L'un ne sait pas ce que fait l'autre. Le système judiciaire alimente des prisons de plus en plus inaptes à prendre en charge de nouveaux détenus".

Inégalité dans le traitement

A Libreville, une certaine catégorie de prisonniers est souvent employée pour des petits travaux dans les rues. Il ne se passe plus une journée sans qu'un de ces internés ne soit impliqué dans l'un ou l'autre méfait dans la ville. Interpellé par la police judiciaire, Raïmy Hinson, un détenu chef de file d'un gang qui en quelques mois a tué plusieurs personnes et cambriolé plusieurs millions de francs CFA, a déclaré à la télévision que c'est lors des corvées négociées à coups de billets de banque, qu'il participait aux sombres opérations de son groupe. "Cette situation nous fait penser qu'aujourd'hui, être prisonnier au Gabon, c'est jouir d'une semi-liberté", s'indigne un journaliste du quotidien L'Union.

Dans la réalité, tous les prisonniers ne jouissent pas de ce privilège. Et l'insécurité sévit à l'intérieur comme à l'extérieur des prisons. "Si je vis aujourd'hui, c'est certainement grâce à Dieu. J'aurais bien pu être emporté par des épidémies sans la moindre assistance médicale à l'instar de beaucoup de mes codétenus", souligne Jean François Koumba, un rescapé de cette prison. Un autre ancien détenu d'opinion, qui a requis l'anonymat, s'est indigné en ces termes: "Quand on vous jette à la prison de Libreville, c'est généralement pour que vous en sortiez vidé de votre substance. Que peut bien valoir la santé physique dans un endroit où l'encadrement est assuré par des criminels?". Poursuivant son récit, notre interlocuteur précise que "lorsqu'on a de l'argent, on n'est prisonnier que de nom. L'argent peut tout résoudre à la prison centrale de Libreville. Il n'y a que les démunis qui en pâtissent et cette situation ne date pas d'aujourd'hui".

"Avez-vous déjà entendu que des plaintes ont été portées à la suite de tous ces décès enregistrés en prison?", demande-t-il. "Les cellules sentent mauvais et parfois la nourriture est immangeable. Certains plats sont presque avariés et on perd l'appétit sous le regard indifférent et arrogant de nos codétenus qui donnent de l'argent aux gardiens pour qu'ils améliorent leur alimentation", renchérit Koumba.

Des gardiens complices

Pour nos interlocuteurs, la prison s'est transformée progressivement en un véritable marché d'affaires, dont les acteurs principaux sont les gardiens et certains détenus ayant de solides assises financières, à l'exemple des détenus condamnés à perpétuité et qui deviennent au fil des ans de véritables chefs de la sécurité carcérale. "Les encadreurs dans les différents quartiers de la prison sont généralement de grands criminels. En dehors du fait qu'ils sont investis de la fonction d'intendance, ils participent en outre à l'éducation carcérale des nouveaux détenus. D'où cette complicité avec les gardiens", révèle Barthélémy Ogoula, ancien infirmier à la prison. "Le prisonnier qui ne jouit d'aucun soutien n'a pas beaucoup de chance de survie. Ce sont de vrais esclaves et jamais je n'aurais cru qu'on pouvait ainsi violer les droits des prisonniers", persiste-t-il.

"Ce que beaucoup de personnes ignorent, c'est que près de 70% des produits alloués à la ration des prisonniers sont systématiquement détournés par les encadreurs et cela avec la complicité des officiers supérieurs de la sécurité pénitentiaire", dénonce Ebele Jacques, en liberté provisoire. "Ils encaissent ainsi, sur le dos du contribuable, d'importantes sommes d'argent au mépris de la survie d'êtres humains qui pourraient bien se reconvertir si on leur accordait la moindre chance", renchérit Aloïse Moussavou, un commerçant dont les colis à l'adresse de son frère emprisonné sont constamment détournés.

En effet, au terme de notre petite enquête, nous avons appris que les "chefs de quartiers" sont devenus des commerçants. La nourriture qui devrait revenir aux prisonniers leur est vendue. Les boîtes de conserve sont proposées par les geôliers à 200 francs CFA l'unité; le kilo de poisson et plus rarement celui de viande se négocie à 600 francs CFA.

Comment expliquer ce développement? "Les cuisiniers ont instauré des mauvaises conditions d'hygiène alimentaire pour nous obliger à nous ravitailler auprès d'eux et, par-là, acheter notre propre nourriture", dit Moussavou. Ebele poursuit: "Les gardiens poussent même l'audace jusqu'à faire du chantage auprès des parents des détenus en menaçant de supprimer leur droit de visite, les obligeant finalement à monnayer leur accès à la prison. Parfois, même les épouses des détenus sont harcelées sexuellement".

Ces attitudes sont connues des autorités. Récemment, le ministre de l'Intérieur Antoine Mboumbou Miyakou s'est rendu à la prison pour examiner la situation. "Plus de prisonniers en dehors de l'institution", a-t-il martelé avant d'ajouter fermement: "A partir d'aujourd'hui, il est formellement interdit aux prisonniers d'aller en corvée chez les officiers supérieurs. Cette pratique longtemps entretenue dans nos maisons d'arrêt n'est pas faite pour honorer l'image de notre pays". Mais le vrai problème de la sécurité des détenus n'a pas encore trouvé de solution malgré les promesses de la hiérarchie pénitentiaire.

Pas de fichiers mis à jour

"A première vue, l'on est tenté de croire que les gardiens de prison font consciencieusement leur travail. En réalité, la prison de Libreville est devenue un haut lieu de la pègre, entretenu par des personnes de mauvaise moralité. Cela concerne aussi bien certains prisonniers que les gardiens", explique Mba Roger, un ancien détenu, qui poursuit: "Il est regrettable de constater que l'administration pénitentiaire n'est même pas en mesure de tenir un vrai fichier qui enregistre le nombre exact de détenus et leur situation administrative carcérale. Je ne peux comprendre que certains détenus, surtout ceux qui ne sont pas assistés, croupissent indéfiniment en prison, parfois sans jugement".

"Comment expliquer que Mba Ntem, l'un des plus grands criminels qu'ait connu le Gabon, puisse être aujourd'hui l'aumônier de la prison?", s'interroge le caporal Moini Gaston qui accompagne les inculpés entre le tribunal et la prison. La torture et le commerce continuent à être répandus dans les prisons et il semble qu'ils y sont "officiellement tolérés".

Les autorités gabonaises qui tardent toujours à prendre des mesures, devraient renforcer la lutte contre la corruption dans les administrations publiques, au palais de justice et dans les prisons, si elles veulent prendre vraiment en compte le développement et les droits des citoyens, observe un greffier.

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