by Antoine Lawson, Gabon, octobre 1999
THEME = TRANSPORT
Dans le contexte actuel de la
mondialisation de l'économie, aucune compagnie
aérienne,
aussi puissante qu'elle soit, ne pourra sortir
victorieuse toute seule. Si on veut survivre,
il faut
coopérer, constituer de vastes ensembles
géographiques économiquement
intégrés.
Les Etats d'Afrique de l'Ouest et du Centre veulent adopter une réforme commune sur le transport aérien. Mais plusieurs facteurs négatifs se conjuguent pour les en empêcher dans le contexte de la mondialisation. Conscients des handicaps qui pèsent sur l'Afrique, les spécialistes du transport aérien affirment cependant qu'ils peuvent inverser la tendance, à condition de s'unir, non pas sur une base subjective d'unité africaine, mais sur la base d'une nécessité de survie dans un contexte économique implacable de libéralisation et de globalisation.
Selon Idriss Ngari, le ministre gabonais des Transports et de la Marine marchande, l'Afrique se trouve face à trois grands défis: la nécessité de réhabiliter ses installations, de redynamiser ses compagnies aériennes pour les rendre compétitives, et d'adapter sa flotte d'avions à la croissance du marché et aux enjeux nouveaux de la mondialisation.
L'urgence d'une réforme en profondeur du transport aérien en Afrique de l'Ouest et du Centre s'est fait sentir depuis plusieurs années: le réseau dans la région se révèle inefficace; les tarifs sont parmi les plus élevés au monde à cause des coûts d'exploitation excessifs (carburant, maintenance, assurance principalement); le personnel aéronautique est insuffisant, souvent formé sur le tas, et ceux qui sont qualifiés ne peuvent pas se perfectionner.
Adama Coulibaly, ministre des Transports de la Côte d'Ivoire et président en exercice du Comité des ministres en charge de l'aviation civile des Etats membres du Traité de Yaoundé, constate avec regret la multiplicité et le morcellement des compagnies aériennes africaines. Ceci ne peut assurer ni viabilité ni rentabilité. D'où des problèmes de gestion, de vieillissement de la flotte, de pertes de marchés, de déficits d'exploitation, et, finalement, de faillite, avec ses conséquences dramatiques sur le plan social.
Cette situation a incité les ministres des Transports des pays concernés à se rencontrer à maintes reprises pour essayer de faire évoluer le cadre réglementaire (déclaration de Yamoussoukro et traité de Yaoundé) vers un cadre plus "ouvert", et de promouvoir le développement d'un réseau de transport aérien plus sûr, plus efficace, et mieux adapté aux caractéristiques de la région.
La réunion sur la libéralisation du transport aérien en Afrique, tenue à Libreville les 13 et 14 octobre, a eu pour objectif d'adopter un instrument continental de régulation économique du transport aérien. Celui-ci devrait aider à formuler des recommandations sur comment fédérer les énergies et faire de la sous-région Afrique du Centre et de l'Ouest un espace aéronautique intégré, dynamique et compétitif, a dit M. Ngari. Il a en outre applaudi l'initiative d'Adama Coulibaly, qui avait sollicité l'aide de la Banque mondiale (B.M.) et d'autres bailleurs de fonds internationaux pour la recherche d'une solution durable au secteur du transport aérien en Afrique.
Suite à cette sollicitation, la B.M. avait en effet accepté de soutenir un projet de réforme du transport aérien dans la région. Un organe de coordination avait été mis en place en janvier 1999 à Abidjan, à travers la création du Comité de pilotage, structure originale et collégiale, regroupant 7 Etats (Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Gabon, Ghana, Sénégal et Tchad), ainsi que la B.M., l'Union économique et monétaire ouest africaine, des organismes spécialisés en transport aérien et des institutions financières.
Sensible aux efforts remarquables fournis par le Comité de pilotage, la B.M. avait octroyé un don du Fonds institutionnel de développement de $227.500 au nom de la Côte d'Ivoire pour organiser la réunion de Libreville.
"La situation du transport aérien en Afrique, a souligné M. Coulibaly, demeure le reflet de notre retard économique et technologique issu de la colonisation. L'Afrique occupe une place modeste, sinon de lanterne rouge, dans l'industrie du transport aérien international. Sur les services aériens réguliers, l'Amérique du Nord vient en tête avec 36% contre 28% à l'Europe, 26% à l'Asie et au Pacifique, 5% aux Caraïbes et seulement 2% pour l'Afrique".
De plus en plus, des problèmes de sécurité freinent l'évolution du transport aérien africain, et les Etats confrontés à la famine, au poids de la dette, à l'analphabétisme et à la misère, ne peuvent injecter leurs maigres ressources pour relever les standards de l'aviation civile. Et pourtant, de nos jours, le transport aérien n'est pas seulement un moyen de transport de prestige, mais un outil indispensable pour réduire le temps et l'espace, un outil de désenclavement et un moteur incontournable pour le développement économique de nos Etats, a commenté Adama Coulibaly.
"Les économies des pays à travers le monde s'intègrent de plus en plus, avec des besoins toujours plus affirmés de transports aériens efficaces. Et l'environnement de l'aviation civile internationale connaît des changements radicaux", a affirmé Christopher Tourtellot du ministère des Transports des Etats-Unis. Selon lui, une libéralisation offrirait une opportunité pour développer le transport aérien et l'économie des Etats africains par une participation plus importante dans l'aviation civile commerciale.
Parmi les points retenus, figure la définition plus concrète des éléments de la réforme, dans ses aspects technique, institutionnel et d'infrastructures. Les débats se sont inspirés des expériences de libéralisation d'espaces aériens dans d'autres pays, notamment dans l'Union européenne et aux Etats-Unis. L'expérience bolivienne a été évoquée par Alfonso Revollo, représentant le ministère bolivien des Transports. Il a déclaré que la réforme de la gestion des aéroports et de la privatisation de la compagnie aérienne nationale se sont situées dans le cadre global du désengagement de l'Etat des secteurs considérés traditionnellement comme stratégiques.
La représentante de la B.M., Maryvonne Plessis-Fraissard, a reconnu que, dans un avenir à moyen terme, la libéralisation de l'espace aérien se fera sur l'Afrique tout entière. Il faudra que le noyau des pays signataires des accords de Yamoussoukro s'élargisse. Mais, bien qu'indispensable, cet élargissement complique le débat.
La sécurité aérienne a également été évoquée par Amadou Guitteye, le représentant de l'Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA). Il a insisté sur la sécurité au niveau des aéroports et a souhaité que les espaces aériens de la région soient davantage intégrés.
Dans le contexte actuel de la mondialisation de l'économie, aucune compagnie aérienne, aussi puissante qu'elle soit, ne pourra sortir victorieuse toute seule, a souligné Adama Coulibaly. Il faut coopérer, s'unir, constituer de vastes ensembles géographiques économiquement intégrés et capables de constituer un marché viable et rentable pour le développement aérien en Afrique.
"Je crois que cette réunion était très nécessaire, a rapporté Maryvonne Plessis- Fraissard, directeur technique pour le transport, région Afrique, à la B.M. Le besoin de réforme, je crois que tout le monde en parle pour deux raisons. D'abord parce que c'est absolument indispensable pour permettre à l'Afrique de s'inclure dans l'économie mondiale globalisée. Il y aura des alliances entre les compagnies, et celles-ci se feront bilatéralement. Il y aura donc une décomposition de la situation présente qui se fera de façon "sauvage", et je crois que personne dans la région n'est intéressé par une situation incontrôlée, avec des décisions basées sur des critères de bénéfices bilatéraux entre une institution et un partenaire, et non pas sur le meilleur bénéfice général. Si nous ne faisons pas la réforme, elle se fera dans des conditions qui ne seront pas favorables aux partenaires régionaux".
Originellement, la requête faite à la B.M. venait des pays signataires du traité de Yamoussoukro. A cause de leurs problèmes spécifiques, ils s'étaient adressés à la B.M. pour qu'elle accompagne cette réforme. Les autres partenaires régionaux se sont sentis impliqués et la Banque les a invités pour qu'ils sachent ce qui se passe. Déjà, ce noyau de pays est appelé à s'élargir et, dans l'avenir, le problème touchera toute l'Afrique.
On ne parle plus des pays signataires de l'accord de Yamoussoukro, on parle de la région, une région d'intérêts communs, économiques et sociaux, et donc le partenariat s'élargit. La B.M. ne veut ni forcer cet élargissement, ni restreindre le nombre de participants, car il est légitime que tous les voisins intéressés puissent s'y joindre.
Au vu de la situation dramatique du secteur aérien en Afrique, le travail de la B.M. a été de rendre ce projet acceptable. "C'est une situation trop compliquée pour qu'on puisse prétendre savoir quelle est la solution. Mais nous voulions bien servir de catalyseur pour la réforme, et donner l'assurance aux différents partenaires dans l'avancement des travaux", a commenté Mme Plessis-Fraissard.
Si le tableau du transport aérien dans la zone de l'Afrique de l'Ouest et du Centre est sombre, l'avenir sera peut-être plus rose.
END