by Taye Babaleye, Nigeria, novembre 1999
THEME = RELIGION
Pour certains observateurs,
l'application
de la sharia a été commanditée de
l'extérieur
Y a-t-il des puissances étrangères derrière l'introduction de la sharia dans l'Etat de Zamfara? Si on considère les implications de la sharia dans une société hétérogène comme le Nigeria, on peut craindre que, à la moindre provocation, ce système juridique ne conduise à un malaise social et à des émeutes économiques et religieuses. Les non-musulmans, qui dominent la vie sociale et économique dans l'Etat de Zamfara, ne seront-ils pas obligés de quitter l'Etat? Si on accepte la loi islamique dans une partie du pays, alors que dans les autres on suit un système différent, cela ne conduira-t-il pas au chaos du système juridique du pays? Voilà quelques questions que les Nigérians se posent.
Pour certains observateurs, la rapidité de l'exécution du projet et l'impudence du gouverneur Ahmed Sani d'ignorer toutes les conséquences de son acte - alors que son Etat n'est même pas capable de payer régulièrement les salaires des instituteurs - sont des signes évidents que l'application de la sharia a été commanditée de l'extérieur.
La plupart des non-musulmans, surtout des chrétiens, est fermement convaincue que des éléments influents des musulmans du nord du Nigeria sont de connivence avec des pays de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient pour forcer l'introduction de la sharia, mettant ainsi dans l'embarras et déstabilisant l'administration du président Olusegun Obasanjo.
Beaucoup de non-musulmans, surtout dans le sud, soutiennent que la politique anti-corruption du président Obasanjo et la purge parmi les officiers qui avaient reçu un poste politique depuis 1996, n'ont pas été bien accueillies dans certains milieux peu patriotiques du nord. D'où l'introduction de la sharia pour créer confusion et diviser le pays.
Le corps des officiers nigérians a été dominé pendant longtemps par les groupes ethniques du nord, qui sont maintenant en butte à la campagne anti-corruption de l'actuelle administration. Et on pointe du doigt les dirigeants du nord qui ont accusé publiquement le gouvernement d'Obasanjo de vouloir marginaliser le nord du pays. Il faut remarquer ici qu'Obasanjo est chrétien, un Yorouba du sud- ouest. Dès son accession au pouvoir, il a mis à la retraite tous les officiers qui, à un moment quelconque, avaient accepté une position politique.
Le vice-président Alhaji Abubakar Atiku, qui devait être l'invité d'honneur pour la proclamation de la sharia dans l'Etat de Zamfara, a boycotté la cérémonie, tout comme le sultan de Sokoto et le président du Conseil suprême islamique du Nigeria (NSCIA), Alhaji Mohammed Maccido. Des 17 gouverneurs d'Etats musulmans invités, un seul est venu en personne; les autres ont envoyé un représentant.
L'opposition du gouvernement fédéral à l'introduction de la sharia a été réexprimée par le président Obasanjo: l'adoption de la loi islamique par un gouverneur d'Etat est illégale et inconstitutionnelle, a-t-il déclaré. Et d'ajouter: "Certains ont leur façon de faire les choses, mais je ne crois pas que cela durera. C'est inutile de se cogner la tête contre le mur!".
Considérons les faits. Un ex-gouverneur de l'Etat de Kaduna, Alhaji Balarabe Musa, trouve qu'il n'y a rien de mal à ce qui se passe au Zamfara. Il approuve pleinement l'introduction de la sharia et soutient que le gouvernement fédéral ne peut pas interdire au gouvernement d'un Etat l'introduction dans son territoire d'un système juridique jugé utile au plus grand bien de sa population. Le fait que les gouvernements de Sokoto, Bauchi, Niger, Kebbi et Kano (foyers d'émeutes religieuses dans le passé) veulent eux aussi introduire la sharia, ne fait que corroborer sa thèse.
Il est à souligner le fait que certains ambassadeurs étrangers ont assisté à la cérémonie, alors que le gouvernement fédéral n'avait envoyé aucun représentant. Tout ceci porte à croire que certains pays, de connivence avec des personnalités du nord, sont derrière cette manoeuvre.
Pour Wole Soyinka, Prix Nobel de la littérature, les derniers développements ne font que montrer le manque de cohésion dans la nation et la nécessité d'une restructuration. Pour lui, l'adoption de la sharia par l'Etat du Zamfara, est un "acte tacite de sécession". Il insiste sur la nécessité d'organiser une conférence nationale pour débattre et négocier "les modalités d'une coexistence harmonieuse et productive". Il ajoute qu'une "restructuration est urgente; elle est impérative pour notre survie et coexistence. Le virus qui grignote la moelle de la nation est arrivé à un stade critique. La décision d'un Etat de se définir comme Etat musulman à l'intérieur d'une entité politique pluraliste, est un défi à la cohésion nationale. On ne peut l'appeler qu'un acte tacite de sécession".
Déjà du temps du dernier régime militaire sous le défunt chef d'Etat, le général Sani Abacha, les membres de la coalition démocratique nationale (NADECO) s'étaient démenés pour qu'il y ait une conférence nationale souveraine, où tous les groupes ethniques du pays pourraient discuter et négocier leur participation dans le gouvernement fédéral. Ce qui se passe au Zamfara ne fait que montrer l'urgence d'une telle conférence nationale souveraine.
Les banques commerciales au Zamfara menacent de quitter l'Etat si la sharia y est appliquée dans ses moindres détails, la loi islamique ne permettant pas aux banques commerciales de demander des intérêts à leurs clients. Lors de la proclamation de la sharia, le gouverneur Sani a dit que ce n'était pas son intention d'islamiser l'Etat de Zamfara, mais qu'il ne faisait qu'exercer ses droits en tant que gouverneur élu, et que la sharia ne concernait pas les non- musulmans. Il a aussi accusé les anciens dirigeants musulmans du pays "de négligence et de manque de sincérité" dans l'observation de la sharia. Il a promis de construire des hôtels islamiques dans son Etat et dans la région de la capitale fédérale Abuja, et d'adapter les horaires de travail pour permettre aux musulmans de participer aux temps de prières. Il a déjà acheté des bus pour le transport exclusif des femmes, et en plus il veut établir des banques islamiques destinées aux seuls musulmans de son Etat.
De toute évidence, le Nigeria est une démocratie bien fragile, menacée d'éclatement.
END