ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 377 - 01/11/1999

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Tchad

Les "kanembou"


by Goual Nanassoum, Tchad, août 1999

THEME = VIE SOCIALE

INTRODUCTION

Ces dynamiques débrouillards, vendeurs à la sauvette...

"Fotron, c'est moins ser" (patron, c'est moins cher)! Parole de "kanembou"! Ils sillonnent les rues, investissent les bars et les cafés avec des marchandises, qui sur la tête, au cou, aux coudes, qui aux bras et à la main, sous un soleil de plomb ou sous la pluie...; ils proposent des serviettes, des chaussures, des caleçons, bref tout ce qui peut se tranporter facilement; ils ne laissent passer personne susceptible d'acheter leurs articles.... Ceux qu'on appelle communément les "kanembou" sont de véritables boutiques ambulantes. A côté de ceux qui bousculent les gens dans les rues et les buvettes, d'autres occupent le marché central de N'Djamena,... prêts à piétiner les autres marchands pour poursuivre un client avec leur marchandise.

Quant aux prix, le marchandage est roi. Pour un article qui coûte 3.000 cfa ailleurs, le kanembou en demande 30.000, pour finalement le céder à 1.500. Ceux de la capitale arrivent même à identifier le domicile des fonctionnaires et des personnes riches; ils sont prêts à leur laisser à crédit des articles de valeur.

Dans les quartiers musulmans, un autre groupe s'est spécialisé dans la vente des noix de kola, de cigarettes et du sandwich "demi-salaire", ainsi appelé à cause des fonctionnaires qui en mangeaient beaucoup au temps où l'effort de guerre (1982-1990) prenait la moitié de leur traitement mensuel.

Ils s'imposent aussi en province, surtout dans les grandes villes où, ces derniers temps, ils se sont lancés dans la spéculation immobilière: ils achètent des terrains pour les revendre plus tard aux grands commerçants à des sommes mirobolantes.

Très entreprenants, les kanembou s'adaptent à toute conjoncture économique. Lorsqu'une filière est menacée, le kanembou l'abandonne rapidement pour lancer un autre produit, grâce à un réseau de renseignement très efficace. Beaucoup disparaissent de N'Djamena pour émerger au sud du pays aux temps de la récolte des arachides et autres céréales. On les aperçoit sur toutes les routes tchadiennes, toujours enturbannés, occupant le devant de véhicules lourdement chargés de marchandises.

Frugaux, mais dynamiques...

La première chose qu'on remarque dans leur vie, est la frugalité. Ils se regroupent à 5 ou 6 pour louer une petite chambre, à moins de 4.000 cfa par mois; pour les repas ils se cotisent, payant chacun de 100 à 200 cfa par jour. La préparation de ce maigre repas se fait à tour de rôle. "Ces gens savent comment se nourrir sans dépenser un sou", confie Mansour Ahmat, un Arabe tounjour, longtemps voisin des kanembou, qui nous explique leur stratégie.

S'il voit des musulmans accroupis en groupe, occupant toute une rue pour une veillée mortuaire ou une autre cérémonie, le malin kanembou arrive sur les lieux comme pour vendre la kola et les cigarettes et, au besoin, participer à la cérémonie. A l'heure du repas, il fait comme tout le monde: il participe au repas, et disparaît, rassasié pour toute la journée.

On peut classer ces vendeurs à la sauvette en trois catégories, selon la taille de leurs affaires. Il y a ceux qui, après avoir vendu le fruit de leur travail agricole, viennent en ville, ils s'achètent de petits articles, allant des paquets de bonbon aux montres en passant par des porte-clefs, et les revendent à travers la ville. Leur chiffre d'affaire surprend toujours lorsqu'au bout de quelques mois on les voit ployés sous les marchandises. Ce kanembou se stabilise au bout de deux ou trois ans, et devient à son tour un grand commerçant.

Il y a ceux qui viennent "se débrouiller" auprès des parents et d'autres connaissances. Ils prélèvent un peu sur leurs marchandises, ils en donnent à leurs neveux ou cousins qui partent "faire la ronde" en ville. Au bout de quelques temps, le cousin ou le neveu restitue le capital à l'oncle, et garde le bénéfice qui lui permet de lancer son propre commerce.

Une troisième catégorie débute avec ce qu'on appelle "azouma", une sorte de cérémonie de réjouissances pendant laquelle les invités offrent quelques petits billets de banque à l'organisateur de la cérémonie. Après ces retrouvailles familiales, le kanembou achète les marchandises chez les parents qui les lui laissent à bas prix. Il se promène avec ces articles en ville et, au bout de quelque temps, devient lui aussi un homme d'affaires.

... et débrouillards

Ils ne parlent pas bien le français mais comprennent l'arabe dialectal et, un peu moins, le "ngambaye" (langue locale qui commence à s'imposer aux Tchadiens après l'arabe dialectal). Puisque leur clientèle est composée pour la plupart de petits intellectuels habitués à s'exprimer en français, les kanembou ne manquent pas de baragouiner la langue de Molière, mélangeant à leur langue maternelle les quelques rares mots français grapillés à gauche ou à droite.

Ils vont souvent en groupes de 5 ou 6 personnes pour se défendre contre les malfaiteurs. Quand ils sont fatigués, ils se couchent auprès de leurs articles et roupillent au bord des rues ou à l'ombre des bars, tandis que l'un d'entre eux reste éveillé pour surveiller les marchandises.

Apparemment fervents musulmans, ils ne perdent cependant pas leur temps dans la prière: ils font très rapidement leurs ablutions sur des nattes ou des tapis de fortune qu'ils trouvent auprès de leurs coreligionnaires, récitent quelques sourates, et les voilà déjà en route entourés de marchandises. Ils considèrent les querelles et autres combats de rue comme une énorme perte de temps. Ils répondent rarement aux insultes. Ils s'en remettent toujours à Dieu en souriant "Allah yaffta"! Car le kanembou est un homme pressé: il n'a pas de temps à perdre devant la police ou la gendarmerie.

Lorsque des Tchadiens se posent des questions sur l'origine de l'efficacité économique des kanembou, ils évoquent l'influence de la magie dans leur commerce. Mais c'est méconnaître la capacité et le dynamisme de ces gens qui se lancent dans la nature, avec les risques que l'on connaît, dans ce pays où l'absence de l'Etat se perçoit à tous les degrés de la vie quotidienne. Le kanembou a seulement confiance en ce qu'il fait. Ils constituent aujourd'hui une force économique du pays que personne ne peut démentir. C'est même un exemple à suivre pour d'autres, qui préfèrent la paresse, ou qui ont le "gratuit" comme seule référence socio-économique...

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