ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 383 - 01/02/2000

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Mauritanie

Les Imraguènes, des pêcheurs en voie de disparition


by Ely Ould Abdellah, Mauritanie, novembre 1999

THEME = VIE SOCIALE

INTRODUCTION

Hommes du désert mais aussi de la mer,
les Imraguènes sont les habitants de ces villages de pêcheurs
qui peuplent le littoral nord de Mauritanie.

Communauté sobre et entreprenante, les Imraguènes développent depuis des siècles des techniques de pêche et d'exploitation des richesses halieutiques qui leur sont propres.

Ils savent sécher le poisson, en extraire les huiles et en préparer différents plats dont certains sont connus pour leurs vertus thérapeutiques. Chaque année, les villages imraguènes reçoivent des centaines, voire des milliers de patients venus se soigner de l'anémie, de troubles digestifs, de vertiges, de douleurs hypocondres ou de l'anxiété etc. La plupart parmi ces malades repartent complètement guéris non sans faire une grande publicité pour ces "maîtres tradi- praticiens du littoral", leur hospitalité et la qualité de leurs produits.

A cheval entre les espaces infinis et arides du désert et les immensités de l'Atlantique, les Imraguènes ont su s'adapter à une nature des plus austères, où l'un des défis majeurs est le manque d'eau potable. Avant la mise en þuvre de programmes d'hydraulique þ comprenant notamment des unités de dessalement d'eau saumâtre par osmose inverse þ, les Imraguènes, par leur génie et leur parfaite connaissance du terrain, savaient "dénicher" des sites où ils foraient des puits dont l'eau était consommable.

Une pêche écologique

C'est pourquoi, au 16e siècle, les Portugais qui accédaient au débarcadaire naturel du Cap Timiris (environ 400 km au nord-ouest de Nouakchott) étaient étonnés par le caractère original de la pêche imraguène qui se fonde sur une parfaite connaissance du milieu naturel et une remarquable adaptation à celui-ci. Transmis de père en fils, ces atouts font jusqu'à nos jours de tout pêcheur Imraguène une valeur sûre.

Sans formation spécialisée préalable, chaque pêcheur parmi eux est un excellent météorologue. Ils connaissent avec une précision déconcertante les horaires des marées, le temps favorable au déplacement des bancs de poissons, la période de reproduction de chaque espèce ainsi que ses périodes de migration. Ils ont une connaissance plus ou moins précise des profondeurs de la mer dans leur zone et repèrent les couloirs de basse pression dans lesquels se déplacent les espèces de poissons. La disposition des villages imraguènes sur le littoral serait d'ailleurs faite en fonction de règles de proximité à ces couloirs.

C'est pour cela que ces professionnels de la pêche interdisent à quiconque de construire entre leurs villages, prétextant que le poisson ne se sentirait plus en sécurité et émigrerait vers d'autres zones plus sûres.

Jaloux de la préservation des écosystèmes, les Imraguènes ont toujours eu des calendriers de pêches, ne prélevant que les quantités de poisson nécessaires à leur consommation. Depuis des siècles, ils observent des périodes de repos biologique pour éviter au fond marin de se dépeupler.

Pêcher le mulet avec l'aide des dauphins

La mer n'a pas de secret pour ces courageux hommes du désert. Ils comptent même de nombreux amis parmi la population aquatique. Ainsi, pendant la période du mulet jaune, en hiver, les Imraguènes savent faire appel aux dauphins qui les aident à bien cerner leurs proies.

A l'approche d'un banc de mulets, les Imraguènes utilisent des gourdins pour frapper dans l'eau en chantant en guise d'appel aux dauphins. Ceux-ci répondent à cet appel en formant un demi cercle pour emprisonner le banc de mulets jaunes qu'ils pressent vers la côte en direction des pêcheurs et qui, ce faisant, finit par être une proie facile, et pour les Imraguènes et pour les dauphins qui collaborent de la sorte depuis des siècles.

Les dangers du progrès

Ce monde merveilleux où l'homme coopère avec l'animal et utilise des moyens rudimentaires pour prélever de la mer juste ce dont il a besoin pour se nourrir, saura-t-il résister à la tentation du progrès technologique?

La société n'incite-t-elle pas aujourd'hui les Imraguènes à porter des combinaisons, à s'équiper de pirogues motorisées, à utiliser les moyens de télécommunication les plus sophistiqués pour accéder aux bulletins de la météo marine et à délaisser les pratiques ancestrales, quoique celles-ci aient toujours été d'une grande efficacité?

Cela est fort à craindre. Et ce sera malheureux pour les Imraguènes, pour les dauphins et pour l'environnement qui perdra l'un de ses rares écosystèmes encore vierges.

Déjà des embarcations motorisées prennent place dans les villages de pêcheurs, où le déplacement sur le continent se fait désormais en véhicules tout terrain et où l'éclairage commence à se faire par le biais des panneaux solaires. Autant d'éléments qui augurent d'une profonde transformation qui sera à déplorer, car ils préfigurent la fin des Imraguènes et la disparition des traditions séculaires de pêche dont ils sont les seuls dépositaires à travers le monde.

END

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